Lambert est un précurseur dans son usage des approximations diophantiennes construites à l'aide de fractions continues, ce qui lui permet de montrer l'irrationalité de π. Il n'utilise pas directement la fraction continue de ce nombre, on ne dispose alors pas d'une expression comme celle d'Euler pour la base du logarithme. Si la théorie garantie l'existence d'une fraction continue égale à π, la difficulté réside dans le fait qu'il n'existe pas alors de méthode connue pour montrer que ce développement est infini.
Lambert établit tout d'abord une expression de la fonction tangente sous forme de fraction continue. Pour cela, il applique l'algorithme dit des divisions successives (cf l'article Approximant de Padé). Le problème est que ce type de démarche génère une expression appelée fraction continue généralisée, ce sont des développements d'un nombre réel x de la forme suivante, qui imposent d'autres notations :
Celles utilisées ici, sont dites de Pringsheim. Les résultats décrits en première partie de cet article ne s'appliquent plus. Et, à la différence des fractions continues étudiées jusqu'ici, dites simples par opposition, le fait d'autoriser des valeurs quelconques à an et bn pose le problème de la convergence, que Lambert ne d'ailleurs traite pas. Il établit un résultat dans le cas où les suites (an) et (bn) sont des entiers non nuls, qui généralise la proposition indiquant qu'une fraction continue simple infinie n'est jamais rationnelle :
Procédons par étapes :
Ce qui signifie que si n et p sont deux entiers strictement positifs, la réduite d'indice p du quotient complet d'indice n, noté xn,p est strictement plus petite que 1 en valeur absolue :
Montrons ce résultat par récurrence sur p. Si p est égal à 1, la fraction se limite à bn / an et, comme an est strictement plus grand que bn la propriété est vérifiée.
Supposons le résultat vrai à l'ordre p et montrons le à l'ordre p + 1. la valeur xn,p+1 est égal à une fraction de numérateur bn et de dénominateur an + xn+1,p. Par hypothèse de récurrence, xn+1,p est en valeur absolue strictement plus petite que 1 et donc |an + xn+1,p| est strictement plus grand que |bn|, ce qui montre le résultat.
La proposition est presque la même que la précédente, mais on a opéré un passage à la limite sur p. Une configuration pourrait nous gêner, imaginons un quotient complet de la forme suivante :
Un rapide calcul montre que si le premier quotient complet est égal à 1, alors la fraction continue est aussi égale à 1. Ce qui est de fait ce qui se produit. Si un quotient complet est de cette nature dans la fraction continue généralisée considérée, il est alors égal à 1, notons xp ce quotient complet. La fraction continue généralisée est égale à l'expression suivante, généralisation de la relation de récurrence :
Qui est manifestement un rationnel. Pour cette raison, la distance entre |an| et |bn| a été choisie au moins égale à 2. La proposition précédente montre que les quotients complets ont une limite inférieure ou égale à 1, il suffit donc uniquement de montrer que la valeur 1 est impossible. Soit xn le quotient complet d'ordre n. Par définition il est égal à une fraction de numérateur bn et de dénominateur an + xn+1, or |an| dépasse d'au moins 2 la valeur |bn|, donc |an + xn+1| est strictement plus grand que |bn|, ce qui montre le résultat recherché.
On raisonne maintenant par l'absurde et l'on suppose que x0 est un nombre rationnel. La relation x0 = a0 + 1/x1 montre que le quotient complet d'indice 1 est aussi rationnel. La relation x1 = a1 + b1/x2 montre que x2 est rationnel. Une récurrence montre que tous les quotients complets sont rationnels. Notons pn / qn, avec pn et qn entier, le quotient complet d'indice n. Montrons que |pn+1| est strictement inférieur à |pn|. On dispose des égalités suivantes :
Il est donc possible de définir qn+1 comme égal à pn et pn+1 à bn.qn - an.pn. Rien ne garantit que les valeurs pn+1, et qn+1 soient premières entre elles, mais cela n'a guère d'importance. Comme |pn+1| est nécessairement strictement inférieur à |qn+1| car le quotient complet est, en valeur absolue, strictement inférieur à 1, |pn+1| est strictement inférieur à |pn|. Les coefficients |pn| forment une suite d'entiers positifs strictement décroissante et infinie, ce qui est absurde. Cette technique de démonstration porte le nom de méthode de descente infinie.
Le développement en fraction continue déjà utilisée pour la fonction exponentielle n'est pas idéale, pour appliquer le résultat de Lambert. Il existe heureusement une infinité d'expressions sous forme de fraction continue d'une fonction analytique, il utilise la forme suivante, trouvée par Lagrange. La construction de cette fraction continue est disponible dans l'article Approximant de Padé de la fonction exponentielle.
Il est aisé d'extraire un quotient complet satisfaisant les hypothèses de la proposition de Lambert, si m est différent de 0. Or, si un quotient complet est irrationnel, la fraction continue l'est aussi. Ce qui lui permet d'énoncer le résultat suivant :
On dispose de la fraction continue suivante, convergente sur tous les nombres complexes, et donc aussi sur les nombres rationnels :
En multipliant le numérateur et le dénominateur de la première barre de fraction par 2 et la nième par 2(2n - 1), on obtient :
En remplaçant x par p / q un rationnel différent de 0, et en multipliant en haut et en bas de chaque barre de fraction par q on obtient :
Il existe manifestement un indice n tel que p2 + 2 soit strictement plus petit que 2(2m - 1)q, si m est plus grand que n. Si hm / km désigne la réduite d'indice m et xn le quotient complet d'indice n, on obtient l'égalité :
Or hn-1, hn-2, kn-1 et kn-2 sont des entiers non nuls et le résultat de Lambert montre que xn est un irrationnel, on en déduit bien l'irrationalité recherchée.
Pour π, l'affaire est un peu plus délicate. Il existe bien des fractions généralisées qui approximent ce nombre, James Gregory a montré par exemple que :
Cette fraction est néanmoins impropre pour l'application du résultat précédent. Lambert prend alors le problème de manière inverse, et considère une fraction continue de la fonction tangente (cette fraction continue est étudiée dans l'article Approximant de Padé).
Le même raisonnement que pour la fonction exponentielle s'applique et :
Or l'image par la fonction tangente de π/4 est égal à 1, un nombre rationnel et π/4 ne peut être rationnel.
La fraction continue est construite de telle manière à ce que la différence entre deux réduites consécutives soit égale à (-1)n/(2n + 1), une série que James Gregory a montré comme convergente vers π/4.
Notons (hn) et (kn) les numérateurs et dénominateurs des fractions réduites, l'objectif est le calcul de δn = hn/kn - hn-1/kn-1. On dispose pour cela de l'égalité :
Un calcul analogue à celui des fractions continues montre les relations de récurrences :
Elle correspond au calcul du numérateur de δn. Etablissons ce résultat par récurrence. Pour n égal à 1, on a :
Supposons le résultat vrai à l'ordre n - 1 et montrons le pour n :
L'hypothèse de récurrence montre que :
Elle correspond au calcul du dénominateur de δn. On remarque que la formule établissant kn démontre celle donnant la valeur de kn.kn-1. Calculons encore une fois ce résultat par récurrence. Pour n égal à 1, il suffit de remarquer que k1 est égal à 3. Supposons le résultat vrai à l'ordre n - 1 et montrons le pour n :
On en déduit :
Les deux calculs précédents offrent une expression de δn :
On en déduit une expression de la fraction réduite :
La série précédente est connue sous le nom de formule de Leibniz et converge vers π/4. La fraction continue généralisée est donc convergente et sa limite est bien celle annoncée.