Alain Amselek a fait ses études secondaires jusqu’au baccalauréat de philosophie au lycée Émile-Félix Gautier d’Alger, où deux professeurs de littérature et de philosophie, Achille Laherre et Jean Choski, ont exercé une influence profonde sur son évolution. Après avoir accompli à l’Université algéroise une année de physique, chimie et biologie (P.C.B.), il a ensuite commencé, à Paris, des études de médecine qu’il a abandonnées pour se marier. Il a dû faire alors son service militaire dans les commandos de chasse pendant la guerre d'Algérie.
Dans ses recherches, Amselek part toujours de sa pratique psychanalytique pour se situer finalement toujours de façon indissociable entre psychanalyse et philosophie, l’une ensemençant l’autre. De formation plurielle en psychanalyse (Freud, Jung, Reich, Lacan, Winnicott, entre autres), Amselek se réfère à des philosophes comme Kierkegaard, Nietzsche ou Bergson, mais également Albert Camus, Emmanuel Lévinas et Michel Henry, ou bien à des écrivains, des poètes et encore à la tradition orale hébraïque. L’intuition fondamentale qui le taraude depuis son plus jeune âge et à travers tout son parcours, c’est qu’il y a un au-delà du langage, insaisissable donc par le discours théorique, mais non par le sujet lui-même et son affectivité, véritable mode de connaissance.
Depuis plusieurs années, il tente de repenser les problématiques de la psychanalyse à partir de ses deux absents majeurs : la chair et la spiritualité, mais aussi en fonction du nouveau contexte social du XXIe siècle. Il a rassemblé ses travaux et réflexions dans une trilogie qu’il a intitulée Le Livre Rouge de la psychanalyse, véritable manifeste pour une psychanalyse du XXIe siècle, plus que jamais subversive et révolutionnaire.
Dans L’écoute de l’intime et de l’invisible, le premier volet en 2006, Amselek se promène entre Jérusalem et Athènes, qui toutes deux ont inspiré la démarche de Freud. Il rend hommage au génie du fondateur de la psychanalyse, tout en faisant néanmoins ressortir ses contradictions et ses failles. Il se demande si, oscillant entre pratique hébraïque et théorie grecque, Freud n’a pas laissé la psychanalyse au milieu du gué. Amselek montre ainsi la nécessité d’aller au-delà des préjugés scientistes de Freud et de sa volonté de soumettre l’irreprésentable et la vie pulsionnelle à la « dictature de la raison », d’aller au-delà de ses résistances « inanalysées » à la musique, à la mystique, au sentiment océanique, aux états psychotiques. Il marginalise sa théorie, en donnant le primat à une pratique fondée sur l’écoute de l’intime et de l’invisible, par-delà la représentation, les images et les mots, dans le vif de l’affectivité. En deçà ou au-delà des problèmes œdipiens, Amselek s’intéresse particulièrement aux processus « archaïques », toujours actuels et, s’appuyant sur la conception bergsonienne de la durée, c’est-à-dire d’un temps différent du temps spatialisé des mathématiciens et des horloges, temps intérieur et subjectif mais aussi créateur, il introduit la notion de « devenir » et d’« à venir » dans une psychanalyse contemporaine passéiste et immobiliste, trop centrée sur la pulsion de mort et méconnaissant souvent la puissance des pulsions de vie.
Prenant à contre-pied Le Livre noir de la psychanalyse, Amselek a défendu la psychanalyse freudienne et affirmé son utilité et le besoin de davantage de psychanalyse encore face à une société vouée au culte de la raison, de la maîtrise et de l’évaluation, prise dans le fantasme de la toute-puissance et une course compulsive à l’avoir, au consommer vite, au jouir illusoire et éphémère, tournant le dos à l’intériorité, à l’éprouvance intime, à l’indicible, n’ayant plus d’intérêt que pour l’extériorité et les apparences et tombant dans l’exigence de la transparence et ses mirages.
Dans le deuxième volet du Livre Rouge, L’appel du réel en 2007, Amselek réfléchit tout particulièrement à la place du corps en séance de psychanalyse. A travers ses « interrogations vives » sur la pratique analytique, il partage son cheminement qui l'a conduit à cultiver avec ses patients une écoute véritablement charnelle, privilégiant, non pas une clinique du moi et des représentations, renforçant le contrôle mental, mais une clinique du soi, permettant un « lâcher prise » des fixations imaginaires, un vidage des représentations pour s’ouvrir à la vie. Il s’érige contre tous les « intellectuels » de la psychanalyse et de l’antipsychanalyse, qu’il appelle des « théologiens », qui édifient la raison comme idole et voudraient faire de la psychanalyse une quête méthodique, neutre et objective de connaissance du sujet parlant et de ses processus inconscients, rejetant intuition et affectivité, et faisant du corps et de la spiritualité deux absents majeurs. Il réhabilite la place réelle du corps et de l’affectivité dans la pratique psychanalytique en y montrant l’importance de la « présence charnelle », de ses résonances et de son magnétisme animal bien au-delà de la parole. L’analyste classique, en accordant une attention exclusive à la parole dans la croyance absolue de l’assujettissement du sujet au langage, coupe toute présence à l’archaïque, au fondement charnel, affectif, sensoriel, pulsionnel, qui précède sans cesse la parole et même la pensée et leur donne en fait leur possibilité même d’existence dans le monde. Il n’y a pas de sujet parlant distinct d’un sujet de chair et de vie. L’analyse ne porte ses fruits en profondeur qu’en tant qu’elle est une authentique épreuve charnelle de la vie, et son intégration corporelle, qu’elle est experiencing, c’est-à-dire épreuve immédiate, éprouvance créatrice, dans laquelle affectivité et connaissance s’interpénètrent, menant à une métamorphose.
Dans L’ouverture à la vie, le troisième volet en 2010, Amselek insiste surtout sur ce qui fait la spécificité radicale de la psychanalyse : la « position ou disposition de l’analyste » et son écoute si particulière, qui n’existent dans aucune autre pratique psy et dont il déconstruit les différents aspects pour révéler d’autres possibilités de pratique, jusqu’ici non mises au jour ou à peine entrevues, barrées par des prudences mesquines et des enjeux d’un autre siècle.
Face à la seule dimension de l’âme (la psychè, l’appareil psychique), seule prise en compte le plus souvent par la psychanalyse contemporaine, Alain Amselek, en assimilant à l’esprit la « conscience-énergie » primordiale de la vie, essaie de reconstituer la « structure trinitaire » des anciens : « esprit - âme - corps », et de fonder une hiérarchie des niveaux de « l’homme entier », muni ainsi derechef d’un niveau supérieur, l’esprit, qui intègre et subordonne le psychologique et le somatique (mais ne doit pas être confondu avec le mental qui fait partie de l’appareil psychique). Ce qui signifie encore que le conscient et l’inconscient ne se réduisent pas à être les produits des déterminations physiques, biologiques ou psychologiques, mais sont bien plus et bien autre chose que leur somme.
Après une analyse de la crise sociétale actuelle, qui apparaît comme une crise du sens et du sujet en proie à la teneur indécidable de la vérité et à l’incompétence foncière de tout savoir concernant la vie, après une étude du refus persistant du féminin par les deux sexes dans cette société, Amselek voit poindre cependant tout timidement un passage de notre culture du Logos, de la raison et de l’image à une civilisation de l’Eros, du sentir et de l’intuition.
Alain Amselek est intervenu énergiquement contre l’entreprise de démolition de l’œuvre freudienne et de la psychanalyse par Michel Onfray (cf. son article “Un praticien se révolte contre l’air du temps”).