Retrouvant la Russie en mars 1917 après avoir traversé l’Allemagne dans un train protégé par l'immunité diplomatique, dit « plombé », avec Lénine, Kroupskaïa apporte à celui-ci tout son soutien durant les dix mois qui précèdent et préparent la révolution d’Octobre. La victoire des Bolchéviques lui ouvre un vaste champ d’action en matière d’éducation, sans qu'elle obtienne pour autant une position de premier plan, qu'auraient pu permettre ses liens particuliers avec Lénine mais qu'elle ne réclame pas.
De fait, Nadejda, adjointe du Commissaire du peuple à l’instruction, Lounatcharsky, s'occupe d’organisation et d’éducation politique. A ce poste, sans doute plus efficace que celui du ministre avec le sens aigu des réalités qui est le sien, elle pose les bases d’un système éducatif qui vise l’alphabétisation complète du peuple russe. Décrété en 1919, cet objectif est réalisé en moins de vingt ans. Près de soixante millions d’adultes apprennent à lire et à écrire, tandis que la quasi-totalité de la jeunesse est scolarisée.
Kroupskaïa est confrontée à une situation inédite car, selon ses propres mots, s’il s’agit de « détruire l’ancienne école de classe devenue une injustice criante pour créer une école qui réponde aux exigences du système socialiste naissant », la révolution et la guerre civile se sont chargées de réaliser le premier objectif. Tout reste à faire pour établir un système unique d’enseignement envisageant la continuité du primaire au supérieur, par ailleurs centralisé et disposant d'établissements gratuits ouverts à la totalité de la population sans aucune distinction sociale.
La réalisation de ce plan d’éducation s’avère très complexe. Il faut des bâtiments, des manuels, des professeurs et des instituteurs certes formés aux techniques pédagogiques innovantes, mais surtout partisans du nouveau régime. Partout sont organisés des stages et des séminaires destinés au recyclage des enseignants, tandis que sont réquisitionnés une multitude de locaux appartenant aux dignitaires de l’Ancien Régime ou à l’église orthodoxe. Cette stratégie ne s’applique pas seulement en Russie. Au sein des Républiques d’Asie centrale, dans le Caucase, etc., l’effort est le même. Si le russe gagne du terrain par cette scolarisation systématique, l’écrit supplante l’oral dans certaines régions car abécédaires et autres manuels scolaires sont édités dans les langues des peuples de l’URSS.
Enfin, au niveau de la pédagogie, l’effort est tout aussi important et c’est probablement cet aspect qui passionne le plus Kroupskaïa. Les disciplines et les méthodes didactiques sont totalement renouvelées par la notion essentielle d'« enseignement polytechnique » qui regroupe les mathématiques, les sciences naturelles et les sciences sociales. Plus encore, persuadée qu’une société socialiste doit donner une place éminente aux élèves eux-mêmes dans le système scolaire, elle considère que « l’autogestion scolaire doit [leur] donner (…) l’habitude de résoudre ensemble, par des efforts communs, les problèmes qui se posent à eux ». L’expérience menée par Anton Makarenko dans sa célèbre colonie Gorki fondée en 1920 pour les mineurs grands délinquants près de Poltava, puis dans la commune Dzerjinski à partir de 1927, renvoie à ces idéaux, célébrés aujourd’hui dans le monde entier.