La construction par les coupures de Dedekind fournit un corps totalement ordonné qui vérifie la propriété de la borne supérieure : tout sous-ensemble non vide majoré possède une borne supérieure. Celle par les suites de Cauchy fournit un corps totalement ordonné archimédien complet. Ces deux propriétés sont en fait équivalentes. De plus, tout corps qui les vérifie est isomorphe au corps
construit par la méthode des suites de Cauchy. On peut donc énoncer le théorème suivant en parlant "du" corps
sans préciser "duquel" il s'agit. Une conséquence de ce théorème est que les caractérisations 1), 2), 3) impliquent toutes que le corps est commutatif et que le sous-corps
est dense (puisque c'est le cas pour le corps
construit par les suites de Cauchy).
Soit K un corps totalement ordonné. Les propriétés suivantes sont équivalentes :
K vérifie la propriété de la borne supérieure
K est archimédien et complet
K est archimédien et vérifie le théorème des suites adjacentes
K est isomorphe à
.
car deux suites adjacentes sont de Cauchy.
Soit E un ensemble contenant un élément x et majoré par M.
Si x est un majorant de E alors x est la borne supérieure de E.
Sinon, on procède par dichotomie pour prouver que E possède une borne supérieure (plus petit des majorants). On crée deux suites
et
définies par récurrence de la manière suivante :
et
pour tout entier
,
si
est un majorant ,
et
si
n'est pas un majorant ,
et
Le principe de construction assure que
la suite (an) est une suite croissante dont aucun terme n'est majorant de E
la suite (bn) est une suite décroissante dont tous les termes sont majorants de E
pour tout entier n,
, donc la suite (bn − an) converge vers 0 (on utilise ici que K est archimédien).
Les suites sont donc adjacentes. D'après (3) elles convergent vers une limite commune
.
Il reste à montrer que
est bien la borne supérieure.
Pour tout réel
de E,
car
est un majorant. Donc par passage à la limite, pour tout réel
de
,
.
est donc bien un majorant de E.
Pour tout réel M' majorant de E,
car
n'est jamais un majorant. Par passage à la limite, pour tout majorant M' de E,
.
est bien le plus petit des majorants.
:
K est archimédien :
Soient a, b deux éléments strictement positifs de K. Il s'agit de trouver un entier n tel que na>b. On considère l'ensemble
. Cet ensemble est non vide (il contient 0) et majoré (par b), donc il possède une borne supérieure c. L'élément c-a est strictement inférieur à c, par conséquent ce n'est pas un majorant de A. Il existe donc un élément ka de A tel que c-a<ka. Alors (k+1)a n'est pas majoré par c donc n'appartient pas à A, si bien que (k+1)a>b.
Soit
une suite de Cauchy dans K, il s'agit de prouver que
converge. Une telle suite est bornée, c'est-à-dire qu'il existe dans K un élément M tel que pour tout entier n,
.
Pour tout n, l'ensemble
, majoré (par M) et non vide, possède une borne supérieure
. La suite
est alors décroissante et minorée (par -M). Or dans K, toute suite décroissante et minorée converge (c'est une conséquence directe de la propriété de la borne supérieure - voir théorème de la limite monotone). On note a sa limite.
Pour tout dans K, il existe donc
tel que
et tel que de plus, pour tous
,
(car la suite
est de Cauchy). Pour tout
,
est alors un majorant de
donc un majorant de
, si bien que
. Ce qui confirme que la suite
converge vers
.
:
On choisit ici comme corps
celui construit par les suites de Cauchy. Par construction,
. Réciproquement, supposons K archimédien complet, et définissons une application
par : si
est la classe d'une suite de Cauchy de rationnels (an) alors, dans K,
(cette limite existe et ne dépend pas du choix du représentant (an)). Par construction, f est compatible avec les opérations et strictement croissante. Enfin, f est surjective, grâce au fait que K est archimédien : pour tout
et tout entier n > 0, il existe un rationnel an compris entre b et b + 1 / n : an = p / n, où p est le plus petit entier majorant nb. Une telle suite (an) est de Cauchy, et sa classe
est un antécédent de b par f.
Remarque. Ces équivalences montrent en particulier que tout corps L totalement ordonné et archimédien est isomorphe à un sous-corps du corps ordonnéR. En effet, le complété de L (construit par le même procédé des suites de Cauchy que le complété R de Q) sera (par les mêmes arguments) un corps K contenant L, et archimédien complet donc isomorphe à R.