Ludwik Fleck (son prénom est parfois écrit Ludwig) (31 juillet 1896 - 5 juillet 1961) était un médecin, biologiste et sociologue polonais. Dans les années 1930, il introduit le concept de « collectif de pensée » (Denkkollectiv) qui aura une influence sur la philosophie des sciences et le constructivisme social. Cette notion qui s'applique à l'histoire des idées scientifiques est comparable au paradigme de Thomas Kuhn ou à l'épistémè de Michel Foucault.
Ludwik Fleck est né à Lvov, une ville majoritairement polonaise sous partage Russe et il grandit dans la province de Galice qui appartenait alors à l'Autriche. Il étudie au lycée polonais puis à l'université de Lvov où il obtient son diplôme de médecin. En 1920, il devient l'assistant de Rudolf Weigl, spécialiste du typhus et il se fait confier une chaire de biologie à l'université de Lvov. Il travaille de 1923 à 1935 au département de médecine interne à l'hôpital de Lvov, puis devient directeur du laboratoire de bactériologie des assurances sociales locales. À partir de 1935, il travaille dans un laboratoire de bactériologie qu'il avait lui-même fondé.
Lors de l'occupation de Lvov par les Allemands en 1941, il est déporté dans un ghetto juif, mais il continue ses recherches à l'hôpital. Il parvient à fabriquer un vaccin à partir de l'urine de ses patients atteints du typhus. Ses travaux sont découverts par l'occupant allemand et il est arrêté en décembre 1942. Il est déporté au Laokoon – une usine pharmaceutique – pour y produire un sérum. Le 7 février 1943, il est envoyé au camp de concentration d'Auschwitz où il est chargé du diagnostic de la syphilis, du typhus et d'autres affections à partir de tests sérologiques. De décembre 1943 à la libération de la Pologne le 11 avril 1944, il est détenu au camp de Buchenwald.
Il a obtenu la Croix d'officier de l'Ordre de la Renaissance de la Pologne.
Fleck est l'auteur d'un ouvrage principal intitulé Genèse et développement d'un fait scientifique (1935). Pour lui, la vérité en science est un idéal inatteignable (si elle n'est pas considerée comme dynamique, et évolutive) par des communautés scientifiques enfermées dans des pensées qui leurs sont propres. Il estime que le développement des systèmes de représentation utilisés par les sciences n'est pas continu et unidirectionnel, et qu'il ne se fait pas seulement par l'accumulation successive de nouvelles lois, mais aussi par la suppression des anciennes. Le principe de cette approche est repris aujourd'hui par les représentants du constructivisme social.
L'un des principaux aspects de la théorie de la connaissance de Fleck est qu'elle met en avant le caractère essentiellement collectif de la recherche scientifique. Toute hypothèse, toute connaissance et toute théorie scientifique émergent, selon lui, au sein de ce qu'il appelle un « style de pensée » (Denkstil). Ce « style de pensée » correspond à l'ensemble des normes, des principes, des concepts et des valeurs propres à l'ensemble des savoirs et des croyances à une époque donnée. Ce concept peut donc être comparé à ce que l'on appelle un « style » en art ou en architecture, lequel correspond à l'ensemble des règles et des valeurs propres à une époque ou un courant artistique. La notion de « style de pensé » a souvent été comparée au paradigme chez Thomas Kuhn qui a d'ailleurs été influencé par les travaux de Fleck.
Cette notion de « style de pensée » est indissociable de celle de « collectif de pensée » qui, selon Fleck, est à l'origine des normes de pensée propres au « style de pensée ». Il s'agit d'un système clos et hiérarchisé qui prend notamment la forme de la communauté scientifique, mais qui inclut plus largement l'ensemble de la structure hiérarchique d'une société. Il y a donc chez Fleck une certaine forme de holisme selon lequel toute connaissance singulière doit être rapportée à l'ensemble des connaissances propres à une époque donnée, mais encore à l'ensemble des institutions et des pratiques propres à cette même époque.
Cette conception de la science est illustrée à travers des exemples tirés de la médecine et, en particulier, de l'histoire de la syphilis. On considère en général les maladies et les pathologies comme des faits scientifiques, c'est-à-dire comme des entités objectives qu'auraient en commun tous les patients qui en sont atteints. Or dans le cas de la syphilis, Fleck s'aperçoit que le concept de cette maladie tel qu'il s'est constitué depuis le XVe siècle est en réalité un produit culturel, chargé de toutes sortes de représentations collectives liées à la sexualité ou à la corruption du sang. Dès lors, concevoir les maladies du point de vue de leur historicité devient essentiel à l'étude de ce que l'on considère comme des faits scientifiques.