Le théorème des quatre carrés de Lagrange, aussi connu sous le nom de conjecture de Bachet et démontré en 1770 par le mathématicien français Joseph Louis Lagrange correspond à une équation diophantienne qui se résout avec les techniques de l'arithmétique modulaire. Il s'énonce de la façon suivante :
Plus formellement, pour tout entier positif n, il existe des entiers positifs a, b, c, d tels que :
Le mathématicien français Adrien-Marie Legendre améliora le théorème en 1798 en affirmant qu'un entier positif peut être exprimé comme la somme d'au plus trois carrés si et seulement s'il n'est pas de la forme
Sa démonstration était incomplète, laissant une brèche qui fut comblée plus tard par le mathématicien allemand Carl Friedrich Gauss.
Le théorème des quatre carrés de Lagrange est un cas particulier du théorème du nombre polygonal de Fermat (en) et du problème de Waring.
La démonstration du théorème repose (en partie) sur l'identité des quatre carrés d'Euler :
Nous allons travailler sur l'ensemble des quaternions d'Hurwitz, également appelés entiers d'Hurwitz, qui sont des quaternions particuliers.
Les entiers d’Hurwitz sont les nombres de la forme : a.(1 + i + j + k) / 2 + b.i + c.j + d.k avec . Avec h = (1 + i + j + k) / 2, on peut écrire l’ensemble des entiers d’Hurwitz sous la forme
On a alors la somme et le produit des deux entiers d’Hurwitz est un entier d’Hurwitz (les entiers d'Hurwitz forment un sous anneau de l'anneau formé par l'ensemble des quaternions, l'addition et la multiplication usuelles).
On rappelle que la norme d’un quaternion (et donc d’un entier d’Hurwitz) de la forme α = a + b.i + c.j + d.k est
Il existe donc 24 nombres unités : 8 formés par et 16 formés par
On démontre que si deux nombres s’écrivent sous forme de somme de quatre carrés, alors leur produit s’écrit aussi sous forme de somme de quatre carrés. On peut le démontrer, soit à partir de l’identité des quatre carrés d’Euler, soit en écrivant que la norme d’un produit est le produit des normes.
Les entiers d’Hurwitz obéissent à la propriété de la division selon laquelle, de la même manière qu’avec la division euclidienne :
Si a et b sont des entiers d’Hurwitz, b non nul, il existe un quotient q et un reste r tel que :
a=b.q+r avec , q et r étant des entiers d’Hurwitz.
Les quaternions d'Hurwitz forment donc un anneau euclidien à gauche et à droite.
Par exemple :
Comme 2 + 3i = (1 + i).(2 + i + j) + (1 − j − k),
2+3i divisé par 1+i admet comme couple (quotient,reste) le couple (2+i+j,1-j-k) Ce couple n’est pas unique puisque cette division admet aussi le couple (2+i+k,1+j-k)
On dira que a divise b (ou que a admet comme diviseur b) s’il existe q tel que a = b.q. q est alors unique.
Un entier d’Hurwitz p est premier s’il n’admet comme diviseur que les nombre unités et p fois les nombres unités.
Or, si a divise b, divise . Donc si est premier, il ne peut exister d’entier divisant x ayant une norme différente de 1 ou de , donc x est un nombre d’Hurwitz premier.
1+i est, par exemple, un entier d’Hurwitz premier, car est premier.
On peut définir un algorithme d’Euclide dans , de la même manière que dans .
On peut ainsi trouver un plus grand diviseur commun à a et b (noté pgcd(a ,b)), c'est-à-dire celui ayant la plus grande norme. En toute rigueur, étant donné la non commutativité de cet ensemble, on doit définir un plus grand diviseur commun à droite, et un plus grand diviseur commun à gauche.
De même que dans , on peut alors trouver u et v tels que pgcd(a,b)=a.u+b.v, avec u et v des entiers d’Hurwitz.
Si p est un entier réel d’Hurwitz premier (c'est-à-dire un nombre premier appartenant à ) , et qui divise a.b, où a et b sont des entiers d’Hurwitz, alors p divise a ou p divise b.
Preuve
Supposons que p premier divise a.b mais ne divise pas a. Alors, un pgcd de a et p est 1, et il existe u et v tels que au+pv=1.
Alors en multipliant par b de chaque coté, on obtient bau+bpv=b. p divise ab donc bau, et p divise p donc bpv (comme p appartient à , p commute avec les quaternions) .
Donc p divise b.
Tout d’abord, remarquons que 0, 1 et 2 peuvent s’écrire sous forme de somme de 4 carrés (0 = 02 + 02 + 02 + 02;1 = 12 + 02 + 02 + 02 et 2 = 12 + 12 + 02 + 02).
Tout entier premier de qui n’est pas un entier d’Hurwitz premier peut s’écrire sous forme de somme de quatre carrés.
Preuve
Soit p remplissant les conditions précédentes. On peut donc écrire p sous la forme p = (a + bi + cj + dk)γ , avec et
On a alors le conjugué de p (égal à p puisque p appartient à ) :
Alors
car
Donc avec (a2 + b2 + c2 + d2) et strictement supérieure à 1 et strictement inférieure à p.
Étant donné que p est premier, la seule décomposition de p2 est donc p.p. On en déduit que (a2 + b2 + c2 + d2) = p.
Si a, b, c et d sont des entiers, p s’écrit comme somme de quatre carrés.
Si ce sont des demis-entiers, on peut alors trouver w tel que :
et a + bi + cj + dk = w + a1 + b1i + c1j + d1k avec a1,b1,c1 et d1 des entiers pairs. On remarque que
On a alors :
p = (a + bi + cj + dk)(a − bi − cj − dk)
Or comme a1,b1,c1 et d1 sont des entiers pairs,
ne donnera que des entiers et sera donc de la forme A+Bi+Cj+Dk, avec A, B, C et D des entiers. De même pour son conjugué, d’où : p = (A + Bi + Cj + Dk)(A − Bi − Cj − Dk) = A2 + B2 + C2 + D2
Donc p s’écrit comme somme de quatre carrés.
Soit p un entier premier impair, alors il existe l et m tels que p divise 1 + l2 + m2 (p, l et m appartenant à )
Preuve
Soit p premier impair. Les différentes classes de congruence modulo p sont 0, 1, -1, ..., (p-1)/2, -(p-1)/2. Il y en a donc p.
est équivalent à ( a b ou a –b ) (modulo p). Les différents carrés modulo p sont donc 02,12,...,((p − 1) / 2)2. Il y en a donc 1 + (p − 1) / 2 = (p + 1) / 2.
De même pour − 1 − m2, il y a (p + 1) / 2 éléments qui sont de cette forme, différents, modulo p. Supposons que ces deux ensembles soient disjoints. Alors il y aurait (p + 1) / 2 + (p + 1) / 2 = p + 1 éléments dans , ce qui est faux puisqu’il y en a p. Donc au moins un élément est simultanément de la forme l2 et de la forme − 1 − m2 modulo p, donc il existe l et m tel que modulo p c'est-à-dire modulo p.
Il existe donc l et m tel que p divise 1 + l2 + m2.
Tout entier de peut s’écrire sous forme de somme de quatre carrés.
Preuve
Soit p un entier impair premier. Il existe donc d’après le lemme précédant l et m entier tel que p divise 1 + l2 + m2. Donc p divise 1 + l2 + m2 = (1 + li + mj)(1 − li − mj).
Supposons que p soit un entier d’Hurwitz premier. Alors d’après un théorème précédant, p divise 1 + li + mj ou p divise 1 − li − mj. Or, ni ni ne sont des entiers d’Hurwitz. Donc p n’est pas un entier d’Hurwitz premier.
D’après le théorème précédant, p peut donc s’écrire sous forme de somme de quatre carrés.
Donc, si p est un entier impair premier, p peut donc s’écrire sous forme de somme de quatre carrés.
Si p=0, p=1 ou p=2, nous avons déjà vu que p peut s’écrire sous forme de somme de quatre carrés.
Si p est un entier, non premier, strictement supérieur à 2, alors p peut s’écrire sous forme de produit de nombre premiers. Ces nombres premiers peuvent s’écrire sous forme de carrés, et leur produits aussi, d’après la remarque sur l’identité des quatre carrés d’Euler. Donc p peut s’écrire sous forme de somme de quatre carrés.
Finalement, tout élément de peut s’écrire sous forme de somme de quatre carrés.