Depuis longtemps, la littérature et les perversions font bon ménage. On citera ici quelques œuvres célèbres qui ont aidé notre compréhension de certains comportements atypiques :
Alors que la position freudienne souhaitait orienter la question de la perversion vers une perspective purement sémiologique et non moralisatrice de l'étude des conduites sexuelles, cette position est rarement respectée. On assiste aujourd'hui à un débat confus où trois points de vue concurrents coexistent sans réellement s'éclairer. À savoir :
La théorie psychanalytique a lentement évolué par rapport à la théorie freudienne, rappelée ci-dessus.
Donald Meltzer critiqua la théorie freudienne, trop centrée sur une sexualité génitale hétérosexuelle, alors même que Freud reconnaît, en l'étayage de la sexualité sur le besoin alimentaire, la perversion fondamentale de toute sexualité humaine.
La sexualité humaine se distingue de la plupart des sexualités animales par sa séparation de la reproduction : c'est là, non pas une anormalité, mais bien une caractéristique essentielle de ce que Donald Winnicott nomme "la nature humaine".
L'apport de Jacques Lacan insiste sur l'origine de l'orientation perverse. Selon lui, le « point d'ancrage » dans la structure perverse est à chercher dans l'identification pré-génitale de l'enfant (avant la crise œdipienne) : à cette époque la mère représente la figure phallique par excellence, le père ne le devenant qu'après la crise œdipienne et, en grande partie, dans la mesure où le discours maternel lui en laisse la place.
Joyce McDougall interroge la perversion comme création d'une "néo-sexualité" : cette "nouvelle" sexualité se fonde sur une scène primitive réinventée. La représentation de l'acte sexuel entre les parents sort du commun ; elle est "lacunaire" au sens où la personne "perverse" n'en comprend pas les éléments.
S'il y a tentative de résoudre l'angoisse de castration par l'érotisation de ce qui fut insupportable, la sexualité œdipienne n'en est pas tout l'enjeu. Là où Freud présentait des défenses perverses spécifiques face à une situation "œdipienne", McDougall insiste sur la sexualité archaïque venant protéger le sujet fragile, suite à une position dépressive très défaillante.
Certains psychanalystes s'interrogent également sur l'intérêt de maintenir le triptyque névrose / psychose / perversion, notamment à la suite de l'abus et du dévoiement de ces notions dans le langage courant.
Les défenses perverses peuvent cependant amener le psychanalyste à penser autre chose que la perversion. Selon cette ligne de pensée, l'enjeu sera de repérer la présence de la perversion dans les différentes « maladies mentales ».
Miguel Benasayag utilise une définition de la perversion vis-à-vis de la réalité et de la temporalité. Si le psychotique s'invente une réalité tandis que le névrosé la subit avec difficulté, pour sa part le pervers joue avec elle dans un rapport qui ne laisse pas de place au temps, à la temporisation dans laquelle risque de s'installer la peur :
« Alors il faut de l'instantané, de l'immédiat. C'est un élément fondamental dans la perversion, c'est-à-dire l'attaque contre les liens, dans le sens de Mélanie Klein, c'est-à-dire pas de concept, pas de pensée, pas de sas pour penser, pas de réactions, seulement des actes réflexes ! »
Pour Marie-Claude Defores et Yvan Piedimonte, la perversion est un système déshumanisé et déshumanisant, refusant le symbolique, qui s'organise autour de la haine et du déni.
« L’hypnose, la subjugation, sont les conséquences de la menace déniée qui organise le système. Le langage n’est fait que de signifiés, de mots sans résonance personnelle, fondés sur une hyperlogique froide, réductrice, séductrice, et qui injectent des schémas préétablis de comportement. Il s’agit en fait d’imprégner dans la psyché de l’enfant le scénario premier que nous appelons profanation. Ce scénario est établi sur la négation de l’être et vise à le contraindre à croire qu’il n’est que de la matière, dont la seule vocation serait celle d’être un instrument au service du confort ou de la jouissance de l’autre. […] La perversion fait faire le travail par la personne elle-même pour l’amener à une auto-réduction de son identité. La pression exercée par la haine est si grande, tout en étant silencieuse parce qu’inscrite dans du déni, qu’elle fait impact sur l’enfant en le mettant en état de non conscience. »
Saverio Tomasella propose une vision concrète de la perversion quant à ses rouages (organisés autour du pouvoir, de la jouissance et de la domination) et ses fonctionnements (fascination, mystification, séduction).
« La perversion n'est pas seulement un savoir sur la jouissance, mais aussi un savoir sur la façon d'enfermer l'autre dans la jouissance, de mieux le tenir à sa disposition et l'utiliser à sa guise. La perversion est surtout un savoir faire sur l'emprise, une manière de prendre le pouvoir sur l'autre pour le dominer sans qu'il s'en aperçoive et sans qu'il puisse se défendre, quitte à le détruire en le dépréciant sans cesse et en niant durablement son existence. »
Il suffit de consulter le Manuel alphabétique de psychiatrie d'Antoine Porot où les notions de perversité et de perversion sont abordées sans nuance sous l'angle de la morale pour constater l'écart conceptuel qui existe entre la psychiatrie et la psychanalyse sur ce problème.
Plus surprenant, un autre auteur Henri Ey commence son article Perversité et perversions par ce qu'il appelle une « analyse génétique du développement de la personne morale ». La seconde partie de son article (B. La « perversité » naturelle et pathologique) commence par cette affirmation tautologique : « sous son aspect le plus général et négatif, le mal se confond avec l'absence de moralité et toute action est dite immorale lorsqu'elle échappe au contrôle de la conscience morale. »
Nous sommes ici dans ce que Pierre Kaufmann appelle une « collusion » des principes moraux avec ce qui devrait y échapper, à savoir une pure approche sémiologique. C'est probablement parce que la psychiatrie n'a pas su se préserver de cette collusion que le discours social s'est emballé au point de faire du pervers l'incarnation du mal.
Ces dernières années ont vu se développer un discours social sur le mode défensif de l'aveuglement par le recours aux émotions. Ce discours moralisateur utilise les notions de pervers et de perversité de façon particulièrement stigmatisantes. Ce discours vise principalement :
L'acte sexuel induit par la pédosexualité, dite improprement pédophilie (abus sexuel sur l'enfant) est illicite, condamné par les législations de la plupart des pays du monde, dans le but de préserver les mineurs des visées génitales d'individus adultes. La limite d'âge en deçà de laquelle les relations sexuelles entre un adulte et un mineur sont délictueuses ou criminelles est définie par la loi de chaque pays en fonction de sa culture et de son actualité.
Certains auteurs ont abordé la question du harcèlement moral ou sexuel sous l'angle de la perversité. Là encore, d'autres personnes pensent qu'il suffit de les qualifier de délits punissables par les lois nationales.
D'après ces derniers, en faire avec le docteur Porot une perversité définie comme « l'intervention d'une malignité plus ou moins affirmée dans la conception ou l'exécution d'un acte, sinon dans la conduite occasionnelle ou habituelle d'un individu » n'ajoute rien au délit. Ils argumentent que ce recours insidieux à la notion de perversité dans une qualification judiciaire a beaucoup d'inconvénients :