Régiospécificité et régiosélectivité
La régiospécificité est un terme le plus souvent abusé, désignant surtout des réactions hautement régiosélectives. Dans son sens strict, un mécanisme régiospécifique ne fonctionnerait qu'à un site particulier dans une même molécule ou au sein d'un même fragment moléculaire et il n'y aurait pas d'analogue sans cette spécificité. Cependant, il est souvent difficile de faire la différence entre régiospécificité et chimiospécificité quand il s'agit de fonctionnalités différentes qui sont nécessairement à différents endroits dans une même molécule.
Exemple:
- Les réactions de substitution nucléophile aromatique (SNAr) sont régiospécifiques, pourvu qu'il y ait un nucléofuge (ou groupe partant) en position ortho ou para par rapport à un groupe fonctionnel accepteur π, car le nucléophile attaque seulement le carbone portant le groupe partant.
- Le réarrangement de Claisen lie seulement les atomes terminaux d'un groupement éther allylique et vinylique et délie seulement la liaison C-O du côté allylique, bien que d'autres liaisons auraient pu être faites ou défaites, et ne mettrait pas en jeu un groupement alcène ailleurs dans la molécule, ni un autre groupement éther. Toutefois, ce qui compte est la présence de l'ensemble éther allylique et vinylique et la localisation de cet ensemble dans la molécule n'agit pas, et donc ce réarrangement pourrait être classifié simplement comme chimiospécifique.
La régiosélectivité se manifeste dans les cas où il y a sélection possible entre les produits de réaction par un même mécanisme qui ne diffèrent que par leur positionnement dans une même molécule, lequel ne dépend pas du mécanisme, ou par des mécanismes différents à vitesses différentes. Si les groupements susceptibles faisaient parties de molécules séparées, chacune réagirait mais possiblement à vitesses différentes. Ici aussi, il est parfois difficile de distinguer régio- et chimiosélectivité.
Exemples:
- Le pent-1-ène peut réagir avec l'eau H2O pour donner deux alcools isomères (pentan-1-ol et pentan-2-ol), et la réaction d'hydratation en catalyse acide est régiosélective en donnant surtout le pentan-2-ol (règle de Markovnikov) parce que les deux cations intermédiaires rendus possibles par le mécanisme diffèrent en ce qui concerne leur stabilité. La séparation des deux sites donnerait l'éthylène et le but-2-ène, qui tous deux réagiraient mais à vitesses différentes.
- La bromation par voie radicalaire est régioselective dans le sens qu'elle préfèrera un site allylique ou propargylique à tout autre, alors qu'en absence d'un tel site, elle préfèrera agir sur un C-H tertiaire que sur les sites secondaires ou primaires, etc.
- L'addition d'un cuprate sur une cétone α,β-insaturée est régiosélective car le cuprate choisit entre deux sites de réaction possibles, mais on peut aussi dire qu'elle est simplement chimiosélective parce que les deux sites sont différents du point de vue électronique et parce que le cuprate réagirait mal avec une cétone isolée et pas du tout avec un alcène isolé.
- Les réactions de substitution électrophile aromatique (SEAr) sur les benzènes substitués sont régiosélectives, les groupes fonctionnels électro-donneurs favorisant les substitutions aux positions ortho et para (et l'encombrement stérique peut orienter la réaction davantage vers le produit substitué en position para), alors que les groupes fonctionnels électro-accepteurs favorisent les substitutions aux positions méta.
On serait peut-être tenté de qualifier de régiospécifique l'addition d'un nucléophile sur un groupement carbonyle parce que le nucléophile attaque l'atome de carbone et non pas l'atome d'oxygène. En vérité, il s'agit de régiosélectivité parce que ce n'est pas le mécanisme qui dicte le sens de l'addition, mais bien la différence en stabilité des deux produits possibles.
Il en découle qu'un mécanisme ne peut pas être régiosélectif.