Leopold Kohr (5 octobre 1909 à Oberndorf, Autriche près de Salzbourg, † 26 février 1994 à Gloucester, Angleterre), économiste, juriste, théoricien politique et philosophe.
Kohr fut à l'origine, et pendant près de 25 ans le seul avocat, du concept d'échelle humaine et de l'idée d'un retour à la vie en petites communautés. En 1983 il reçut le prix Nobel alternatif.
Il est à l'origine du slogan qui deviendra en 1973 le titre d'un livre célèbre de son disciple et ami E. F. Schumacher : Small is beautiful.
Il est plus connu pour le provoquant « Chaque fois que quelque chose va mal, quelque chose est trop gros » qui résume la plus grande partie de son œuvre.
Il a aussi écrit :
Kohr se décrit lui même comme un anarchiste philosophique. Fasciné par les tentatives de ses contemporains des « sciences dures » d'élaborer des théories unitaires, il avait pour ambition de montrer que certaines grandeurs physiques sont pertinentes en sciences sociales, et d'y développer une théorie du tout.
Même dans les années 50, quand tout le monde pensait que la croissance pouvait résoudre tous les problèmes Kohr était un ferme opposant de cette idée. Il voulait un monde à la mesure de l'homme. Ses théories anticipent de plusieurs décennies les idées écologistes de décroissance soutenable ou de développement endogène.
Après avoir identifié les misères dont souffre l'humanité (tyrannie, guerre, pauvreté…), Kohr a analysé les explications qui en ont successivement été données de l’Antiquité au XXe siècle. À partir de nombreux cas concrets il a pointé les qualités et les défauts de toutes ces explications. S'appuyant sur cette analyse et cette diversité de cas concrets de tous types il a recherché les causes premières de ces misères :
À partir de ces principes généraux Kohr identifie la taille d'une population comme étant l'élément décisif des misères dont elle souffre. La taille intervient pour une société à la manière dont elle intervient pour un gratte-ciel : au fur et à mesure qu'on leur rajoute des étages il faut ajouter des ascenseurs, jusqu'à ce que les étages inférieurs soient entièrement occupés par les cages d'ascenseurs.
La vitesse est le second élément qui module le premier. Plus la vitesse d'une population est élevée plus l'effet de sa taille se fait sentir en raison de l'augmentation des interactions effectives entre individus.
Kohr vérifie ces hypothèses sur de nombreux cas réels, anciens ou très récents, et se risque à des pronostics, susceptibles de réfuter sa théorie, qui le feront entrer dans le cercle très restreint des théoriciens en sciences sociales dont des prévisions à long terme se sont réalisées. Dès 1950 il prévoit l'effondrement inéluctable de l'URSS en raison de sa taille et de sa centralisation excessives. Il prévoit également que la conséquence en sera la transformation des États-Unis d'Amérique en un empire mondial dictant ses exigences à l'ensemble des gouvernements de la planète, et ceci quel que soit son niveau de démocratie interne.
Le style littéraire de Kohr est basé sur de nombreuses anecdotes qui illustrent ses vues ou réfutent les vues de ses prédécesseurs et les lieux communs les plus solidement ancrés. Une de ses anecdotes préférées concernait les avantages, pour un individu, de vivre dans un État de petite taille. Il s'était rendu au Liechtenstein, principauté de 17 000 habitants entre la Suisse et l'Autriche, et souhaitait rencontrer le Premier ministre. Il se rendit au château, sonna à la porte, et l'homme qui ouvrit la porte et le fit entrer, qu'il prit tout d'abord pour un employé, se révéla être le Premier ministre lui-même. Et quand, alors qu'ils étaient assis dans son bureau et bavardaient, le téléphone sonna, le ministre décrocha et dit « Gouvernement ». Dans un petit pays comme celui-là le gouvernement est toujours là, prêt à répondre au téléphone et à s'occuper de vos problèmes.
Le Liechtenstein lui fournit d'autres exemples pour exposer ses idées :
ou :
Mais c'est la Suisse qui est son exemple préféré. Ce petit pays est une des nations les plus riches, les plus démocratiques et les moins violentes du monde, avec le système social le plus décentralisé. La confédération helvétique, fondée en 1291 est probablement un des États-nations les plus durables au monde. Elle n'a pas participé à une guerre depuis 1515 et est restée neutre depuis 1815. Bien qu'elle ait adhéré récemment à l'ONU, elle a toujours évité de participer à l'OTAN ou à l'Union européenne. Si on réalise que la Suisse est en réalité constituée de 21 États souverains, les cantons, qui sont eux mêmes non pas subdivisés mais des associations de communes, on commence à comprendre comment fonctionne une démocratie.
Grand admirateur du Moyen Âge Kohr ne perdait pas une occasion de répliquer à ceux qui lui reprochaient de vouloir revenir à cette époque de misère économique et culturelle et de guerres incessantes que le Moyen Âge avait produit un bon nombre des plus beaux monuments et ensembles architecturaux de l'Europe et que les guerres médiévales ne pouvaient être comparées aux deux grandes tueries déclenchées par l'existence même des États-nations.
Kohr fut également le promoteur de la notion de développement endogène. Pour lui les pays sous-développés ne peuvent que s'enfoncer dans la misère et les écarts croissants de niveau de vie par leur intégration trop importante dans le commerce mondial. Ce n'est qu'une fois bien engagés sur le chemin du développement qu'ils sont assez solides pour s'ouvrir. Il réfute les vertus du libre-échangisme par le fait que l'humanité dans son ensemble est une communauté autarcique, et que si le libre-échangisme permet à certains de s'élever au-dessus de la moyenne imposée par l'isolement de la terre dans l'univers, ce ne peut être qu'au prix de la misère des autres.
Dans Le Duc de Bon-Conseil il élabore le scénario d'un roman de politique fiction où ce bidonville de Porto Rico devient une cité-État prospère en appliquant ses préceptes. L'article se termine par une pirouette où Kohr avoue que le scénario est en réalité celui des débuts de Venise, et qu'il est très semblable à l'histoire de bien d'autres micro-États de l'Antiquité et du Moyen Âge.