Un océan de silicium

Publié par Michel le 03/01/2013 à 12:00
Source: CNRS - INSU
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Deux chercheurs du Laboratoire des sciences de l'environnement marin (LEMAR/IUEM, CNRS / Université de Brest / IRD / Ifremer) ont réexaminé, à l'aide de nouvelles données, le bilan du silicium dans l'océan et leurs résultats remettent en question ce qui était admis jusqu'à présent. En particulier, les apports de silicium à l'océan s'avèrent globalement nettement plus importants que prévu, les apports en provenance des résurgences et surtout des marges continentales étant loin d'être négligeables.

Les diatomées, micro-algues à carapaces siliceuses, produisent à elles seules par photosynthèse le quart de l'oxygène que nous respirons. Ce faisant, elles consomment du dioxyde de carbone (CO2) et jouent de ce fait un rôle majeur dans la pompe biologique de CO2 en assurant près de 50 % de l'exportation du carbone de la couche de surface des océans vers les abysses. En outre, elles sont uniques parmi les organismes photosynthétiques marins par leur besoin absolu de silicium pour constituer leurs frustules de verre, ce qui constitue une des raisons pour lesquelles le cycle du carbone et celui du silicium sont fortement liés. Curieusement, les modèles climatiques ont néanmoins longtemps ignoré le silicium, leur composante biogéochimique destinée à quantifier les flux de carbone étant uniquement basée sur la limitation par l'azote et/ou le phosphore inorganiques dissous.


Diatomées (microalgues à frustules siliceux). © LEMAR/IUEM


Diatomées (microalgues à frustules siliceux). © LEMAR/IUEM

D'une façon générale, le silicium peut être apporté à l'océan depuis:
- les continents, par les fleuves, les résurgences d'eau douce et les marges continentales, lesquels sont alimentés en silicium par - le lessivage des roches et sols siliceux par les pluies (la silice se dissout dans l'eau en donnant de l'acide silicique souvent dit "silice dissoute") ;
- les fonds marins par les sources hydrothermales profondes ;
l'atmosphère.

En 1995, un groupe international publiait dans Science (1) un article sur le budget du silicium dans l'océan mondial actuel, article qui donnait notamment une estimation des apports par les fleuves, les sources hydrothermales et l'atmosphère, les apports par les résurgences d'eau douce et par la dissolution des matériaux siliceux accumulés sur les marges continentales étant considérés alors comme négligeables. Cette publication, qui a fait date, est devenue l'un des piliers de la biogéochimie marine pour les observations de terrain, les expérimentations en laboratoire, les études de processus en mer et la validation de modèles.

Bénéficiant de nouvelles données rendues accessibles depuis lors, deux chercheurs du LEMAR, dont le premier auteur de l'article de 1995, ont repris ce travail en réalisant de nouvelles estimations incluant cette fois les résurgences et les marges continentales.

Ils ont montré que les apports nets de silicium à l'océan mondial en provenance des continents avaient été largement sous-évalués. Si les apports des fleuves (essentiellement ceux des grands fleuves de la zone tropicale et équatoriale) restent prédominants (61 % du total des apports), ceux provenant des marges continentales représentent 20 % du total et ne peuvent donc plus être négligés. Quand aux apports des résurgences d'eau douce à l'océan côtier, ils s'avèrent aussi importants que ceux des sources hydrothermales profondes et de l'atmosphère, lesquels sont d'égale importance.

Les flux d'entrée du silicium à l'océan étant plus importants que précédemment évalués, les chercheurs ont recalculé le temps de résidence du silicium (2) présent dans l'océan sous forme de silice dissoute. Évalué à 10 000 ans, il s'avère être de 35 % inférieur à celui précédemment estimé. Or, un atome de silicium délivré par la planète solide à l'océan tourne 25 fois en moyenne dans le cycle biologique (assimilation par les diatomées puis dissolution des débris siliceux dans l'eau de mer, puis ré-assimilation...) avant de quitter la phase liquide et d'être enfoui dans les sédiments marins sous forme d'opale, un minéral siliceux qui contribuera ensuite sur le très long terme à la formation de minéraux silicatés plus complexes. Un temps de résidence plus court signifie que le silicium va donc "tourner" plus rapidement que prévu dans le cycle biogéochimique.

Enfin, les auteurs ont démontré que dans le réservoir profond de l'océan, contrairement à ce qui était admis jusqu'à présent, le recyclage du silicium par dissolution de silice biogénique (silice intégrée aux diatomées) se déroule prioritairement à l'interface eau – sédiment (75 %), et non dans la colonne d'eau (25 %), ce dont devront désormais tenir compte les modèles globaux physique – biogéochimie.

Il ressort de ces résultats que, si seul le puits d'opale sédimentaire dû aux diatomées est pris en compte, il y a plus d'apport de silicium à l'océan (sources) que d'export (puits). Pour que le budget du silicium puisse atteindre l'équilibre, d'autres puits sont donc nécessaires: le puits de silice dû aux éponges siliceuses (particulièrement abondantes dans les eaux riches en silice dissoute de l'Antarctique et du Pacifique Nord) pourrait être un bon candidat. L'incertitude sur ce puits est cependant telle que l'hypothèse d'un cycle du silicium à l'état non stationnaire dans l'océan moderne n'en demeure pas moins envisageable.


Cycle biogéochimique du silicium dans l'océan mondial à l'état d'équilibre.
La ligne pointillée représente la limite entre les estuaires et l'océan, les flèches grises les flux d'acide silicique
et les flèches noires les flux de particules de silice biogénique ;
tous les flux sont exprimés en tera (10^12)-moles de silicium par an.


Abréviations: FR(gross) / (net), apports fluviaux bruts / nets ; FRW, dépôts de silice biogénique dans les estuaires ; FGW, flux des résurgences ; FA, entrées éoliennes ; FH, entrées hydrothermales ; FW, entrées par dissolution des minéraux déposés sur les marges ; FP(gross), production brute de silice biogénique (diatomées) ; FD(surface), flux d'acide silicique recyclé dans le réservoir de surface ; FE(exportation), flux de silice biogénique exportée vers le réservoir profond ; FD(profond), flux d'acide silicique recyclé dans les eaux profondes ; FD(benthique), flux d'acide silicique recyclé à l'interface eau-sédiment ; FS(rain), flux de silice biogénique en sédimentation et atteignant l'interface eau-sédiment; Fupw/ed, flux d'acide silicique transféré du réservoir profond à la couche de surface (upwelling, diffusion turbulente) ; FB(netdeposit), dépôt net de silice biogénique dans les sédiments côtiers et abyssaux ; FSP, puits net de silice biogénique du aux éponges des plateaux continentaux.


Notes:

(1) Tréguer P., Nelson D.M., van Bennekom A.J., DeMaster D.J., Leynaert A., Quéguiner B. (1995) The balance of silica in the world ocean: a re-estimate. Science, 268: 375-379.

(2) Le temps de résidence du silicium se situe entre ceux de l'azote (< 3 000 ans) et du phosphore (30 000 à 50 000 ans)


Référence:

Tréguer P. & De La Rocha C., The world ocean silica cycle, Annual Review of Marine Science, 2013, doi:10.1146/annurev-marine-121211-172346.
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