Paul Kammerer - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

Introduction

Paul Kammerer (1880-1923). Photographie conservée à la bibliothèque du Congrès des États-Unis.

Paul Kammerer, né le 17 août 1880 à Vienne, mort le 23 septembre 1926 à Puchberg am Schneeberg, est un biologiste autrichien. Il fut zoologiste à l'Institut de biologie expérimentale de Vienne. Socialiste, pacifiste, philanthrope et mélomane, il employa quelque temps comme assistante la veuve du compositeur Gustav Mahler, Alma Mahler, dont il s'était épris.

Partisan de l'hérédité des caractères acquis, théorie qui avait été soutenue par Lamarck et par Darwin mais avait été abandonnée après la mort de Darwin, Kammerer pensa avoir démontré que les caractères acquis pouvaient être héréditaires chez le crapaud accoucheur. Il observa que, chez ces animaux, les coussinets nuptiaux apparus sur les pattes à la première génération, à l'occasion d'une modification de l'environnement, s'étaient transmis ensuite à la seconde, puis à la troisième génération. Lors d'une conférence donnée à Cambridge en 1923, il réussit à convaincre la communauté scientifique de la validité de ses résultats en produisant un specimen de crapaud issu de ses expériences.

Mais G. Kingsley Noble (1894-1940), de l'American Museum of Natural History de New York examina le matériel des expériences de Kammerer et démontra que les prétendus coussinets nuptiaux avaient été simulés par des injections d'encre de Chine. Quelques semaines plus tard, Kammerer se suicidait. Cette histoire est relatée par Arthur Koestler dans son essai, L'Étreinte du crapaud (The case of the midwife toad), où il prend la défense de Kammerer. On ne sait toujours pas actuellement si Kammerer a été l'auteur d'une fraude scientifique délibérée ou s'il fut victime d'un acte de malveillance de l'un de ses collègues.

Kammerer fut l'un des premiers scientifiques à s'intéresser systématiquement aux coïncidences, qu'il notait dans un carnet. Il est à l'origine du concept de sérialité ou loi des séries, concept repris et développé par la suite par le psychologue C.G. Jung, dans sa théorie de la synchronicité.

Biographie

Ses débuts

Il était l'un des quatre fils de l'industriel viennois Carl Kammerer et de son épouse Sofie. Très vite il fit preuve d'un intérêt extraordinaire pour les animaux, transformant en terrarium le logement des parents. Sorti du lycée en 1899, il mena simultanément des études de zoologie à l'Université de Vienne et, à partir de 1900, de musicologie au conservatoire de la société des mélomanes auprès de Robert Fuchs, un professeur de musique réputé, lui-même élève de Gustav Mahler et d'Alexandre Zemlinsky.

L'ancien vivarium du Prater vers 1880

En 1902 Kammerer devint l'adjoint de Hans Leo Przibram à l'Institut de biologie expérimentale (ancien « Vivarium ») du Prater viennois où on lui confia le terrarium et l'aquarium et où il fut l'auteur de 130 articles, contributions et rapports de recherche. Dans ces installations, les plus modernes de l'époque, il étudia la reproduction des amphibiens et se fit bientôt remarquer par son habileté en zootechnie, à tel point qu'il était le seul a réussir certaines expériences menées sur des grenouilles et à obtenir plusieurs générations de ces batraciens. Ceci lui permit d'effectuer ses premières expériences personnelles sur l'hérédité des caractères acquis.

En 1904 il soutint sa thèse (« promovierte ») de doctorat à l'Université de Vienne et en 1906 se maria avec la baronne Felicitas Maria Theodora de Wiedersperg qui en 1907 donna naissance une fille qui fut baptisée du nom de Lacerta (lézard en latin).

Il fit ensuite divers voyages destinés à enrichir sa documentation photographique et ses collections. Il fut professeur de biologie au Cottage-Lyzeum de Vienne de 1906 à 1912 et passa finalement son doctorat d'État (« habilitierte ») en 1910 à l'Université à Vienne.

Sa vie sociale

Gustav Mahler (1860-1911) en 1893.

Kammerer fréquentait la haute société viennoise. Franc-maçon, il était lié à de nombreux artistes et avait un réseau de relations cosmopolite et éclectique où l'on trouvait le chef d'orchestre Bruno Walter, le sociologue Rudolf Goldscheid, les compositeurs Alban Berg et Franz Schreker, le philosophe Ludwig Erik Tesar ainsi qu'Albert Einstein. Il eut des liaisons fameuses avec la danseuse Grete Wiesenthal, la femme-peintre Anna Walt (qui fit son portrait en 1924) et Alma Mahler.

La description suivante de Kammerer nous est donnée par le biologiste Richard Goldschmidt : « Il avait une manière de parler brillante bien qu'un peu théâtrale. En outre, il était bel homme et s'habillait avec élégance, c'est pourquoi il impressionnait beaucoup avec sa sombre crinière d'artiste et la finesse de ses traits. »

Il jouait du piano à la perfection, écrivait des critiques musicales et composait lui-même des lieder qui furent publiées par Simrock, un éditeur musical renommé. Il était un fervent admirateur du musicien Gustav Mahler dont la mort en 1911 le bouleversa à un point tel, qu'il écrivit le 31 octobre à sa veuve, Alma Mahler : « Il est incompréhensible qu'on puisse aimer à ce point quelqu'un sans que le sexe y prenne part, sans lien de parenté et, à vrai dire, sans même des relations amicales concrétisées comme j'ai pu aimer Mahler. Car il ne s'agissait pas seulement de vénération, d'enthousiasme pour l'art et pour la personne, c'était de l'amour! ».

Sa liaison avec Alma Mahler

Alma Mahler-Werfel (1879-1964), photographiée en 1900.

Alma Mahler, à qui il dédia par la suite un petit livre intitulé De l'acquisition et de l'hérédité du talent musical, appartenait selon lui au « type rare de la Viennoise géniale ». Il poussait son adulation envers elle jusqu'à l'excès et menaça plus d'une fois de se tuer sur la tombe de Gustav Mahler, si elle ne devait pas répondre à son amour. Il écrivait à son sujet : « Quand je suis avec elle, il s'assemble de l'énergie potentielle qui se libère ensuite comme de l'énergie cinétique. Il y a des gens avec qui je suis chaque jour et dont l'effet est tout contraire : c'est l'énergie potentielle qui se dégrade, et par la suite, si j'en ai besoin, il y a trop peu d'énergie cinétique. » Alma décrit ainsi l'adulation de Paul Kammerer : « Si je me levais d'un fauteuil, il s'agenouillait puis sentait et caressait l'endroit du fauteuil sur laquelle je m'étais assise. Peu lui importait que des étrangers fussent présents ou non. Rien n'arrivait à le retenir de telles extravagances, qui abondaient chez lui. »

En novembre 1911, il proposa à Alma Mahler de devenir son assistante, et pendant un certain temps elle travailla pour lui à la réalisation d'expérimentations animales au Prater viennois. Elle s'en souviendra plus tard en ces termes :

«  ... il me fit travailler sur un essai de mnémotechnie avec des mantes religieuses. Il voulait vérifier si ces animaux perdent leur mémoire après leur mue ou si cette dernière ne concerne que les tissus superficiels. Dans ce but, ma tâche consistait à leur inculquer une habitude, une entreprise qui échoua car il s'avéra impossible d'apprendre quoi que ce soit à ces bestioles : je devais les faire manger dans la partie sombre de leur cage qui se trouve en bas, alors que normalement elles mangent toujours dans la partie supérieure et en pleine lumière. Mais elles ne voulurent pas renoncer à leur bonne habitude pour les beaux yeux de Kammerer. » Alma devait nourrir les mantes avec des vers de farine « et j'étais assez dégoûtée devant cette grande caisse grouillante de vers. Lui s'en rendait compte, en prenait une poignée et la mangeait à pleine bouche en faisant de grands bruits ».

Alma Mahler rappela plus tard qu'il pouvait survenir des irrégularités dans les expériences de Kammerer au laboratoire du Prater : « Il souhaitait si ardemment aboutir à des résultats qu'il pouvait inconsciemment s'écarter de la vérité. ».

La liaison de Kammerer avec Alma Mahler prend fin au printemps 1912.

Ses dernières années

En 1923 Kammerer entreprit des voyages dans le monde entier pour faire connaître ses travaux. Ces derniers lui procurèrent une notoriété telle qu'on put le considérer un temps comme le biologiste le plus célèbre du monde. Ses tournées de conférences à travers les États-Unis se transformaient en promenades triomphales et le New York Times le présentait comme « le nouveau Darwin ».

Pour compléter ses apparitions publiques et la publicité qu'elles lui avaient faites, Kammerer écrivit son principal ouvrage, qui parut d'abord en 1924 en anglais (The Inheritance of Acquired Characteristics, Liveright Publishers, New York), l'original allemand Neuvererbung oder Vererbung erworbener Eigenschaften. Erbliche Belastung oder erbliche Entlastung (Stuttgart-Heilbronn) suivit en 1925.

En 1926 il fut nommé à l'Académie communiste des sciences de Moscou où il devait construire un institut de biologie expérimentale. Sa découverte l'avait rendu célèbre, mais le doute s'était installé en même temps chez les spécialistes. Le débat se raviva entre les théories de Lamarck et de Charles Darwin. Finalement, l'un de ses adversaires anglais, le zoologiste américain Gladwyn Kingsley Noble, chargé de la section des reptiles à l'American Museum of Natural History, fit le voyage de Vienne, accompagné de Hans Leo Przibram, pour examiner la dernière préparation qui existait encore du crapaud accoucheur, celle dont Kammerer s'était servi comme preuve et qui avait traversé la guerre sans dommages.

Le 7 août 1926 un article accablant parut dans la revue spécialisée anglaise Nature. Noble y dénonçait les callosités de rut du crapaud accoucheur comme de simples contrefaçons. Les points des callosités s'étaient révélés être de l'encre noire injectée sous la peau, ce qui ne pouvait être que l'œuvre de Kammerer ou de l'un de ses collaborateurs. Dans le monde scientifique cette nouvelle fit l'effet d'une bombe et signifiait pour Kammerer la fin de sa carrière. Cependant, la contrefaçon s'avérait si grossière et évidente que l'on se demanda très vite comment elle avait pu échapper d'abord à l'examen minutieux de douzaines de savants pendant des années. Jusqu'à maintenant on n'a pas pu répondre à cette question : Kammerer était-il vraiment un falsificateur ou fut-il victime d'un complot dû à la jalousie de ses collègues ?

Le 22 septembre 1926 Kammerer écrivit à l'Académie de Moscou une lettre dans laquelle il démissionnait de son poste et assurait en même temps n'avoir rien à voir avec les contrefaçons, ni avec le crapaud accoucheur qui restait ni avec la salamandre sur laquelle on avait également trouvé des traces d'encre. La lettre se terminait ainsi :

Je me vois hors d'état de supporter cette faillite du travail de ma vie et, je l'espère, j'aurai le courage et la force de mettre demain un terme à ma vie gâchée.

Après quoi Kammerer se rendit à Puchberg am Schneeberg, une région touristique près de Vienne et passa la nuit à l'hôtel Zur Rose. Le matin suivant, il prit le chemin de Himberg et, arrivé à Theresienfelsen, il se tua d'un coup de feu dans la tempe.

Un escalator sous l'océan
Il y a 10 heures
Page générée en 0.309 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales | Partenaire: HD-Numérique
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise