L’outrage fait aux sépultures |
« Ces tombeaux étaient en marbre ; on a enlevé les marbres, et on a laissé les os pour que le public puisse en faire des castagnettes. Le cœur de Calixte II, pape était placé derrière le maitre autel dans une obélisque (sic) en pierre commune ; on a laissé le tout à l’adjudicataire pour en faire son profit […] Dans une chapelle de l’église, dédiée à tous les saints, il y avait une gloire à la Bernine (sic) ; un tombeau en l’air et en saillie au-dessus de l’autel, et soutenu par deux anges presque de grandeur naturelle, et qui paraissaient se soutenir eux-mêmes à l’aide de leurs ailes, portaient et soutenaient le tombeau chacun de leur côté ; il renfermait beaucoup de reliques. Tout a été vendu […] Le tombeau d’Alix et ses os sont restés avec les décombres parce que la matière en pierre ne méritait pas d’être conservée… » . |
La renommée du monastère est telle que les ducs de Bourgogne de la première génération, les descendants d’Hugues Capet, choisissent ce haut-lieu de la chrétienté pour sépulture. Plus de soixante membres de la Maison de Bourgogne y seront ensevelis. Parmi la longue liste citons : Eudes Ier, mort en 1102 en Palestine, qui, transporté, est inhumé en 1103, son fils Hugues II († 1143), son fils Henri de Bourgogne († 1178), évêque d’Autun, Eudes II († 1162) ainsi que son fils Hugues III, mort en 1192, à Tyr, Eudes III mort en 1218 à Lyon, et citons également le dernier de la lignée des ducs capétiens, Philippe de Rouvres († 1361). Ainsi que des personnages célèbres et moins célèbres tels : le bienheureux Alain de Lille, docteur universel, convers de Cîteaux († 1202 ou 1203), Bernard de Clairvaux, Guy de Bourgogne, archevêque de Vienne et légat du pape, devenu lui-même pape sous le nom de Calixte II, († le 10 décembre 1124), Robert de Bourgogne, comte de Tonnerre († 1315), Agnès de France, fille de Louis IX, Perrenot de Champdivers († 1348) bourgeois de Dijon, Philippe de Vienne, († 1303), seigneur de Pagny, Philippe Pot, († 1494) sénéchal de Bourgogne, et bien sûr prélats, prieurs et religieux.
Durant des siècles, les plus précieux monuments et les sanctuaires les plus chers ont offert aux vénérables une paix éternelle en ce lieu. Mais l'abbaye est vendue sous la Révolution. L'adjudicataire en a fait son profit : tombeaux et pierres tombales sont saccagés : (Voir encart : L’outrage fait aux sépultures). Seul vestige rescapé, le célèbre tombeau de Philippe Pot, exclu de la vente comme bien national, est aujourd’hui visible au musée du Louvre.
Il règne au sein du monastère une vie austère, ritualisée et réglée par le son des cloches. Prières liturgiques, pratique des vertus monacales, travail et silence, telle est la vocation du moine selon la règle de saint Benoît. Le silence en est un des principes fondamentaux, mis en avant par les premiers pères du monachisme. C'est un élément jugé indispensable pour aider les moines à surmonter le péché qu’ils s’étaient engagés à vaincre. Pour Basile le Grand (329, Césarée - 379), le respect de la règle du silence permet aux novices de développer la maîtrise de soi tout en contribuant aux progrès de l'étude ; pour Benoît de Nursie, c’est « l’instrument des bonnes œuvres ». Pourtant, pour la bonne marche de leurs occupations quotidiennes ponctuées par le travail, la méditation et le repos, les religieux ont à échanger des informations. Ils ont élaboré un moyen qui ne perturbe pas le silence des autres en utilisant un langage qui semble remonter au tout début du monachisme : la langue des signes monastique.
Il est probable que Robert de Molesmes avait adopté, et adapté, l’un de ces systèmes à Molesmes, système ensuite transmis au nouveau monastère de Cîteaux.
Ce système doit permettre la transmission d’informations pratiques en silence plutôt que d’être un outil de communication. Une liste de Clairvaux répertorie 227 signes, qui couvrent les domaines de la vie monastique : la nourriture, la boisson, les objets liturgiques et ecclésiastiques, les membres de la communauté, les bâtiments, les ustensiles, etc. Des lexiques de ce type, plus ou moins longs, sont également utilisés tous les jours dans les autres monastères de l’Ordre. La rigueur de la règle rend son application difficile et les moines se montrent réticents à l’appliquer. Ainsi, le Chapitre Général met plusieurs fois la communauté en garde contre ce langage également utilisé pour les conversations plus futiles voire les plaisanteries. L’application de la règle, se relâchant au fil des siècles, entraine la disparition de ce système de langage par signes : au XVIIe siècle, pratiquement plus aucun monastère ne l'applique significativement. La réforme de la Stricte Observance, du père Armand de Rancé de l'abbaye de La Trappe à partir de 1664, lui redonnera un nouvel élan.