L'homme de Piltdown, Homo (Eoanthropus) Dawsoni, a été considéré au début du XXe siècle comme un fossile datant de l'Acheuléen (Paléolithique inférieur) et comme un chaînon manquant entre le singe et l'homme en raison de ses caractères simiens (mâchoire) et humains (calotte crânienne). En 1959, des tests montrèrent définitivement qu'il n'était qu'une supercherie scientifique.
Charles Dawson était un avocat, archéologue, paléontologue et géologue amateur. Dawson avait découvert une espèce d'iguanodon à laquelle il avait donné son nom et avait réuni une importante collection de fossiles qu'il avait donnée au British Museum. À 21 ans, il avait ainsi pu devenir membre de la Geological Society of London et correspondant du Muséum d'histoire naturelle de Grande-Bretagne.
En été 1899, Dawson se promenait sur une route du Sussex, à soixante kilomètres au sud de Londres. Près d'une ferme de Piltdown, il remarqua que la route avait été réparée avec du gravier rougeâtre, susceptible d'être fossilifère. Il demanda aux ouvriers si l'on n'avait pas trouvé d'ossements dans la carrière et qu'on le prévînt dans ce cas.
Peu après, un ouvrier lui apporta un fragment d'os plat, rougeâtre comme les graviers ; Charles Dawson reconnut un morceau de crâne humain. Durant les trois années qui suivirent, il fouilla les déblais et trouva quelques fragments supplémentaires. En février 1912, Dawson annonça au paléontologue Arthur Smith Woodward, président de la Société de géologie de Londres et conservateur du département d'histoire naturelle au Muséum d'histoire naturelle de Grande-Bretagne, qu'il avait trouvé des fragments d'un crâne humain particulièrement intéressants.
Les ossements, usés et rougeâtres, semblaient contemporains de ce gravier ancien bien que le crâne eût une forme moderne. Les fossiles d'animaux trouvés au même endroit (dent d'éléphant, d'hippopotame…), de la même couleur, suggéraient un âge d'un demi-million d'années. Les méthodes de datation radioactive n'existant pas encore, les fossiles permettaient une datation relative du terrain. En juin, Charles Dawson, Arthur Smith Woodward et Teilhard de Chardin se rendirent à Piltdown et trouvèrent plusieurs débris de crâne puis la moitié droite d'une mâchoire.
Bien que cette mâchoire fût fortement teintée et eût l'apparence de l'ancienneté, elle semblait d'origine simienne. Elle était cassée au niveau du menton et du condyle maxillaire, les deux endroits qui permettent une identification sûre. Deux molaires présentaient une usure plate, ce qui est usuel chez les humains mais inconnu chez les singes. Les trois hommes associèrent logiquement cette mâchoire avec les fragments du crâne trouvés à quelques pieds de là, et un examen minutieux par Woodward et Charles Dawson les conforta dans leur opinion.
L'homme de Néandertal ayant auparavant été découvert en France et en Allemagne, cette interprétation accrut la fierté en Grande-Bretagne. L'homme de Piltdown confortait aussi des thèses raciales car il avait un volume crânien un tiers plus grand que l'homme de Pékin, qu'on croyait contemporain.
Si certains chercheurs étaient prêts à réviser leur théorie sur les origines de l'humanité, d'autres doutaient de l'appartenance des différents ossements à un seul individu. Les Français, pour des raisons scientifiques ou non, suivaient l'interprétation de Marcellin Boule, du Muséum d'histoire naturelle de Paris, qui croyait à la découverte d'un crâne d'homme fossile et d'une mâchoire de singe, opinion partagée par la plupart des chercheurs américains.
En 1913, Teilhard de Chardin découvrit dans le même gravier une canine qui, tout en ressemblant à celle d'un singe, présentait les mêmes traces d'usure qu'une dent humaine. En 1917, Woodward annonça que Dawson, mort l'année précédente, avait découvert en 1915, à trois kilomètres de la carrière de Piltdown, deux nouveaux fragments de crâne humain et une dent de singe usée comme une dent humaine, soit exactement la même combinaison que la première fois. Ceci ne pouvant relever du hasard, cette association contribua à convaincre la majorité des chercheurs américains et à semer le doute dans l'esprit de la plupart des Français ; l'homme de Piltdown fut reconnu dans la plupart des traités de paléontologie.
Pendant la première moitié du XXe siècle, beaucoup d'anthropologues du monde entier crurent donc que l'homme de Piltdown était l'ancêtre de l'homme moderne. L'homme de Piltdown avait des caractéristiques que beaucoup de scientifiques avaient définies comme devant être celles du chaînon manquant : une grande capacité crânienne et une denture proche de celle du singe. En fait, les vrais « chaînons manquants » que les anthropologues attendaient, devaient se révéler être les australopithèques, groupe qui était précisément à l'opposé (petite capacité crânienne et denture proche de celle de l'homme). Dans les années 1920, trente ans avant que des analyses au fluorure montrent, en 1953, que l'homme de Piltdown était un canular, le paléoanthropologue allemand Franz Weidenreich avait pu examiner les restes découverts à Piltdown et il avait signalé qu'ils étaient composés du crâne d'un homme moderne et de la mâchoire d'un orang-outan, avec les dents rangées vers le bas. Weidenreich, étant un anatomiste, avait facilement pu démontrer qu'il s'agissait d'un canular. Mais, il fallut trente ans pour que la communauté scientifique accepte de reconnaître qu'il avait raison.
En 1924, le premier australopithèque fut découvert en Afrique du Sud : vieux de plusieurs millions d'années, il était donc antérieur au pithécanthrope. Il confirmait que, progressivement, les caractères simiens s'atténuaient au profit des caractères humains. Le statut de l'Homme de Piltdown devenait de plus en plus flou, d'autant que l'australopithèque associait une mâchoire humaine à un crâne simien : l'évolution du crâne était donc postérieure à celle de la mâchoire.
En 1944, Woodward émit l'hypothèse de deux lignées évolutives différentes : la première avec l'australopithèque, les hommes de Java, de Pékin et de Néandertal ; la seconde avec l'homme de Piltdown.