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« Il y a tant d’occasions où le destin de l’humanité semble n’avoir dépendu de la survenue que d’un événement singulier, lequel aurait pu advenir de cette manière ou d’une autre avec une égale probabilité. »
— Isaac Asimov
L'événement divergent ou encore point de divergence est, dans le genre littéraire de l'uchronie, le moment où l’histoire réelle et l’histoire uchronique divergent.
Cette modification du cours de l'histoire peut être :
Une analyse d'œuvres variées permet de définir des critères du « bon » événement divergent en uchronie, de réaliser un florilège de thèmes récurrents, de voir les différentes voies possibles pour introduire cet événement et enfin de s'intéresser à sa relation avec le temps du récit.
D'après les définitions, l’événement divergent est un composant obligatoire dans une uchronie, car il marque la bifurcation par rapport à l’Histoire véritable et l’entrée en uchronie. Stéphanie Nicot et Eric Vial se posent la question de savoir « si l’uchronie peut faire l’économie de l’événement fondateur, et du récit – même succinct – de ce qui a mené d’une trame historique auparavant semblable à la nôtre à un monde différent de celui que nous connaissons ? ». Certains auteurs s’attardent sur cet événement, d’autres l’évoquent subrepticement au cours du roman, d’autres encore ne l’évoquent même pas, mais, dans ce cas, il n’en reste pas moins présent sous une forme implicite.
Pour Jacques Boireau, « le point de départ de l’uchronie est forcément pauvre car celle-ci s’appuie sur un temps connu de l’élève moyen en fin de scolarité primaire » Même s’il est vrai que les événements divergents les plus souvent utilisés vérifient bien cette propriété (époque napoléonienne, Seconde Guerre mondiale, Empire romain, …), il faut toutefois prendre en compte que l’élève moyen en fin de scolarité primaire n’a pas les mêmes connaissances suivant sa nationalité. Que sait un élève français moyen de la Guerre de Sécession américaine, pourtant point de départ de nombre d’uchronies outre-Atlantique qui sont lues en dehors des États-Unis?
Toujours dans ce même article, Jacques Boireau précise sa pensée : « L’auteur d’uchronie est contraint, par le public auquel il s’adresse, de choisir un moment connu, un moment essentiel de l’Histoire. Un moment ou un personnage. L’histoire de l’uchronie est encore, contrainte et forcée, une histoire des grands hommes, une histoire événementielle. ».
Sur ce point, on ne peut qu’être d’accord avec Jacques Boireau si on analyse les événements choisis par les uchronistes. D’après Éric B. Henriet, une grande majorité d’entre eux placent un grand homme, au premier rang desquels on retrouve très souvent Napoléon ou Adolf Hitler, au centre de leur événement divergent.
Ainsi, comme le fait remarquer Denis Guiot, « basée sur l’événementiel et l’homme providentiel, l’uchronie est aux antipodes de la conception marxiste de l’Histoire qui considère le développement des forces productives comme la base du devenir historique. » Denis Guiot fait bien d’opposer cette vision événementielle à celle marxiste. Ceci évoque d’entrée les liens entre la manière d’écrire une uchronie et la manière d’appréhender l’Histoire.
Imaginons une uchronie sur la Révolution française. L’auteur événementiel fera mourir Robespierre, Danton, Marat et Desmoulins jeunes, ou en tout cas avant 1789, et utilisera ceci pour dire que la Révolution n’a soit pas eu lieu, soit qu’en l’absence de leader, elle fut étouffée dans l’œuf.
L’auteur marxiste, puisqu’il faut bien l’appeler comme cela, opposera à ceci que le développement du commerce et de la bourgeoisie étant trop freiné par les institutions en place, la Révolution aurait eu lieu de toute manière. Peut-être différemment, peut-être plus tard, peut-être en aurait-il fallu plusieurs, mais toujours est-il que l’absolutisme aurait été renversé et qu’une république ou une monarchie parlementaire lui aurait fatalement succédé.
Comme le dit Paul Veyne : « en 1789, les intérêts de classe de la bourgeoisie victorieuse se heurtaient au manque d’un grand homme, mais le poids de ces intérêts étaient si grand qu’ils auraient de toute façon vaincu le frottement ; même si Bonaparte n’était pas né, un autre sabre se serait levé pour occuper son rôle. ».
Dans cette vision événementielle, la liste des moments où l’Histoire de l’humanité aurait pu devenir autre semble infinie. Cependant, comme le fait remarquer Eric B. Henriet, « l’événement fondateur doit être crédible » Stéphanie Nicot et Eric Vial enfoncent le clou : « les événements susceptibles de changer en profondeur la face du monde ne sont finalement pas aussi nombreux qu’on pourrait le croire ».
Effectivement, choisir de faire triompher Napoléon à Waterloo ou Lee à Gettysburg et dire que cela suffit pour justifier de la victoire finale de l’Empire ou des Confédérés ne répond pas à la demande de crédibilité.
Louis Geoffroy ne s’y trompe pas. Dans son Napoléon et la conquête du monde, 1812-1832, il ne tombe pas dans le piège classique de transformer Waterloo en une victoire française. Il préfère faire diverger l’Histoire juste avant la Bérézina et est plus « crédible » quand il explique qu’avec une campagne de Russie victorieuse, Napoléon se retrouvant avec l’Angleterre comme seule ennemie, peut assurer la pérennité de son Empire, même si la crédibilité n’était pas l’objectif premier de Geoffroy.
Alexandra de Vladimir Volkoff et Jacqueline Dauxois choisit clairement l’option de l’homme providentiel. Leur événement divergent est l’assassinat de Lénine alors qu’il est encore en Suisse. La révolution bolchévique ne peut pas avoir lieu sans celui qui la symbolise et le tsar Nicolas II parvient à amener l’Europe à la paix sans passer par le traité de Versailles. Les auteurs usent alors d’un subterfuge, le roman faisant un bond en avant de plusieurs décennies pour retrouver une Russie ultra-libérale, ultra-capitaliste, corrompue et décadente. Le roman se contentant ensuite de raconter l’histoire d’Alexandra, jeune tsarine qui lutte pour redonner son âme à la Sainte Russie.
Un autre exemple d’uchronie événementielle est la nouvelle Lucky Strike de Kim Stanley Robinson. Opposant résolu au reaganisme du début des années 1980 et des sursauts de la guerre froide, à ses aventures en Amérique centrale et à son militarisme, K.S. Robinson imagine un monde où le colonel Paul Tibbets et son équipage se tuent lors d’une mission d’entraînement, quelques jours avant le bombardement d’Hiroshima. Le bombardier de l’équipage remplaçant, Frank January, se refuse au dernier moment d’appuyer sur le bouton de largage et lâche finalement la bombe A sur une zone désertique. Le Japon capitule néanmoins devant la démonstration de force, mais le pilote est fusillé pour trahison. L’aumônier qui l’assiste, convaincu, construit un mouvement pacifiste international qui permet un désarmement total, de l’Est à l’Ouest.
Dans une de ces nouvelles, Un Coup de tonnerre, Ray Bradbury pousse à l’extrême le principe de l’uchronie événementielle. Cette nouvelle ne répond pas aux critères des puristes pour être considérée comme une véritable uchronie, puisqu’on y trouve un voyage dans le passé, mais il convenait de la signaler en vertu de sa qualité illustrative de la vision événementielle de l'Histoire.
Des chasseurs du XXIe siècle retournent dans les temps préhistoriques pour y traquer le dinosaure. De multiples précautions sont prises, car comme l’explique le guide, faisant sienne la théorie du chaos : « Supposons que nous tuons accidentellement une souris ici. Cela signifie que nous détruisons en même temps tous les descendants futurs de cette souris. Et tous les descendants des descendants des descendants de cette souris aussi. Qu’arrivera-t-il alors des renards qui ont besoin de ces souris pour vivre ? Privé de la nourriture que représentent dix renards, un lion meurt de faim. Un lion de moins et toutes sortes d’insectes, des aigles, des millions d’êtres minuscules, sont voués à la destruction. Et voici ce qui pourrait arriver cinquante-cinq millions d’années plus tard. Un homme des cavernes va chasser, pour se nourrir, un sanglier ou un tigre. Mais vous, vous avez détruit tous les tigres de la région. Et l’homme des cavernes meurt de faim. Et cet homme n’est pas un homme parmi tant d’autres. Non, il représente toute une nation à venir. C’est comme si vous égorgiez un des petits fils d’Adam. Le poids de votre pied sur une souris peut déchaîner un tremblement de terre dont les suites peuvent ébranler, jusqu’à leurs bases, notre planète et nos destinées. »
Malgré ces avertissements, un chasseur imprudent écrasera un papillon. A leur retour, en 2055, les résultats des élections présidentielles qui se sont déroulées quelques jours avant leur départ, s’en retrouvent changés.
Stéphanie Nicot et Eric Vial mettent en avant un autre critère de sélection pour ces événements divergents. « A moins de vouloir faire œuvre de combat, l’auteur doit choisir des événements sur lesquels il s’est formé un large consensus (par exemple la Seconde Guerre mondiale) ou pour lesquels les passions se sont quelque peu éteintes (l’assassinat d’Henri IV ou celui de Jules César). À partir de là, aucun développement ne choquera le lecteur. Essayez en revanche d’écrire une uchronie sur la guerre d’Algérie, sur Vichy ou sur la Révolution française, et vous aurez manifestement un pamphlet, un livre à thèse, ou du moins, une œuvre militante. »
Cette citation élève quelques remarques. Premièrement, nous sommes navrés d’apprendre que l’uchronie, selon Nicot et Vial, ne doit pas être militante, et qu’elle ne doit pas choquer son lecteur. Ensuite, on ne peut s’empêcher aussi de noter qu’une uchronie sur Vichy, qui est donc un sujet à éviter, serait aussi une uchronie sur la Seconde Guerre mondiale, sujet consensuel. En poussant plus loin la lecture de cet article, on comprend ce que les deux auteurs ont voulu dire : que cela serait moins choquant de faire tenir des propos fascisants à Jules César qu’à Jean Moulin.
Concluant sa réflexion sur le sujet, Eric B. Henriet, et reprenant ce critère consensuel, propose cette petite liste : « Pour faire une bonne uchronie, l’événement fondateur doit être : primo, facilement reconnaissable du lecteur moyen, secundo, crédible, tertio, consensuel. Mais ce n’est pas tout. Encore faut-il qu’il permette à l’auteur des développements intéressants..»
Revenons un instant sur cet impératif d’intérêt. Bien que cela soit évident a posteriori, il faut que l’événement fondateur génère un monde intellectuellement attrayant pour le lecteur. Une infinité de mondes alternés peuvent être créés, certains dont le seul point divergent serait le code d’entrée de l’immeuble de mon boulanger. Il est clair que, uchroniquement parlant, ce monde-là n’a que peu d’intérêt. De toute façon, il n’entrerait pas dans notre définition, car nous avons demandé au récit uchronique de s’intéresser substantiellement à la nouvelle Histoire et à ses conséquences.
Nous avons procédé à quelques classifications de cet événement divergent, voyons maintenant comment l’auteur l’introduit dans son récit.