Prévention spécialisée - Définition

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Violence et prévention spécialisée : une articulation pertinente ?

Est-il pertinent d'associer la problématique de la violence, à la question fondamentale de l'exercice d'un métier couvert par la prévention spécialisée ? Il y a des risques importants à considérer que la prévention spécialisée est une action qui devrait permettre de résoudre la question de la violence au plan local. Comme il existe également un risque, pour la pérennité même de la mission, mais aussi pour reconnaître ce qu'elle est réellement capable de faire, à ne pas considérer qu'elle agit de manière directe ou indirecte sur les rapports sociaux.

La violence, toutes les études sociologiques confirment, est multiforme. Elle peut être un moyen d'expression d'une revendication, elle peut être l'absence de pensée structurée sur une manière de s'approprier la réalité et de donner réponse aux difficultés rencontrées. Elle est dans tous les cas l'expression d'un système de valeurs prenant sa part dans la socialisation des personnes. Il ne saurait être question de faire, ici, l'état exhaustif de cette problématique. En revanche, considérer que la prévention spécialisée est le moyen de réduire les formes attentatoires de l'intégrité des personnes et résoudre la question de l'incivilité au sens large est plus qu'utopique. En effet, les éducateurs de prévention spécialisée se mobilisent sur des espaces, auprès des populations afin de travailler avec eux la question de leur propre représentation et donc, si possible, influer sur un système de valeurs. Mais, cela ne peut se reposer que sur des rencontres réelles, sur des échanges fondés et des expériences partagées et vécues avec les populations. On le sait, les déterminants socio-économiques sont importants à tel point qu'ils configurent de manière radicale la façon dont les uns et les autres se représentent leur propre situation mais aussi tout leur environnement, fait de contraintes, de déterminisme, d'opportunités, d'alliances possibles et d'oppositions.

Une équipe d'éducateurs spécialisés ne saurait résoudre la violence, avec une ambition qui reposerait essentiellement sur la pacification des liens sociaux entre les personnes, la question des places de chacun, le fait de pouvoir se représenter autrui comme un allié et non comme un opposant, et tout le tissu social environnant comme la source possible d'une harmonie relationnelle. Les tensions sociales existent, les contraintes de classe façonnent le rapport au monde de chacun des individus et des groupes. C'est pourquoi le rôle des éducateurs spécialisés ne peut être très modeste, fondé nécessairement sur l'ambition d'accompagner des générations de jeunes et d'adolescents vers une promotion sociale. Alors nécessairement, tout accompagnement éducatif et d'accès à la citoyenneté pose, à un moment donné ou à un autre de la relation, la thématique de la violence. Elle oblige les uns les autres à réfléchir aux meilleurs moyens qui existent pour arriver à ses fins, mais aussi à l'intégration progressive de ce qui est acceptable ou non dans les rapports devant être instruit dans une société donnée.

Mais, dans la mesure où l'action des éducateurs ne joue que pour une part dans les trajectoires individuelles et collectives - les liens dont disposent les personnes étant nécessairement très développés et allant au-delà de la seule relation éducative dont ils peuvent bénéficier -, il n'est pas envisageable d'attendre la résolution de cette problématique de violence ni sur un terme qui se voudrait court ni comme un objectif qui serait mesurable. La violence répond à la prise en compte de la sécurité, et l'intégralité des liens qui peuvent être noués entre des catégories de population qui parfois s'ignorent ou ont un rapport utilitariste les uns aux autres. C'est parce qu’à un moment donné d'une trajectoire, il devient possible de reconnaître autrui comme un autre soi-même, que le lien à la civilité parvient à être restauré.

Mais, dans le même temps, le fait de considérer comme totalement disjointe l'approche de l'éducation conduite par les acteurs de la prévention spécialisée ne répond pas non plus aux exigences de l'analyse critique. Car il est évident que toute relation humaine, à partir du moment où elle remet du sens, où elle remet de l'altérité en jeu, où elle favorise des possibilités de co construction avec d'autres individus faisant partie d'un tout, elle restaure le lien social, favorise le développement de règles et de régulations. Aussi, la prévention spécialisée, s'adressant aux publics les plus en difficulté - ceux qui sont le plus proche de la marginalisation, ceux qui sont éloignés des institutions de socialisation -, fait le pari d'un arrimage de personnes déliées, et qui peuvent être enserrées dans un système concurrent fondé sur la délinquance parfois dans des formes très structurées. Mais là encore, pour que la prévention puisse agir, il faut lui donner les moyens du temps, celui du temps long, celui des relations instruites au quotidien, et non considérer qu'elle peut, parce qu'elle s'appelle prévention spécialisée et parce que c'est sa mission d'aller au-devant des plus en difficulté qu'elle pourrait, d'un claquement de doigts, résoudre la violence.

Enfin, parce qu'elle est une démarche volontariste et qu'elle met des adultes en situation d'aller au-devant d'adolescents inscrits dans d'autres logiques que celles qui peuvent être acceptées dans un corps social, elle est aussi une action non-violente, une action de dialogue fondée sur la rencontre, et donc éminemment démocratique. De ce point de vue, par son existence même, elle permet véritablement de symboliser une volonté d'apaisement des relations sociales et d'ouverture pour chacun avec le développement espéré et attendu d'un sentiment de possibilités d'évoluer. Complémentairement, pour qu'il ne s'agisse pas seulement que d'une impression produite chez les interlocuteurs des éducateurs, d'autres mises en œuvre et dispositions sont nécessaires dans les quartiers pour que, sur la base d'une exigence réciproque, et non pas seulement sur l'octroi de temps d'animation offerts, les outils et les relais soient réellement positionnés à cette fin.

Mais il appartient alors aux éducateurs de travailler eux-mêmes leur capacité sociale, leur capacité de conviction vis-à-vis de sphères n'ayant pas d'emblée un intérêt pour les populations les plus marginalisées ni pour les quartiers de relégation. C'est donc un travail très important qui doit être conduit par les professionnels. Pour cela, la formation semble ne pas suffire. Car de telles capacités relèvent d'un engagement et d'une volonté de développer en permanence sa compréhension du monde, l'actualiser dans une perspective globale et stratégique. C'est, de ce point de vue, l'intérêt d'un métier que de pouvoir offrir à ceux qui s'y impliquent, une finalité qui déborde la simple technique éducative et la simple animation culturelle nécessaire lors des petites et des grandes vacances scolaires pour éviter les conflits et la violence à un moment donné. Pour les éducateurs, comme pour tout adulte responsable, et se sentant dans l'obligation d'accompagner les jeunes générations, l'action de prévention spécialisée se constitue comme le message selon lequel il devient possible, ensemble, d'élaborer du sens commun tout en façonnant de manière constructive la relation à soi et aux autres. Charge alors aux équipes de direction de travailler cette question, de mettre en place de l'analyse de la pratique, de la réflexion permanente sur les enjeux transversaux de la socialisation des personnes, sur le plan économique, sur le plan sociologique et sur le plan philosophique.

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