Malcolm Adiseshiah - Définition

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L'éducation au service du développement

Sans se préoccuper par trop de théorisation, Adiseshiah se devait de développer une argumentation plausible en faveur de la contribution à la croissance économique de l’éducation qu’il jugeait primordiale. La question fondamentale était de savoir si un investissement dans l’éducation, qui pourrait porter ses fruits pendant la durée d’un prêt à long terme, contribuerait davantage, ou au moins autant à la production nationale, qu’un investissement équivalent dans une fabrique d’engrais ou une aciérie. Adiseshiah n’était pas le premier économiste à vouloir répondre à cette question. D’autres avant lui avaient étudié le rôle de l’éducation dans le développement économique. Il n’a jamais prétendu avoir innové en la matière et a même cité S. G. Stroumiline, qui pourrait être considéré comme le premier à avoir présenté une argumentation théorique à ce sujet :

Ce paramètre a été défini de manière particulièrement frappante par l’économiste soviétique Stroumiline dans une communication adressée à Lénine en 1919, alors que l’Union soviétique s’apprêtait à lancer son premier grand programme d’industrialisation. Stroumiline avertissait Lénine que le vaste réseau hydro-électrique dont il dressait les plans, les énormes entreprises industrielles qu’on s’apprêtait à lancer, les aciéries, les fabriques de machines-outils et même les exploitations agricoles mécanisées ne pourraient pas fonctionner normalement si l’enseignement ne bénéficiait pas d’un investissement équivalent. Stroumiline se fondait, pour formuler cette conclusion, sur des études montrant qu’en Union soviétique une instruction primaire permettait à un travailleur d’accroître son rendement et son salaire de 79 % ; l’accroissement passait à 235 % dans le cas de l’instruction secondaire, et atteignait 320 % pour les études supérieures. On notera que cette corrélation entre l’instruction, la productivité et le revenu a été établie, en Union soviétique, à une époque où l’économie de ce pays était encore largement sous-développée et principalement agricole, donc assez semblable à l’économie actuelle de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine.

D’autres études ont été faites dans les années 1950 et 1960, en particulier aux États-Unis, et pour la plupart au niveau micro-économique. Au poste clé qu’il occupait alors dans la communauté internationale, Adiseshiah tira pleinement parti de ces études sur le rapport entre éducation et revenu pour y trouver des arguments à l’appui de politiques destinées à augmenter les dépenses consacrées à l’éducation formelle et non formelle. Malgré la lourde charge de son travail à l’UNESCO, il trouva le temps de faire lui-même quelques études qu’il qualifiait de recherches de bureau. Par exemple, à partir de données tirées des Annuaires statistiques de l’UNESCO, il dressa des tableaux comparatifs des taux de scolarisation, des dépenses d’éducation et des taux de croissance du revenu par habitant dans les différentes régions du monde pour la période 1950-1965.

Les recherches de bureau d’Adiseshiah sur les aspects économiques de l’éducation dans le contexte plus large du revenu national par habitant dénotaient la démarche propre au planificateur de l’éducation. Il devait nécessairement supposer l’existence de coefficients fixes entre les résultats de l’éducation et le revenu, dont découlaient des coefficients fixes entre le revenu et les différents niveaux d’éducation : primaire, secondaire et tertiaire. Il ne prétendait pas faire ainsi une mesure économétrique précise de la contribution de l’éducation au taux de croissance. Il affirmait seulement que certaines normes pouvaient être déduites des données qui fournissaient « des indices commodes pour des observations sur le rapport qui existe entre l’investissement dans l’éducation et la totalité des ressources nationales ».

Pendant la période où il travaillait à temps complet à l’UNESCO, dans les années 1950 et 1960, Adiseshiah ne pouvait pas entreprendre d’études micro-économiques sur les effets de l’éducation. Mais, comme on l’a indiqué plus haut, beaucoup d’études de ce genre furent entreprises au cours de cette période par des économistes dans les universités et les institutions de recherche, et Adiseshiah en tira pleinement parti pour promouvoir la cause de l’éducation. Cet ensemble impressionnant de recherches avait prouvé que l’accroissement de la productivité des personnes et de la rentabilité des entreprises était imputable à l’éducation, aux investissements dans les établissements scolaires et les universités ainsi qu’aux programmes d’éducation des adultes, d’alphabétisation et de formation professionnelle.

D’autres chercheurs, après avoir soustrait la contribution du travail et du capital au produit national brut, avaient obtenu un facteur résiduel substantiel qu’ils avaient qualifié de « mesure de notre ignorance ». Malgré les difficultés rencontrées pour isoler et quantifier les différents éléments constituant ce résidu, ils avancèrent néanmoins qu’il se composait essentiellement d’apports éducatifs. Ce « résidu » donna lieu à une littérature pléthorique et Adiseshiah reconnût qu’il posait des problèmes fondamentaux de mesure.

Le résidu est en fait un terme qui recouvre l’inconnu et sert à édulcorer l’aveu de notre ignorance. C’est le fourre-tout dans lequel on trouve, outre l’éducation, des facteurs aussi divers que les modifications de la gamme des produits, la formation professionnelle et la santé publique, la recherche fondamentale et appliquée, les économies d’échelle et les changements structuraux, autant d’éléments qui entrent dans la composition du résidu.

Il reste à mettre au point des instruments permettant d’analyser ce résidu pour isoler l’apport de chacun de ces nombreux éléments avant de pouvoir isoler et quantifier la contribution de l’éducation au développement économique.

De plus, les économistes se laissaient parfois aller à englober de nombreux aspects du comportement humain sous le terme général d’éducation. Ils utilisaient ce mot pour désigner un facteur englobant toutes sortes d’éléments, parmi lesquels il devenait impossible de distinguer l’apprentissage sur le tas de la pratique traditionnelle de métiers spécialisés ou bien encore d’un apprentissage par osmose au contact de l’environnement.

Malgré la persistance de ces limitations théoriques, Adiseshiah répondit à la question fondamentale de savoir quelles étaient les tactiques socio-économiques le mieux conçues pour assurer le développement durable d’une société rurale traditionnelle. Il était fermement convaincu que la condition préalable était d’améliorer l’éducation et la santé, parce que celles-ci développaient dans d’énormes proportions les dimensions et la force de la base économique.

Malgré ces difficultés, compte tenu des divers modes d’approche que je viens d’indiquer et de la masse considérable de données que les recherches ont déjà permis d’accumuler, on ne peut, je crois, manquer de conclure que l’éducation est un agent essentiel de promotion du développement économique. En fait, je pense qu’aucun autre facteur pris isolément n’est capable de rompre le cercle vicieux : faibles revenus, faibles investissements, faible production, faibles revenus, qui enserre les pays en voie de développement.

Adiseshiah choisit d’être à la fois un économiste et un éducateur et il se tenait prêt en cette journée historique du 14 août 1949 où le Conseil économique et social des Nations Unies adopta une résolution portant création du Programme élargi d’assistance technique. Ainsi commença l’ère nouvelle d’une assistance internationale planifiée aux pays en développement. Comme on l’a déjà indiqué, cette assistance s’accrut pour donner naissance au Programme des Nations Unies pour le développement, et Adiseshiah joua un rôle éminent dans la décision d’allouer à l’éducation une grande partie de ces fonds destinés au développement. D’un montant de 1 075 454 dollars en 1950-1951, la part de l’UNESCO était passée à 10 143 861 dollars pour les allocations du Programme élargi et à 26 073 904 dollars pour les allocations du Fonds spécial lorsque Adiseshiah quitta l’Organisation en 1970.

Obtenir des fonds de la Banque mondiale pour l’éducation ne fut pas aussi aisé ni rapide. Le Conseil des gouverneurs n’était guère enclin à s’engager dans le « domaine délicat de l’éducation ». La Banque mondiale avait commencé officiellement ses opérations en 1946, en se concentrant d’abord sur les secteurs de l’énergie et des transports et en étendant ensuite son action à l’agriculture et à l’industrie. Pendant près de vingt ans, on pensa que, avec un apport important de techniques et beaucoup d’argent, on réunissait tous les éléments nécessaires à l’élimination de la pauvreté.

L’importance de l’éducation pour l’absorption de la technologie et l’amélioration de la productivité du capital était méconnue. Ce fut dans ce cadre bien circonscrit de la Banque mondiale qu’Adiseshiah fit connaître la conception officielle de l’UNESCO selon laquelle il existe un rapport direct entre l’éducation et une croissance économique durable. Les banquiers furent finalement convaincus que l’éducation méritait des crédits et que des projets intéressant l’éducation pouvaient faire l’objet d’opérations bancaires. Les premiers prêts à l’éducation furent faits en 1962, avec un crédit à moyen terme accordé à la Tunisie. Aujourd’hui, la Banque mondiale, dont le personnel comprend une majorité d’économistes qui prennent leurs décisions en fonction de l’efficacité, c’est-à-dire de la rentabilité des investissements, a fait de l’éducation un secteur de pointe de son programme de prêts.

Dans les pays sous-développés comme, par exemple, le Brésil, l’Inde ou la République arabe unie, l’éducation stimule le développement d’abord et surtout par ses effets sur l’infrastructure socioculturelle. Elle influence, modifie et façonne les institutions sociales et culturelles. Elle encourage les attitudes individuelles d’intégrité et d’efficacité et les attitudes collectives de rationalité et de coopération. Elle fournit un moyen de réduire le chômage et le sous-emploi massifs et de modifier les régimes fonciers peu favorables à la productivité. Elle multiplie les institutions qui diffusent les connaissances, favorisent les innovations et élargissent les possibilités de choix. Elle influe sur les organismes locaux et centraux du pouvoir. Elle éveille la pensée et l’imagination. Elle insuffle un espoir lucide et la ferme détermination de forger un avenir différent du passé [...]. Ce que j’ai voulu souligner c’est que, par son influence sur l’infrastructure socioculturelle, l’éducation joue dans ces pays un rôle encore plus important, plus direct et, à long terme, plus déterminant.

Adiseshiah déclara avec clarté et énergie dans les instances internationales qu’une croissance matérielle négligeant le facteur humain n’était tout simplement pas assez productive et ne pouvait maintenir son élan initial. Seule l’éducation permettait d’effectuer les changements structurels indispensables à une croissance durable. Adiseshiah reconnaissait à l’éducation non seulement le caractère d’un bien de consommation individuel destiné à préparer à l’exercice d’un métier, mais également celui d’un instrument de développement national et d’un important investissement dans l’avenir d’une nation.

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