Dany-Robert Dufour - Définition

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Introduction

Dany-Robert Dufour est un philosophe français contemporain, professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris VIII, et directeur de programme au Collège international de philosophie.

Il enseigne régulièrement à l’étranger, en particulier au Brésil, Colombie et au Mexique. Il collabore régulièrement à des activités artistiques (littérature, musique, théâtre). Son travail porte principalement sur les processus symboliques et se situe à la jonction de la philosophie du langage, de la philosophie politique et de la psychanalyse.

Pensée

Dans son premier livre (Le Bégaiement des maîtres), il revient sur l'enseignement de ses maîtres structuralistes (Lévi-Strauss, Barthes, Benveniste, Lacan…), pour montrer que leurs propositions visant à rendre compte, par des structures binaires, du récit (comme, par exemple, cru/cuit), de l'énonciation et de l'inconscient, reposent en fait sur des axiomes non-binaires, mais « unaires », à un terme, structurés comme un bégaiement. C'est cette logique paradoxale qui se fait particulièrement entendre dans la définition que donne du sujet parlant la linguistique de l'énonciation de Benveniste : « est je qui dit je » ou la théorie lacanienne du stade du miroir ou encore la définition du récit lévi-strassienne du récit qui se développe en se constituant lui-même comme son propre contexte.

Dans son second livre (Les Mystères de la trinité), il travaille sur une autre logique non-binaire, mais "trinitaire" qui prévaut dans les systèmes narratifs et symboliques érigeant un tiers (un Autre) indispensable à la formation du sujet et du lien social. Ce qui lui permet d'opposer une logique binaire (à l'œuvre dans les savoirs démonstratifs) aux logiques trinitaires à l'oeuvre dans le savoir narratif, de même que dans l'énonciation et l'inconscient. Cette structure trinitaire est immédiatement à l'oeuvre dès que le sujet ouvre la boucle. Elle est perceptible dans notre usage le plus incontrôlé du langage, lorsque "je" parle à "tu" à propos de "il". Cette donnée, à la fois triviale et fondamentale, détermine la condition de l'homme dans la langue et tout ce que l'on peut en dire. "Je, tu, il" forment donc cette trinité spontanée, "naturelle", absolument immanente à l'usage du langage. Elle se trouve au coeur des processus de formation de l'être-soi et de l'être-ensemble.

Dans plusieurs de ses livres ultérieurs, Dany-Robert Dufour fait une large place au concept de néoténie que beaucoup de philosophes et de penseurs (de Platon à Lacan en passant par Kant et Freud) ont pressenti sous des noms divers qui tous renvoient à l'inachèvement de l'homme à la naissance. C'est cet inachèvement qui oblige l'homme (au contraire des animaux) a suppléer à ce manque de nature par la culture - ce qui ne manque pas de poser la question de savoir si l'homme n'est pas engagé, via la pensée binaire et les techno-sciences, dans un processus de transformation de sa propre nature.

Dans ses derniers livres, Dany-Robert Dufour s'interroge sur la mutation post-moderne (ce que Lyotard appelle « la fin des grands récits ») qui laisse le sujet contemporain en panne de récits fondateurs. Il fait l'hypothèse que nous sommes passés d'un sujet moderne (critique au sens kantien du terme et névrotique au sens freudien du terme) à un sujet post-moderne (a-critique et post-névrotique). Or, ce nouveau sujet (flexible, si ce n'est précaire) fait bien l'affaire du libéralisme ambiant dans la mesure où il peut s'accorder bien mieux que l'ancien sujet critique aux flux toujours mouvants de la circulation de la marchandise. Ce qui amène Dany-Robert Dufour à développer une interrogation à l'endroit des philosophies post-modernes des années soixante (Deleuze, Foucault…): elles sont alors apparues comme hautement révolutionnaires dans leur critique des institutions, il se demande s'il ne faudrait pas aussi les penser comme ayant accompagné le changement de mode de régulation du capitalisme abandonnant le contrôle institutionnel au profit d'une désinstitutionnalisation généralisée, entraînant certaines formes de désymbolisation favorisant, moins l'apparition du "schizo" deleuzien ou du "fou" foucaldien que la généralisation des états-limites (voir "Psychanalyse et états limites" in Trouble de la personnalité borderline).

Dans Le Divin Marché, la révolution culturelle libérale, D-R. Dufour tente de montrer que, bien loin d'être sortis de la religion, nous sommes tombés sous l'emprise d'une nouvelle religion conquérante, le Marché, fonctionnant sur un principe simple, mais redoutablement efficace, mis au jour par Bernard de Mandeville en 1704 : "les vices privés font la vertu publique". Ce miracle étant permis par l'intervention d'une Providence divine (cf. la fameuse "main invisible" postulée par Adam Smith). D-R. Dufour tente de rendre explicites les dix commandements implicites de cette nouvelle religion, beaucoup moins interdictrice qu'incitatrice - ce qui produit de puissants effets de désymbolisation, comme l'atteste le troisième commandement : "Ne pensez pas, dépensez !". Du point de vue de l'éducation et de la formation des sujets, D-R Dufour tente de montrer que le projet libéral tend à s'inscrire contre une conception de l'école conçue, depuis l'antiquité gréco-romaine, comme scholè puis otium. Cette conception invitait chaque individu, avant son entrée dans le monde des échanges (neg-otium), à se livrer à un travail de maîtrise de soi afin de ne pas avoir à subir ses propres passions, ni celle des autres. Nous devons donc bien distinguer entre deux conceptions de l'éducation, antagonistes. Dans la conception classique, il faut pratiquer le contrôle et la maîtrise des passions. Dans la conception libérale, il faut libérer les passions et les pulsions. Selon D-R Dufour, plus ce projet triomphera, plus nous assisterons à la mise en place d'un monde pulsionnel, grandement désymbolisé. Cependant, ce monde pose un nouveau problème: le contrôle des passions et des pulsions ne s'effectuant plus au niveau symbolique, il devra, de plus en plus, être pratiqué directement au niveau des corps, de l'intérieur (par des molécules) et de l'extérieur (par l'extension des techniques de surveillance) - ce qui n'est sans conséquence sur le fonctionnement démocratique des sociétés libérales. Plus généralement, ce livre, publié un an avant le début de la grande crise financière de 2008, décrit et analyse les effets potentiellement dévastateurs du principe libéral (porté à ses ultimes conséquences avec l'ultralibéralisme), non seulement dans l'économie marchande, mais aussi et surtout dans les autres grandes économies humaines : les économies politique, symbolique, sémiotique et psychique - sans oublier celle qui les englobe toutes, l'économie du vivant.

Dans son dernier livre, La Cité perverse - libéralisme et pornographie (octobre 2009), Dany-Robert Dufour tente de montrer que la crise économique et financière ouverte en octobre 2008 a eu au moins un bienfait. Elle a mis à nu les mécanismes pervers qui régissent aujourd'hui le fonctionnement de la Cité. Si l'auteur s'efforce de les révéler, c'est parce qu'il est fort possible que bientôt, en attendant une nouvelle crise de plus grande ampleur encore, tout redevienne comme avant. Mais entre-temps, l'ampleur des dégâts sera apparue sans fard. Nous vivons dans un univers qui a fait de l'égoïsme, de l'intérêt personnel, du self love, son principe premier. Ce principe commande désormais tous les comportements, ceux de l'«hyperbourgeoisie» ou des bandes de jeunes délinquants comme ceux des classes intermédiaires. Destructeur de l'être-ensemble et de l'être-soi, il nous conduit à vivre dans une Cité perverse. Pornographie, égotisme, contestation de toute loi, acceptation du darwinisme social, instrumentalisation de l'autre : notre monde est devenu sadien. Il célèbre désormais l'alliance d'Adam Smith et du marquis de Sade. À l'ancien ordre moral qui commandait à chacun de réprimer ses pulsions et ses désirs, Dufour tente de montrer que s'est substitué un nouvel ordre incitant à les exhiber, quelles qu'en soient les conséquences. Il analyse le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui comme le résultat du renversement de la métaphysique occidentale qui s'est effectué en un siècle entre la philosophie puritaine de Pascal et la philosophie putaine de Sade. Sade avait tellement bien donné à voir ce que serait un monde soumis au principe de l'égoïsme absolu qu'il avait fallu l'emprisonner 27 ans de sa vie et l'enfermer pendant deux siècles dans l'enfer des bibliothèques. Dany-Robert Dufour explore en détail le retour de Sade, d'abord masqué, puis à découvert au XXe siècle, et le monde qui en résulte. Il tente enfin d'indiquer quelques voies pour sortir de ce nouveau piège (a)moral.

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