C’est en octobre 1913, à Côme, au cours du Circuit des Lacs italiens, que Garros a rencontré l’Allemand Hellmuth Hirth, pilote émérite et alors directeur technique des Albatroswerke à Johannisthal. Ils vont se revoir peu après à Èze, dans la villa de la Grande-Duchesse Anastasie de Mecklembourg-Schwerin, la plus ardente admiratrice de Garros qui n’est autre que la belle-mère du… Kronprinz Guillaume lui-même !
Les deux hommes se retrouveront en juin 1914 à Aspern pour le troisième et dernier meeting de Vienne qui sera marqué par deux événements tragiques. C’est d’abord la première des grandes catastrophes aériennes du monde : un dirigeable militaire autrichien de type M III en mission photographique est heurté en vol par un Farman. Les deux appareils sont précipités au sol face au champ d’Aspern, causant la mort des 9 officiers. Les aviateurs français organiseront un cortège aérien pour saluer ces ‘‘frères d’armes’’, tous leurs appareils crêpés de noir, dont le Morane N que Garros présente pour la première fois en public, passeront l’un derrière l’autre à la verticale du lieu de la catastrophe, faisant aux victimes de magnifiques funérailles aériennes.
Puis intervient l’autre drame, l’historique assassinat à Sarajevo de l'archiduc François-Ferdinand, mais personne n’imagine encore la guerre si proche. Garros propose à Hirth de venir visiter les usines Morane-Saulnier. En retour, Hirth l’invitera, ainsi que Raymond Saulnier, pour une visite tournante des usines aéronautiques allemandes. C’est à Berlin que les bruits de guerre vont le surprendre. Au volant de sa Bugatti, en compagnie de son mécano Jules Hue, Garros parviendra juste avant sa fermeture à franchir la frontière allemande.
Parallèlement, Garros est devenu en quelque sorte le conseiller technique de Raymond Saulnier, dont le traité Équilibre, centrage et classification des aéroplanes continue depuis trois ans à faire autorité chez les avionneurs. Celui-ci signe, dans Le Figaro, conjointement avec Léon Morane, un article dans lequel tous deux exposent et défendent ardemment les théories de Garros sur ‘‘l’excédent de puissance’’ et la ‘‘qualité du vol’’.
Printemps 1913, Garros part en vacances sur la côte d'Azur retrouver, avec sa compagne Marcelle Gorge, les décors de son adolescence. Mais il ne peut s’empêcher de participer à la coupe que son ami Jacques Schneider (voir Coupe Schneider), le commissaire de son premier record d’altitude, vient de créer pour les hydravions. Il n’en tirera que la satisfaction d’avoir pu tenir tête avec un modeste moteur de 60 cv à des appareils beaucoup plus puissants.
Garros a entre temps reçu le Prix de l’Académie des sports. Le 15 juin, il participe pour la deuxième fois avec succès au 2e meeting de Vienne. Le 2 juillet, il va, avec Audemars, Léon Morane et Eugène Gilbert, accueillir à Compiègne Brindejonc des Moulinais rentrant de son « circuit des capitales », et les cinq Morane feront route de concert vers la capitale, formant ainsi, selon l’historien Edmond Petit, « ce qui doit être le premier vol de groupe à cinq de l’histoire ».
Garros a aussi fait, à Molsheim, la connaissance du prestigieux constructeur d’automobiles Ettore Bugatti. Les deux hommes se sont très vite entendus. Garros a tout de suite commandé une Bugatti 5 litres type 18, la seule voiture pouvant moralement porter le nom de « Roland-Garros » puisque c’est Bugatti lui-même qui l’a ainsi baptisée (il n’en sera fabriqué que sept exemplaires, celle de Garros, numéro de châssis 474, survit en Grande-Bretagne sous le nom de « Black Bess »). Elle lui sera livrée le 18 septembre 1913…
Et le 23, Roland Garros passe à la postérité pour avoir réussi la première traversée aérienne de la Méditerranée en 7 heures et 53 minutes. Son amie Marcelle est la seule femme et la seule civile présente sur le terrain du Centre d’aviation de la marine de Fréjus d’où il prend l’air. Jean Cocteau, qui écrira plus tard sur Roland Garros le long poème intitulé « Le Cap de Bonne Espérance » y évoque la « jeune femme au manteau de skungs ». Le Morane décolle à 5 heures 47, alourdi de 200 l d’essence et de 60 l d’huile de ricin. Garros part à la boussole, avec un moteur qui subit deux pannes, au large de la Corse et au-dessus de la Sardaigne. Il lui restera 5 litres d'essence quand il se posera à Bizerte.
À Marseille, puis à Paris, l’aviateur est accueilli en triomphe. Il faut dire qu’après cet exploit, le vainqueur de la Méditerranée deviendra la coqueluche de la France et du tout-Paris. Cocteau qui, comme l’a dit Jean-Jacques Kihm, l’un des meilleurs connaisseurs du poète, « avait une véritable passion d’être l’ami des gens les plus célèbres de son temps », a réussi à se faire présenter au héros de la Méditerranée, qui l’emmènera plusieurs fois en avion.
Tous ses pairs les plus prestigieux félicitent l’aviateur de son exploit, et déjà, la presse évoque les premières lignes aériennes, qui ne verront réellement jour qu’après la guerre. Les 39 km de la traversée de la Manche ne datent que de quatre ans. Il faudra attendre six ans… et une guerre, pour la première traversée aérienne de l’Atlantique, le 15 juin 1919, par les Britanniques Alcock et Brown (bien avant celle de Lindbergh).
Garros est à l’origine, avec Jacques Mortane qui en assurera le secrétariat général, de l’association qu’ils appelleront tout simplement « Le Groupe », réunissant une quinzaine de vedettes de l’aviation. Ce Groupe a entre autres vocations de venir en aide aux veuves et orphelins de leurs camarades aviateurs ayant trouvé la mort, et ils sont déjà nombreux à avoir payé leur tribut à leur passion. Pour récolter des fonds, il leur suffit d’organiser meetings et exhibitions. Ainsi, ils sont quatorze le 14 juin 1914, à présenter, en dehors des patronages officiels, leur première réalisation, la « Journée des Aviateurs » à Juvisy.