Événement divergent en uchronie - Définition

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Thématiques de l'événement divergent

Des thèmes récurrents

La Seconde Guerre mondiale a constitué l'événement divergent de nombreuses uchronies ; souvent, c'est la défaite des alliés dans la Bataille de Normandie qui conduit à un monde divergent dans lequel les nazis gagnent la guerre.

Eric B. Henriet s’est en effet livré à un petit recensement des thèmes à la mode en Uchronie. En voici la liste :

  • chute de la météorite du Yucatan et extinction des dinosaures,
  • grandes migrations par le détroit de Behring,
  • Empire romain,
  • Avènement du christianisme en Europe,
  • Pestes noires qui ont ravagé le Moyen Âge,
  • Découverte du Nouveau Monde,
  • L’Invincible Armada,
  • Révolution française,
  • Empire napoléonien,
  • Guerre de Sécession,
  • Première Guerre mondiale,
  • Révolution russe.

Un événement domine largement les autres : la seconde Guerre mondiale, qui, selon Henriet, constitue à elle seule, le thème du quart des récits uchroniques publiés à ce jour. Dans une perspective pessimiste, la victoire des nazis est une hypothèse très utilisée. TV Tropes parle d'une « Loi de Godwin du voyage dans le temps », qui veut que la victoire des nazis est le résultat le plus probable de presque toute modification du passé.

Jacques Van Herp explique l’émergence de quelques thèmes récurrents en ces termes :

« Il faut au lecteur un minimum de connaissances pour entrer dans le jeu. L’Histoire peut pirouetter à chaque instant, encore que certains événements semblent d’un plus grand poids. Mais le lecteur a-t-il la perception de leur importance ? Les connaît-il seulement ? Combien, en 1980, savent lier l’arrêt de la progression mongole en Europe avec la mort de l’Empereur à Pékin ? Combien, d’ailleurs, savaient que ces cavaliers des steppes avaient, en 1241, conquis la Russie, écrasé les armées de Pologne et de Hongrie, le tout en trois ans ? Que la Russie allait rester vassale pendant deux siècles ? […] Et c’est sans doute pourquoi, en général, tout comme le roman de capes et d’épées a ses époques de prédilection, le roman uchronique se cantonne dans quelques périodes, toujours les mêmes. »

Des thèmes sous-représentés

Notons aussi l’absence totale d’uchronies sur la guerre du Viet-Nam et sur celle d’Indochine. Pourtant, « Điện Biên Phủ devrait inspirer autant que Gettysburg », note Henriet. Peut-être retrouvons-nous ici l’influence du critère consensuel de Nicot et Vial.

Introduction de l'événement divergent

Absence de mention d'événement divergent

Signalons tout d’abord deux textes qui, malgré ce que disent Stéphanie Nicot et Eric Vial (cf au-dessus), font l’économie de cet événement divergent. Il s’agit de deux nouvelles, très courtes, ceci expliquant sans doute cela.

L’Anniversaire du Reich de mille ans de Jean-Pierre Andrevon est la première de ces nouvelles. Le titre est explicite quant au contenu uchronique de ce récit. Puisque l’action de la nouvelle se déroule lors du millième anniversaire du IIIème Reich et que celui est plusieurs fois signalé comme mondial, on comprend implicitement que les nazis ont remporté la Seconde Guerre mondiale et imposé leur régime au monde entier. Mais il n’est jamais fait allusion à ce qui bien pu provoquer ce changement par rapport à l’Histoire que nous connaissons.

L’autre texte est Légendes de la forêt veniane de Robert Silverberg. Là, c’est l’Empire romain qui dure sur plus de mille ans. On le comprend car le niveau technologique du monde de Silverberg est équivalent à celui que l’on a pu connaître dans notre XVIIIe siècle, et que l’Empire romain, ou plutôt la République romaine domine le monde entier. Mais on n’en trouve aucune justification.

Introduction de l'événement divergent dans le prologue, la préface

Certains auteurs ont choisi d’annoncer leur Histoire différente dès le début. Keith Roberts dans Pavane le fait dans le prologue de son roman :

« Par une chaude soirée de juillet en l’an 1588, dans le palais royal de Greenwich, aux portes de Londres, une femme se mourrait ; dans sa poitrine, dans son abdomen, les balles d’un assassin… Elizabeth Ière, la Grande Elizabeth, reine d’Angleterre, n’était plus.

[…] La nouvelle parvint à Paris, à Rome, jusqu’à l’étrange forteresse de l’Escurial, où Philippe II songeait toujours à sa campagne d’Angleterre. La nouvelle que le pays était déchiré par une guerre intestine, atteignit les vaisseaux de l’Invincible Armada, alors qu’ils doublaient le cap Lizard pour rejoindre l’armée d’invasion de Parme sur la cote flamande. Pendant un jour entier, le sort de la moitié du monde resta en balance. Puis, il prit sa décision. Un à un, les galions et les caraques, les galères et les lourdes urcas firent voile vers le nord, vers Hastings et l’ancien champ de bataille de Santlache, où une fois déjà, des siècles auparavant, l’histoire avait été écrite. Dans les remous qui suivirent, Philippe fut installé sur le trône d’Angleterre ; en France, les partisans de Guise, encouragés par les victoires remportées outre-Manche, finirent par déposer la Maison des Valois, déjà affaiblie. La guerre des Trois-Henri se termina par le triomphe de la Sainte Ligue ; l’Église retrouva son pouvoir d’antan.

Une fois l’autorité de la Sainte Église catholique assurée, la nouvelle nation britannique déploya ses forces au service des papes, écrasant les protestants des Pays-Bas, détruisant la puissance des villes libres d’Allemagne au cours des interminables guerres luthériennes. Les colons du continent nord-américain restèrent sous la tutelle espagnole ; Cook planta en Australie le drapeau bleu cobalt de Pierre.

Pour certains, ces années furent les années de la plénitude, de la volonté de Dieu réalisée sur Terre. Pour d’autres, elles furent un nouvel age des ténèbres, hanté par des choses mortes et par d’autres dont il valait mieux oublier l’existence, ours et chats sauvages, loups-cerviers et fées.

Au-dessus de tout cela, s’étendait le long bras des papes punissant et récompensant ; l’Église militante exerçait sa suprématie. Mais, vers le milieu du XXe siècle, des murmures mécontents se faisaient entendre, de plus en plus fréquemment. Une fois de plus, la rébellion était dans l’air. »

Passons à une autre nouvelle de Robert Silverberg, éditée dans le même recueil que Légendes de la forêt veniane dont nous avons parlé plus avant. Mais dans Tombouctou à l’heure du Lion, l’auteur reprend la même technique que celle de Roberts et va même plus loin en expliquant dans la préface le principe de l’uchronie en plus d’y introduire son événement fondateur :

« L’élaboration d’un récit sur le thème des mondes parallèles pose à l’auteur un problème épineux : comment faire connaître au lecteur le moment précis à partir duquel l’histoire dudit monde parallèle va diverger par rapport à celle de notre réalité ? Pour lui fournir l’explication nécessaire, on peut faire intervenir des devins, des visions, des rêves, ou encore les brillantes spéculations d’un personnage omniscient. Il arrive aussi que l’auteur triche, tout simplement, en assenant l’information dans son entrée en matière (« Alors que dans notre monde, où la Révolution française a réellement eu lieu… ») Parfois encore, le contexte montre de façon évidente qu’on se situe dans un monde parallèle (« Par une belle journée de 1978, l’ex-président John F. Kennedy ouvrit le journal du matin et… »). Dernier cas de figure : on rédige un avant-propos pour bien mettre les choses au point. Solution que j’adopte.

En un sens, " Tombouctou à l’heure du Lion " renvoie à un de mes romans, intitulé " La Porte des mondes ". Dans ce récit, qui remonte déjà à quelques années, j’employais le stratagème du devin pour établir clairement le point de divergence entre les deux réalités. Mais cette fois-ci, il ne m’a pas paru fair-play d’utiliser la même ficelle. Le roman (qui se déroulait dans un 1963 parallèle et un Nouveau Monde régi par les Aztèques et les Incas) postulait que la Peste Noire de 1348, beaucoup plus dévastatrice que dans notre réalité, avait emporté les trois quarts – et non le quart – de la population d’Europe occidentale. Ce qui laisse cette dernière brisée et sans défense contre les impérialistes turcs, lesquels conquièrent tout sur leur passage, jusqu’à l’Angleterre. La Renaissance ne peut donc avoir lieu, pas plus que l’exploration du Nouveau Monde ou l’expansion coloniale européenne. Les royaumes d’Afrique noire comme les empires centre-américains du Nouveau Monde demeurent indépendants. Les techniques ne progressent que lentement. Les Turcs imposent leur langue et la religion islamique dans la majeure partie de l’Europe.

Et maintenant, cet autre monde a atteint son XXe siècle. L’empire ottoman sur le déclin commence à se morceler. Déjà l’Angleterre a reconquis son indépendance. D’autres nations se désengagent peu à peu. Pendant ce temps-là, dans le très grand et très ancien royaume africain du Songhaï… »

Les choses ont le mérite d’être claires. L’événement divergent est rapidement évoqué (la Peste Noire plus dévastatrice), ainsi que ses conséquences toujours aussi rapidement. Le contexte de son uchronie bien planté, Silverberg peut commencer son récit. Mais cela ne le prive pas de rappeler plusieurs fois dans son livre la géopolitique de ce monde parallèle.

En plus de faire découvrir la réalité de son uchronie non événementielle, Silverberg, dans cet avant-propos, avait donné différents procédés d’introduction de l’événement divergent. Penchons-nous sur la « ficelle » du devin qu’il utilise dans cet autre récit, La Porte des mondes, qui reprend le même monde uchronique que dans Tombouctou à l’heure du Lion.

Robert Silverberg, auteur américain ayant livré plusieurs uchronies.

L'événement divergent introduit par un personnage omniscient

Dans ce roman, le héros, un anglais du nom de Dan Beauchamp, quitte Londres que tout le monde appelle toujours New Istanbul, pour aller tenter sa chance dans le royaume aztèque. Une fois au Mexique, il rencontre un conseiller du roi, nommé Quéquex. C’est lui qui explique à Dan Beauchamp et au lecteur, le principe de la Porte des mondes, qui donne son nom au roman.

« - Chaque fois qu’un homme prend une décision il crée des mondes nouveaux au-delà de la Porte, l’un dans lequel il fait une chose, l’autre dans lequel il en fait une autre. Le paysan laboure son champ et s’arrête pour écraser d’une tape une mouche qui l’importune. Dans un monde, il l’écrase, dans un autre il ne prend pas la peine de s’arrêter pour si peu au milieu de son sillon. Cela ne fait guère de différence. Mais suppose que le paysan, en s’arrêtant pour écraser la mouche, échappe ainsi aux griffes d’un jaguar tapi à la lisière du champ. Dans un monde, le paysan chasse la mouche. Dans un autre, il continue son chemin et il est mangé. Sauf pour la famille du paysan, la différence cette fois encore est négligeable. Qu’il vive ou meure, le monde n’en sera pas bouleversé. À moins, toutefois, que le destin d’un de ses descendants soit d’aller à Tenochtitlan pour assassiner le roi. Si le paysan meurt, ce lointain descendant ne verra pas le jour : le roi continue de régner ; tout est différent de ce qui serait si le paysan s’était arrêté pour écraser la mouche, donc était resté en vie et avait engendré les ancêtres de l’assassin.

- Vous voulez dire qu’il y a un monde dans lequel la voiture a explosé et nous avec, et un monde dans lequel elle n’a pas du tout explosé, et un monde dans lequel elle n’a pas même pu démarrer ?

- Exactement, dit Quéquex, radieux. Un monde où tu n’existes pas parce que ton grand-père est mort au berceau. Un monde où je ne suis jamais né. Un monde dans lequel je suis roi du Mexique. Un monde dans lequel le Mexique a été conquis par l’Europe il y a cinq cents ans. Un monde sans hommes, habité seulement par des serpents verts aux multiples pattes. Un monde…

- Mais certains de ces mondes possibles sont absolument ridicules.

- Ridicules, peut-être. Néanmoins, possibles. Si un homme peut les imaginer, alors ils existent dans ce royaume derrière la Porte. Là existent tous les mondes possibles. Une infinité de mondes, créés à tout instant. Certains sont presque semblables. Il y a un milliard de mondes dans lesquels, au cours de ces dix dernières minutes, j’ai fait des gestes différents avec mon petit doigt mais où tout le reste est pareil. Un milliard…

- Comment certains de ces mondes qui sont à peine imaginables pourraient-ils exister vraiment ? Par exemple celui dans lequel l’Europe a conquis le Mexique ? L’Europe est bien incapable de conquête. Tout ce que nous avons pu faire, et ça nous a pris des siècles, c’est nous débarrasser des Turcs. Alors comment pourrions-nous conquérir le Mexique ? Surtout le Mexique !

- Que signifie pour toi l’année 1348 ?

- La Peste Noire, bien sûr.

- Bravo. La Peste Noire ! Le fléau qui a dévasté l’Europe, dévastant des villes entières. La peste et ses millions de victimes, les trois quarts de la population, aussi bien en Grande-Bretagne qu’en Pologne. L’Europe transformée en un immense cimetière…

- J’ai compris ! Si la Peste noire avait frappé les Hespérides au lieu de ravager l’Europe…

- Doucement. Il n’est même pas nécessaire de changer les événements d’une façon si radicale. Disons que la peste a frappé l’Europe avec moins de sauvagerie. Les morts : non plus trois quarts mais un quart de la population. L’Europe en sort amoindrie mais elle garde quelque force. »

Et Quéquex d’expliquer l’Histoire telle que nous la connaissons à Dan Beauchamp. Celui-ci s’étonne toujours. « J’essayais de saisir dans son ensemble cette vision déformée de l’Histoire : l’Europe assez puissante pour battre les Turcs et lancer des bateaux sur les mers. Je savais ce que l’Europe avait été en réalité au début du XVIe siècle : un pays morne et désolé, converti de force à l’Islam, gémissant sous l’oppression des Turcs. En 1500, Londres comptait environ six mille habitants, comment un pays aussi misérable aurait-il pu équiper des navires qui traversent les mers ? »

Ce qui est particulièrement intéressant ici est que Silverberg évoque à la fois la possibilité d’une uchronie événementielle (le paysan et le jaguar) et une marxiste (la Peste noire).

Omniprésence de l'événement divergent

La plupart des uchronies présentent leur événement divergent subrepticement. Les informations y sont annoncées sur le ton de l’évidence, exactement comme n’importe quel roman réaliste postule la connaissance du monde où il se déroule et n’éprouve pas le besoin d’en établir la généalogie.

A l’inverse, d’autres textes sont constitués à 99% par l’événement divergent en lui-même, de ses justifications et des conditions qui ont pu amener l’Histoire à devenir différente.

Ponce Pilate de Roger Caillois est à signaler dans ce domaine. Des cent cinquante pages du livre, cent quarante-sept sont consacrées aux différents événements, aux considérations du procureur romain, aux conseils de ses amis, aux pressions qui pèsent sur lui, à tout le cheminement qui va l’amener à libérer le Christ. Seules les trois dernières pages évoquent les conséquences de ces actes.

La nouvelle de Kim Stanley Robinson, Lucky Strike, est, elle aussi, constituée presque intégralement par l’événement divergent. La mort du colonel Tibbets y est certes rapidement évoquée, mais c’est surtout les états d’âme et les réflexions de son successeur qui y sont analysées. On retrouve les mêmes préoccupations que pour Caillois. Leur parti pris était de faire changer le destin de l’humanité par les actes d’un seul homme. Ils ont choisi deux voies différentes. Caillois a gardé l’homme de l’Histoire, Ponce Pilate, mais l’a fait évoluer différemment pour arriver à un autre résultat que celui connu. Robinson fait mourir l’homme en question et le remplace par un autre, justifiant en cela, par la différence de sensibilité, de caractère, d’humanisme, de visions des deux hommes, le fait que l’Histoire prenne un tournant différent.

On vient de voir comment les uchronistes introduisaient leur événement divergent. On peut avoir l’impression qu’ils sont à la fois variés et présentés de manière différente. Mais finalement, sur leur contenu, ils n’offrent pas une si grande variété que cela.

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