Malgré tous les travaux effectués sur les chlorures de xénon, beaucoup de zones d’ombres et d’incertitudes demeurent quant à la structure des molécules et aux processus collisionnels.
Si les longueurs d’onde des émissions qu’ils produisent sont connues avec précision, la cinétique de disparition des états excités est encore souvent imprécise. C’est le cas des processus de relaxation vibrationnelle de XeCl (B, C), de l’influence des gaz tampons notamment pour ce qui est des constantes de vitesse de couplage collisionnel entre les états B et C de XeCl, et aussi des collisions tertiaires. Parce qu’elle est bien moins complexe que de XeCl*, la cinétique de disparition de Xe2Cl* est mieux comprise.
Ces réactions mal connues jouent pourtant un rôle fondamental dans la cinétique du laser XeCl. La modélisation du milieu gazeux devrait être influencée par leur remise en question. Malgré tout quelques mesures directes expérimentales récentes sont disponibles et il convient de les préférer à des estimations hasardeuses et approximatives. La complexité des voies de formation de XeCl a aussi été mise en lumière. Même si les processus de harponnage jouent un rôle secondaire, ils n’en demeurent pas moins non-négligeables. Des nouvelles voies de formation ont été récemment mises en évidence et leur importance apparaît qualitativement comme de première grandeur. Autant de pistes nouvelles qu’il convient d’analyser en détail.
D’une manière générale les molécules Rg2X sont moins stables que les RgX [6]. Dans notre cas, Xe2Cl a un double intérêt. Il peut perturber les performances du laser Xe Cl car il absorbe beaucoup à 308 nm et par contre il permet aussi le développement d’un autre type de laser basé sur une émission de Xe2Cl.
D’après les premiers travaux effectués sur cette molécule [34], [190], on note les points suivants :
- la configuration la plus stable de la molécule dans un état excité est une géométrie triangulaire C2v ; - les états excités Xe2Cl* sont des complexes résultant de l’association d’un ion moléculaire Xe2+ et d’un ion atomique Cl- ; - l’émission observée de la molécule est large ; les transitions correspondantes aboutissent sur une partie très répulsive de l’état fondamental.
Les courbes de potentiel calculées par Huestis et al. [191] selon la méthode DIM (Diatomics In Molecules) sont présentées sur la figure 15.
Les trois états les plus bas sont covalents et répulsifs. Ils sont corrélés à XeCl (X ou A) et à un atome de xénon à l’état fondamental. La valeur expérimentale de l’énergie de l’état 12? est de 0,273 eV [34]. Elle est compatible avec ces courbes de potentiel. Les trois états suivants sont ioniques. L’état lié 42? est corrélé à XeCl(B) + Xe ; le suivant 52?, répulsif, est corrélé à XeCl(C) + Xe.
Plus récemment, Last et George [44] ont déterminé les courbes de potentiel à l’aide d’une autre méthode, la méthode DIIS (Diatomics In Ionic Systems) sans prise en compte du couplage spin-orbite. Ils trouvent comme Huestis et al. [191] que l’état 42? est l’état ionique le plus bas. Au fond du puit, cet état possède la configuration d’un triangle isocèle tel que la distance entre les positions d’équilibre de Xe et Cl vaut 3,23 Å. Pour Adams et Chabalowski [43] la distance Xe–Cl vaut 3,39 Å.
Dans un premier temps, les courbes de potentiel des différents états ont été tracées en maintenant constante et égale à 3,25 Å la distance Xe–Xe (figure 16). Last et George obtiennent neuf états (trois covalents et six ioniques). On remarque que les courbes potentielles des états antisymétriques 42?? et 62?? coïncident presque avec les potentiels des états symétriques 52? et 62?. Les états 32? et 72? mis en évidence de par Huestin et al. [191] sont absents du fait de la non prise en compte du couplage spin-orbite. A l’inverse, trois états (22??, 42?? et 62?? )qui ont la symétrie p ne figurent pas dans les diagrammes donnés par Huestis et al. [191].
Le même travail a été repris dans un deuxième temps en maintenant constante la distance Xe-Cl à 3,23 Å (figure 17).
On peut tirer d’autres résultats de l’article de Last et George [44] :
1) dans l’état 42?? la molécule à la configuration d’un triangle isocèle tel que les distances Xe-Cl et Xe–Xe valent respectivement 3,13 et 4,23 Å. L’état est à 0,8 eV au-dessus de l’état 42?.
2) l’état fondamental 12? est un complexe de Van der Walls. Il possède une énergie de dissociation de 0,075 eV et une configuration triangulaire dissymétrique. Les distances Xe–Cl sont de 3,23 et 4,06 Å et l’angle Xe–Cl–Xe vaut 74,4°.
3) le premier état excité 22? est aussi un complexe de Van der Walls. Il a une géométrie symétrique avec une distance Xe–Cl de 3,99 Å et un angle Xe–Cl–Xe de 68,4°. Son énergie de dissociation est évaluée à 0,055 eV.
Toujours selon Last et George [44], il existe un autre mode de description de la molécule dont la configuration à l’état stable est linéaire et symétrique (Xe–Cl–Xe). Pour l’état fondamental, la distance Xe–Cl serait de 3,24Å et l’énergie de dissociation de 0,076eV. Il pourrait aussi exister un état excité correspondant à une distance Xe-Cl de 3,06 Å. Cet état non représenté sur les figures 16 et 17, posséderait une énergie supérieure à 0,72 eV à celle de l’état 42?. La liaison serait là aussi de type ionique.
Seule une expérience menée à l’état solide [70] peut être comparée à ces travaux théoriques. L’unique état étudié est le 42?. La structure de triangle isocèle de cet état y est confirmée. Trois grandeurs peuvent être confrontées aux prédictions théoriques. La distance Xe–Xe est mesurée à 3,17 Å et celle de Xe–Cl à 3 Å.L’accord est meilleur pour l’énergie du fond du puits évaluée à 3,15 eV. Par ailleurs, les auteurs ont déterminé les fréquences fondamentales vibrationnelles pour chacune des liaisons. Pour Xe–Xe, ?x = 123 cm-1 et pour Xe–Cl, ?c = 180 cm-1
Trois voies principales de formation de Xe2Cl* sont énergétiquement possibles par collision et deux autres par photoassociation :
où Rg désigne un gaz rare qui peut être du xénon ou un gaz tampon.
Les auteurs sont en désaccord sur l’importance relative de ces processus de formation. Elle dépend des conditions expérimentales. Examinons les caractéristiques de chacune d’entre-elles.
La réaction (20) est une réaction « harpon » très énergétique. Elle fait intervenir des états excités Xe2*. Pour Bruce et al. [114], c’est la voie de formation dominante. Ce point de vue n’est pas partagé par d’autres auteurs qui considèrent la réaction comme faible [191] voire négligeable [193]. Aucune constante de vitesse n’a encore été mesurée.
Les réactions (23) et (24) n’ont été mises en évidence que très récemment [189]. Aucune information nouvelle n’a été publiée.
Selon un calcul théorique [149], le taux de recombinaison ?’ des ions Xe2+ et Cl- lorsque Rg = Xe (réaction (22)) a été estimé une première fois à 1.10-7 cm3s-1. Les mêmes auteurs viennent de réviser à la baisse cette valeur : ?’ = 5.10-8 cm3s-1 [194]. Ce résultat est conforté expérimentalement [191], [195]. Notons que selon les calculs, cette réaction peut devenir importante à très forte pression. Xe2Cl* devient alors le principal produit de la réaction, ceci au détriment de XeCl* (réaction (4)).
Beaucoup d’auteurs considèrent que la formation de Xe2Cl* est assurée principalement par la voie (21). D’après une étude récente [72], la réaction peut être interprétée comme le résultat de deux réactions successives, la seconde correspondant à une relaxation vibrationnelle par collision avec Rg :
D’après les auteurs, les niveaux vibrationnels de départ Xe2Cl*(v) sont au-dessus de la limite de dissociation de l’état en XeCl* + Xe.
Par contre, pour Yu et al. [66], la création de Xe2Cl* passe par celle d’un complexe triatomique RgXeCl*, soit :
où Rg?Xe
Ces auteurs n’ont observé ces réactions que dans le cas de l’argon et du krypton.
La seconde réaction est une réaction de déplacement. Une autre réaction lui est compétitive lorsque le xénon est remplacé par le krypton. Ce processus de quenching aurait une constante de vitesse légèrement supérieure à 1.10-13 cm3s-1 [66], [176].
La durée de vie du complexe RgXeCl* est mal connue. Elle est estimée à 200 ns pour KrXeCl [66], [176] et 40 ns pour NeXeCl [91]. Cet intervalle de temps est suffisamment long pour que la deuxième collision ait donc une chance raisonnable de se produire.
Quoi qu’il en soit, les constantes de vitesse de (21) ont été mesurées et elles sont rassemblées dans le tableau 32. Si Rg?Xe, seules deux mesures directes ont été effectuées [37], [72]. La dernière [196] n’est qu’une évaluation.
Dans le cas du xénon, notons que l’ensemble des constantes kDX du tableau 20 peuvent être considérées comme la cinquième colonne du tableau 32 puisque kDX peut se confondre avec la réaction (21) [72].
Les études théoriques [159], [190] montrent que les transitions permises sont les suivantes (figure 15) :
42? ? 12? (A) 42? ? 22? (B) 42? ? 32? (C)
L’état de départ est toujours le même et les longueurs d’onde ?th correspondantes sont indiquées dans le tableau 33. On peut les comparer aux valeurs expérimentales ?obs.
Expérimentalement, Fajardo et Apkarian [70] ont pu observer deux transitions dans le domaine spectral considéré, qui d’après eux sont les transitions (A) et (B), même s’il y a un décalage important en longueur d’onde. En fait, dans la plupart des cas, on observe un continuum très large (environ 80 nm) qui recouvre les trois émissions. Le positionnement du maximum varie beaucoup selon les auteurs ; les valeurs oscillent entre 450 et 500 nm. Un exemple de spectre est donné sur la figure 11. La limite de l’émission du côté des courtes longueurs d’onde a été évaluée par le calcul à 443 nm [102].
D’après Last et George [44], la molécule linéaire Xe–Cl–Xe devrait produire une émission vers l’état fondamental à 321 nm et le moment de transition serait élevé : 3,9 D. Pour autant, il n’y a à ce jour aucune confirmation expérimentale de cette prévision.
A l’état solide, l’émission de Xe2Cl* est très décalée vers le rouge. Elle est centrée aux environs de 570 nm [197], [198]. On observe un résultat analogue à l’état liquide [199]. Selon ces auteurs, ce phénomène serait dû à la déformation des courbes de potentiel découlant des interactions entre molécules qui sont plus proches les unes des autres qu’à l’état gazeux. Une étude théorique [200] explique pour sa part ce phénomène par la polarisation de la matrice de xénon par Xe2+Cl- ainsi qu’une contribution importante des forces de Van der Walls.
L’émission du trimère Xe2Cl* n’est observée qu’à forte pression de gaz rare (xénon ou gaz tampon) et la fluorescence augmente avec la pression de xénon [34]. Ce résultat peut s’expliquer si l’on considère que la voie de formation de Xe2Cl* correspond à la réaction (21). Compte tenu des valeurs des constantes de vitesse des réactions de type (21), la fréquence de la réaction ne devient significative que lorsque la pression de gaz rare est supérieure à environ 200 torr. Quant à la réaction (22), elle n’intervient que lorsque la pression est de plusieurs atmosphères [194].
Nous venons de voir que le seul état de Xe2Cl à être à l’origine d’une émission lumineuse est 42?. De nombreuses déterminations de sa durée de vie ont été effectuées. Les résultats obtenus à l’état gazeux sont rassemblés dans le tableau 34. Les résultats sont très variables et les incertitudes importantes. L’intervalle de confiance obtenu au seuil de 5% est compris entre 240 et 253 ns. Seules quatre valeurs en font partie [72], [79], [169], [195]. Remarquons que compte tenu de sa forte incertitude absolue, une autre mesure [113] a un intervalle commun avec l’intervalle de confiance.
Les mesures réalisées à l’état solide fournissent des valeurs encore plus dispersées comme le montre le tableau 35.
Outre la désexcitation radiative, l’état Xe2Cl (42?) est détruit par collision double avec RCl. Pratiquement, tous les auteurs s’accordent pour dire qu’il s’agit de la voie dominante de disparition de Xe2Cl* par processus collisionnel, et ceci quel que soit le donneur de chlore. On comprend dans ces conditions que les émissions de Xe2Cl* ne soient observées que pour des concentration de RCl très faibles [11], [114], [169]. Les valeurs des constantes de vitesse des réactions (24) sont données dans le tableau 36.
Xe2Cl* + RCl ? produits autres que Xe2Cl (24)
Il n’y a que deux déterminations pour CCl4 mais elles coïncident. Dans le cas de HCl deux valeurs sont statistiquement éloignées des autres [150], [203] et il est difficile d’avancer une explication à cette situation. L’intervalle de confiance au seuil de 5% est de 4 à 7.10-10 cm3s-1.
Dans le cas du chlore Cl2, seule la moitié des mesures sont statistiquement proches [79], [113], [168], [169]. Là encore, il est difficile d’expliquer les écarts observés. L’intervalle de confiance au seuil de 5% varie de 3,7 à 4,5.10-10 cm3s-1.
On peut donc conclure que les trois donneurs de chlore ont une influence analogue sur la destruction collisionnelle de Xe2Cl*.
Il existe aussi une estimation de la constante de vitesse de la réaction :
Xe2Cl* + Cl ? 2 Xe + 2 Cl
Elle vaut : 1.10-9 cm3s-1 [205].
Il s’agit uniquement de réactions binaires :
Xe2Cl* + Rg ? produits autres que Xe2Cl (25)
La disparition de Xe2Cl* par collision sur un atome de xénon a été observé par Grieneisen et al. [164] ; la constante de réaction vaut 6.10-15 cm3s-1. Pour les autres auteurs, cependant, cette réaction ne peut être mise en évidence [37], [68], [168], [202], [204]. Pour l’instant, la limite supérieure de la constante de vitesse de la réaction (25) est 1.10-17 cm3s-1 [202]. D’autres auteurs, placent cette limite plus haut 4 à 7.10-14 cm3s-1 [168], [204] ou 5.10-13 cm3s-1 [37]. Notons que la valeur retenue par Kannari et al. [123] qui est 8.10-12 cm3s-1 n’a aucun fondement.
Dans le cas des mélanges ternaires, le rôle du gaz tampon est mal connu.
Dans le cas de l’argon, nous avons deux mesures : (3 ? 1).10-14 cm3s-1 [37] et (1,5 ? 0,4).10-14 cm3s-1 [201].
Pour l’hélium, deux valeurs ont été avancées : 5.10-13 cm3s-1 [150] et 3.10-14 cm3s-1 [119].
La réaction (26) a fait l’objet de plusieurs estimations qui sont très peu en accord. Elles sont rassemblées dans le tableau 37.
Xe2Cl* + e- ? 2Xe + Cl + e- (26)
D’après Yu et al. [169], les impuretés ont une influence moindre dans la cinétique de disparition de Xe2Cl* que dans celle de XeCl*. Les constantes de vitesse de disparition à deux corps Im–Xe2Cl* sont en effet d’un ordre de grandeur plus faible que les constantes relatives aux collisions binaires Im–XeCl*. Toutefois, pour CO2 et NO, les constantes de vitesse sont du même ordre de grandeur (quelques 10-10 cm3s-1) que celles du type RCl–Xe2Cl*. Il faut bien entendu tenir compte des teneurs en impuretés qui sont le plus souvent très faibles. Les fréquences de réaction sont alors négligeables.