L'océan Pacifique Tropical Ouest se réchauffe et se dessale

Publié par Michel le 28/03/2009 à 00:00
Source: CNRS / INSU
Illustrations: Voir légendes
Restez toujours informé: suivez-nous sur Google Actualités (icone ☆)

Dans le Pacifique Tropical Ouest, les températures de surface de la mer dépassent les 28°C sur une profondeur d'une centaine de mètres. Cette "Warm Pool" constitue l'une des sources chaudes de la machine thermodynamique de notre globe. Elle joue aussi un rôle fondamental dans le développement d'événements El Nino aux forts impacts climatiques et socio-économiques à l'échelle planétaire. Or, les océanographes du LEGOS, en collaboration avec ceux de la NOAA et de l'Université de Miami, viennent de montrer que, depuis 1955, cette Warm Pool s'est réchauffée, considérablement étendue et dessalée, une baisse de salinité qui pourrait être due à une intensification des précipitations dans la région.


Température moyenne annuelle de surface de l'océan global.
© World Ocean Atlas, 2005World Ocean Atlas, 2005

La Warm Pool du Pacifique Tropical Ouest se caractérise par des eaux de surface parmi les plus chaudes de l'océan global, dépassant les 28°C, voire les 29°C dans la partie située au large des Philippines et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

S'étendant sur plus de 15 millions de kilomètres carrés (27 fois la France) et sur une centaine de mètres de profondeur, cet immense réservoir d'eaux chaudes relâche dans l'atmosphère une importante quantité de chaleur et d'humidité. Les pluies intenses résultantes, associées à des vents faibles, induisent de faibles salinités de surface dans la région, inférieures à 35 (1), et une couche de surface océanique fortement stratifiée et donc stable.

Au centre et à l'Est du bassin Pacifique au contraire, les eaux profondes qui remontent à la surface sous l'effet des alizés sont plus froides et plus salées ("Cold tongue").

Il existe donc à l'équateur un contraste important entre la Warm Pool à l'ouest et la Cold Tongue à l'est, délimité par un front en salinité (moins marqué en température) dont les modifications sont fortement liées aux événements El Nino/La Nina.

Afin de mieux comprendre l'évolution de cette Warm Pool dans le contexte du changement global, des chercheurs du LEGOS ont rassemblé, en partenariat avec la NOAA et l'Université de Miami, un grand nombre d'observations de température et de salinité de surface de la mer réalisées entre 1950 et 2000 et provenant d'échantillons d'eau de mer prélevés à partir de bateaux marchands, de thermosalinographes installés sur des navires marchands (Observatoire de recherche en environnement SSS), de campagnes océanographiques, de mouillages grands fonds et (uniquement pour la température) de mesures satellitaires.


a gauche: augmentation moyenne de la température (a) et de la salinité (b)
des eaux de surface du Pacifique Tropical Ouest entre 1955 et 2000.
A droite: positions de l'isotherme 28.5°C (c) et de l'isohaline 34.8 (d) moyennées
sur les périodes 1956-1965 (noir), 1966-1975 (rouge), 1976-1985 (vert), 1986-1995 (bleu)
et 1996-2003 (bleu clair). © LEGOS/OMP

Ces observations montrent que la Warm Pool s'est réchauffée et sa surface considérablement étendue au cours des dernières décennies. Ainsi:

- les eaux supérieures à 28,5°C ont vu leur température moyenne augmenter de 0,29°C en ½ siècle ;
- la surface de l'océan couverte par des eaux supérieures à 29°C a doublé depuis 1955, occupant autant d'espace que, 40 ans plus tôt, les eaux supérieures à 28,5°C ;
- les zones d'eaux chaudes supérieures à 30°C, limitées il y a 50 ans, sont devenues communes.



Superficies du Pacifique Tropical Ouest couvertes à gauche par des eaux
plus chaudes que 28°C (noir), 28.5°C (rouge), 29°C (vert), 29.5°C (bleu) et 30°C (violet)
et à droite par des eaux moins salées que 35 (noir), 34.8 (rouge), 34.6 (vert), 34.4 (bleu) et 34.2 (violet). Les zones ombrées représentent les barres d'erreur pour les salinités,
plus fortes au début de la période où le nombre d'observations est faible. © LEGOS/OMP

Des observations réalisées sous la surface suggèrent également que la profondeur moyenne de la Warm Pool a augmenté d'une dizaine de mètres, induisant un plus important volume de chaleur stocké dans l'océan.

La Warm Pool a aussi fortement dessalée et la surface couverte par des eaux de faible salinité s'est étendue. En revanche, en dehors de la Warm Pool, dans les eaux plus salées des grands tourbillons subtropicaux et le long de la côte australienne, la salinité de surface a augmenté. Il semble donc que les contrastes régionaux de salinité de surface se soient renforcés.
Quant au front équatorial de température et de sel délimitant la limite Est de la Warm Pool, il s'est déplacé vers l'Est, d'environ 2000 kilomètres en 50 ans, un déplacement important qui pourrait modifier la dynamique de déclenchement ou la fréquence d'occurrence des événements El Nino.

Toutes ces modifications affecteront très vraisemblablement les interactions océan-atmosphère dans la région, la dynamique d'El Nino et le climat global. L'analyse de simulations numériques montrent en effet qu'un faible réchauffement de ces eaux déjà très chaudes est à même d'induire de fortes anomalies climatiques sur l'ensemble de la planète.

Si le réchauffement de la Warm Pool peut être relié au réchauffement global, une question demeure concernant la salinité: pourquoi les eaux les plus chaudes se sont-elles dessalées ou encore pourquoi les contrastes régionaux de salinité de surface se sont-ils renforcés ? Cette dessalure pourrait être liée à des modifications dans les précipitations, l'évaporation ou encore l'apport d'eaux plus ou moins salées par les courants océaniques. Cependant, les longues séries de données concernant l'évaporation, les précipitations et les courants ne sont pour l'instant pas assez fiables pour permettre d'en déduire un bilan correct de la salinité.

En revanche, la relation thermodynamique de Clausius-Clapeyron, qui dit que plus la température atmosphérique est élevée, plus l'atmosphère est capable de stocker de la vapeur d'eau qui se transformera plus tard en précipitations, permet de proposer un mécanisme explicatif très simplifié: au-dessus des eaux devenues plus chaudes, aussi bien au niveau de la Warm Pool elle-même qu'aux alentours, l'évaporation et l'humidité atmosphérique vont augmenter, mais cette humidité va être redistribuée par la circulation atmosphérique supposée inchangée. Ainsi, dans la région de la Warm Pool, qui est une région de fortes précipitations et de convergence du flux d'humidité atmosphérique, il va pleuvoir davantage et la salinité va baisser, alors que dans les régions des gyres subtropicaux, qui sont des régions de forte évaporation et de divergence du flux d'humidité atmosphérique, la salinité va augmenter. Un calcul théorique des variations de salinité, basé sur cette relation, donne par ailleurs un résultat tout à fait compatible, quantitativement, avec les observations.

Cette étude est ainsi une des rares études basées sur de longues séries temporelles d'observations océaniques in situ qui viennent corroborer cette intensification du cycle hydrologique sous l'effet du réchauffement que les simulations du GIEC (Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat) prévoient au-dessus des océans.

Pour les pays insulaires du Pacifique Ouest, ces changements dans les précipitations auront vraisemblablement d'importantes répercussions climatiques et socio-économiques.


Note:

(1) La salinité est une grandeur sans unité qui exprime, en première approximation, la quantité de sel (en grammes) contenue dans un kilogramme d'eau.
Page générée en 0.703 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales | Partenaire: HD-Numérique
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise