Amédée François Frézier - Définition

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Frézier architecte civil, architecte religieux et polémiste

  • À Landau, ville du Palatinat rhénan qui appartint à la France de 1680 à 1815, où il séjourna de 1728 à 1739, Frézier dressa les plans de l'Hôpital militaire en construction, ajouta vingt-six fortins aux ouvrages de Vauban et rédigea son monumental traité en trois volumes sur La Théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois pour la construction des voûtes et autres parties des bâtiments civils et militaires…, qu'il simplifia et condensa ultérieurement, en 1760, en un Éléments de stéréotomie à l'usage de l'architecture. L'ouvrage, extrêmement complexe et spécialisé, souffrit de nombreuses erreurs et coquilles, que Frézier n'eut pas le temps de corriger avant l'impression. Il dut rédiger un chapitre d'errata, et recommanda à ceux qui critiquaient son œuvre de commencer par lire d'abord ce chapitre, et « de ne pas faire l'erreur de l'homme qui s'attacherait plus à examiner le vase qu'à goûter la liqueur qu'il contient. » On l'accusa aussi d'utiliser des néologismes trop hardis, comme tomotechnie (la technique de la coupe), tomomorphie (les formes des sections), gonographie (la description des angles) ; il les supprima dans ses éléments de stéreotomie. Durant son séjour à Landau, Frézier fit également paraître, en 1738, une dissertation sur les ordres d'architecture.

À Brest, où il vécut après sa nomination, à près de 60 ans, au poste de directeur des Fortifications de Bretagne, poste qu'il occupa pendant 24 ans, Frézier dessina des projets d'aménagement urbain (voirie, fontaines, places, rues), et surtout travailla au remaniement de l'église Saint-Louis. Garangeau en avait dessiné les plans en 1688, mais les travaux furent bloqués par une procédure des jésuites qui se considéraient propriétaires de l'église. Quand les travaux purent reprendre, en 1742, les plans de Garangeau furent appliqués, mais Frézier put réaliser le baldaquin du maître-autel selon ses propres goûts. Il le plaça, selon son désir, au milieu du chœur, et utilisa pour le supporter quatre superbes colonnes monolithes de marbre cipolin à veines concentriques, dessinant comme un oignon tranché, qui provenaient des ruines de Leptis Magna. Louis XIV en avait reçu un lot de Libye en 1689, au temps de sa splendeur, mais quatre d'entre elles furent « oubliées », ne furent pas utilisées à Versailles, et Frézier les obtint. Terminé en 1758, le baldaquin de l'église Saint-Louis, œuvre d'architecture religieuse de la maturité de Frézier — il avait 76 ans en 1758 — fut fort loué par les contemporains à la fois pour son appareil et pour son esthétique. Les bombardements de la dernière guerre le détruisirent, comme l'église Saint-Louis.

À Santiago du Chili, une grande plaque de bronze scellée dans le sol devant l'hôtel de ville, de quatre mètres de côté, atteste et remercie Amedeo Frezier d'avoir dressé en 1712 le plan de la capitale, qu'elle reproduit en bas-relief. Le plan est strictement géométrique : un échiquier délimité par l'entrecroisement de quinze rues en largeur et de dix rues en hauteur, avec la Plaza de Armas (la Grand'Place) légèrement décalée par rapport au centre. Le coin inférieur est traversé par le Rio Mapocho, sur lequel Frézier n'a d'ailleurs prévu aucun pont.

  • C'est à propos d'architecture que Frézier démontra le plus souvent ses talents de polémiste. Jeune officier, avant son départ pour l'Amérique latine en 1712, il s'opposa avec un humour mordant au chanoine de Cordemoy qui avait osé disserter de la conception architecturale de Saint-Pierre de Rome. Il attaqua ensuite, dans le Mercure de juillet 1743, un M. Le Blanc, qui avait lui aussi mentionné Saint-Pierre de Rome. Et sa victime suivante fut un R.P. Laugier, jésuite, qui tenait pour le style néo-classique et soutenait Cordemoy dans son Essai sur l'architecture.

Frézier ne se privait pas de combattre ses adversaires sur leur propre terrain : ses études de théologie le lui permettaient. De plus il maniait habilement la dérision, et finalement pulvérisait ses adversaires par un argument décisif : eux ne sont que des théoriciens, des architectes en chambre, alors que lui a effectivement manié les matériaux, lui a vraiment construit…

Frézier était-il anticlérical ? Il se trouve simplement que ses adversaires sont des clercs (mais à l'époque les hommes instruits étaient le plus souvent des religieux), qui osent parler d'architecture. Mais Frézier ne supporte manifestement pas que des « moines » (qui ont sans doute embrassé les ordres par opportunisme et sont intellectuellement plus attirés par des disciplines séculières que par la religion) viennent empiéter sur son domaine, et en n'ayant de plus que des connaissances théoriques sur le sujet. Autre avantage de Frézier sur ses adversaires sédentaires : lui avait vu à Cuzco et à Lima à quels excès peut aboutir l'art religieux, et pour lui « tout y est si confus, chargé et si mauvais qu'on ne peut s'empêcher de regretter les sommes immenses qu'ils [les architectes espagnols] dépensent dans ces galimatias dorés ».

Frézier milita pour la simplicité en architecture, et défendit de plus la beauté et la solidité du style gothique, qui, pour ses contemporains, datait des âges barbares : on doit, dit-il, convenir que le gothique a « de la hardiesse, de belles proportions, de la délicatesse et une exécution admirable… Quant à la solidité, elle est bien prouvée par le grand nombre de monuments qui nous en restent depuis plusieurs siècles… »

  • Le père Louis Éconches Feuillée, minime franciscain, n'était pourtant ni un théoricien ni un ami des jésuites, mais Frézier polémiqua vivement avec lui. De 1707 à 1711, le religieux, par ailleurs mathématicien et botaniste distingué, avait en effet parcouru, sur le Saint-Jean-Baptiste, capitaine Doublet, les côtes du Chili et du Pérou. Il était élève de Cassini, pour qui il avait été faire des observations astronomiques dans le Levant, puis aux Antilles ; et il utilisa les méthodes nouvelles de Cassini (observation du déplacement des satellites de Jupiter) pour déterminer exactement les positions en longitude, problème bien plus ardu à l'époque que le calcul de la latitude.

Même terrain d'étude (l'Amérique latine), excellences identiques en géographie et mathématiques, supériorité du franciscain Feuillée dans le domaine de la botanique, mais avantage à l'officier Frézier en architecture et poliorcétique : le choc entre ces deux caractères bien trempés était inévitable. De plus, le père Louis Éconches Feuillée avait eu, en sa qualité de prêtre, la possibilité de mieux pénétrer que l'officier, qui voyageait incognito, les domaines (mines, haciendas, reducciones) dépendant de la classe possédante chrétienne. Les observations acides de Frézier sur l'obscurantisme du clergé chilien, et sur l'inanité de la Fête des Fous de Pisco (port péruvien, département d'Ica, exportant l'eau de vie pisco produite alentour) autorisée par l'Église locale échauffèrent la cuculle au cordelier : lors de la réédition de sa relation de voyage, en 1725, le religieux y ajouta une préface virulente, dans laquelle il n'hésitait pas à traiter son concurrent de « pilote sans étude ». C'en était trop pour Frézier, qui répliqua vertement en publiant, en 1727, une brochure intitulée « Réponse à la préface critique du livre intitulé “Journal des observations Physiques, Mathématiques et Botaniques” du R.P. Feuillée… », qu'il conclut malicieusement par une citation tirée de l'Ecclésiaste c. 5 : « Lingua imprudentis subvertio est ipsius » (« Sa propre langue est la perte de l'imprudent »). Et pour montrer qu'en Amérique latine il ne s'était pas consacré qu'à l'herborisation, Frézier ajouta en appendice une nomenclature des vice-rois du Pérou, de l'origine à 1712.

  • Le succès que connut l'herbier médical que le père Louis Éconches Feuillée avait ramené du Chili et du Pérou incita-t-il Frézier à rapporter du Chili des fraisiers portant d'impressionnants fruits blancs, gros comme des petites pommes ? En fait, la botanique et les espèces végétales nouvelles étaient à l'époque l'objet d'un véritable engouement, voire d'une passion : témoins l'amateur de tulipes épinglé par La Bruyère, l'« arbre aux quarante écus » (Ginkgo biloba), le cèdre de Bernard de Jussieu…
  • Frézier, jusque tard dans sa vie, continua à écrire, voire à polémiquer : il publia dans le Mercure de France de juillet 1750 une Réponse aux observations de Mr Walter, auteur d'un voyage autour du monde (il s'agit du Voyage du Commodore Anson) ; et en novembre 1752 (il avait alors 70 ans...), dans le Journal de Verdun, une "Lettre sur les tremblements de terre de Lima".
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