Mise à la porte du foyer familial à l’âge de 16 ans par un père autoritaire, la jeune fille doit s’assumer toute seule. Parallèlement à de nombreux petits boulots, elle s’essaye, avec succès, à l’escrime et à l’équitation. Véritable autodidacte, c’est presque par hasard qu’elle est amenée à entreprendre des études de kinésithérapie, tout en travaillant la nuit pour payer ses études.
Fruit de la Seconde Guerre mondiale et de l’épidémie de poliomyélite qui la suivit, la profession est naissante. L’optique de cette kinésithérapie originelle est fondée sur la récupération de la force musculaire. Les grands blessés, puis les paralysés ne laissant guère d’autres options.
Par la suite, cette option thérapeutique se transforme en dogme, en pensée unique. Toutes les douleurs, toutes les dysfonctions sont attribuées à un hypothétique manque de force, toutes les déformations sont causées par une improbable inaptitude à résister à la néfaste gravité.
Les traitements ne consistent qu’à renforcer, encore et toujours. Les divergences entre les différentes écoles se cantonnant à des points de détail, des variantes autour du thème sans cesse revisité de la musculation et du gain de force.
Françoise Mézières fait ses études à l’École Française d’Orthopédie et de Massage de la rue Cujas à Paris, sous la direction de Boris Dolto. Elle obtient son diplôme d’état à la veille de l’évacuation de Paris devant l’avancée des troupes allemandes. Elle y apprend les techniques de l’époque, en particulier la “gymnastique corrective”, fondée exclusivement sur le renforcement musculaire
Mézières n’a écrit que trois opuscules et quelques articles. Ils sont tous épuisés et son légataire universel, ne les a pas faits rééditer. Un seul ouvrage retrace sa vie et son œuvre.
Faute de mieux, elle donne son propre nom à sa méthode naissante. Le monde médical accueille ses découvertes avec peu d’enthousiasme quand il ne lui témoigne pas une franche hostilité. Le « système Mézières » est-il par trop différent pour l’établissement médical souvent réputé conservateur ? Cette femme est-elle trop atypique et trop peu diplomate ? Sans doute y a-t-il un peu de tout cela dans le rejet qu’elle perçoit et qui l’affecte. C’est la traversée du désert. Dans le même temps, les patients viennent de très loin pour se faire soigner et quelques kinésithérapeutes commencent à la harceler pour qu’elle organise un enseignement. Ce qu’elle réalisera, presque à contrecœur, dans le Marais Poitevin d’abord, dans le Gers ensuite. Les années 1970 sont marquées par un coup de tonnerre : la sortie du livre de Thérèse Bertherat « le corps a ses raisons » (Ed Seuil). Quelques pages y sont consacrées à Mézières et à sa méthode. L’ouvrage connaît un succès international et Mézières, bien malgré elle, devient une célébrité. Elle est décorée de la Légion d’honneur, on l’entend à la radio, on la voit à la télévision. Dès lors, son œuvre est plagiée, scotomisée, dénaturée. C’est la curée. La profession conservatrice prend le train en marche et tente de phagocyter le message, en le présentant comme “une arme de plus dans le large éventail des thérapeutiques corporelles”. Elle se défend comme une furie : si sa théorie est exacte, elle est la négation même de cet éventail thérapeutique et de la doctrine classique. Les écoles fantaisistes, arborant son nom tel un viatique, foisonnent. Elles ont parfois davantage le sens du marketing que de réel talent. Cela participera de la terrible amertume de la fin de sa vie. Afin de ne pas laisser le champ libre, elle enseignera presque jusqu’à son dernier souffle. Elle meurt à Noisy-sur École le 17 octobre 1991 sans avoir cautionné une seule école, un seul groupe ou une seule association se réclamant de son nom.