Il est intéressant d'avoir une approche historique des représentations du cerveau. Nous sommes habitués à considérer comme normal qu'un dégât au niveau du cerveau puisse entraîner des troubles au niveau d'autres parties du corps. Mais cette idée n'est pourtant pas si évidente.
Pendant de nombreux millénaires, on croyait communément que l'activité mentale avait son siège au centre du corps humain, dans le cœur . Aristote défendait ce point de vue contre Hippocrate, par exemple, pour qui déjà pensées, sentiments et émotions étaient gouvernées par le cerveau. La vision d'Aristote, que nous savons aujourd'hui infondée resta longtemps la plus couramment répandue (peut-être en raison des manifestations de tachycardie que l'on retrouve lors d'émotions intenses et qui contrastent avec l'absence de sensibilité absolue de l'organe cerveau) et se retrouve dans certaines expressions courantes : « Tu me brises le cœur. », « Avoir un cœur de pierre. », « Apprendre par cœur.»....
Après les travaux expérimentaux de Galien il n'était déjà plus possible de douter que le siège de l'«âme dirigeante» était dans le cerveau. Les siècles suivants virent peu d'avancées significatives, bien qu'ils aient été riches en débats pour expliquer la spécificité de l'esprit humain et malgré le renouveau les études anatomiques à partir du seizième siècle. Descartes pensait que l'âme ne pouvait qu'être associée à une substance pensante (res cogitans) radicalement distincte de la matière qualifiée de substance étendue (res extensa). Au contraire La Mettrie dénia la nécessité d'un recours à un pont entre esprit et matière (la glande pinéale selon Descartes): pour lui le corps doit être considéré comme une machine dans laquelle le cerveau est l'organe où se manifeste ce qu'on appelle l'âme. Les avancées suivantes eurent lieu au début du dix-neuvième siècle avec les succès de la phrénologie, confirmant que le cerveau était le centre actif de toute connaissance et de toute émotion. Les recherches sur les localisations cérébrales opposèrent ses partisans (Gall, Broussais) à ceux d'une vision unitaire de l'activité du cerveau Flourens. Entachée de thèses parfois fantaisistes (« la bosse des mathématiques » par exemple) la phrénologie inspira néanmoins les premières localisations de certaines fonctions au niveau du cortex et, en premier lieu, les recherches de Broca sur les aires cérébrales responsables du langage.
Dès la fin du dix-neuvième siècle, presque tous les développements de la révolution scientifique avaient donnés lieu à application dans l'étude du système nerveux central. Les progrès de l'électromagnétisme, de la chimie organique, de la microscopie... offrirent de nouveaux instruments à l'étude du cerveau et permirent de renouveler les méthodes de recherche reposant jusqu'alors sur la seule anatomie descriptive.
Une étape cruciale fut franchie avec la mise en évidence des cellules du système nerveux (que l'on appellera neurones) par Golgi et Cajal, grâce à une nouvelle technique de coloration qui permit également les études successives sur la forme, les propriétés, les fonctions et les connexions des neurones : Sherrington décrit le fonctionnement des systèmes réflexes, Sperry montre que les parties droite et gauche du cerveau sont impliquées différemment dans ses fonctions et Penfield établit une carte des localisations de la sensibilité somatique dans le cortex cérébral.
Le vingtième siècle voit les neurosciences induire une progressive naturalisation des objets de la philosophie de l'esprit (perception, langage, émotions, intelligence). Ainsi, l'approche neurophysiologique obtint des résultats remarquables dans l'étude du rêve (Jouvet) et des structures qui en sont responsables. À partir de cette jonction se constitue le champ des sciences cognitives qui feront bientôt appel également aux modèles mathématiques et cybernétiques, tout en prenant en compte le rôle essentiel des émotions Damasio et de l'environnement (théories de la sélection neuronale de Changeux; darwinisme neuronal d'Edelman).
Renforcées par des techniques expérimentales toujours plus puissantes (microélectrodes, électro-encéphalographies, radiographie X, caméra à positons et IRM) et enrichies d'un faisceau de disciplines complémentaires (neurobiologie, neuropsychologie, physico-chimie, génétique, embriologie...) les neurosciences abordent maintenant la description de ce qui fait la conscience de soi et la connexion entre conscient et inconscient.