Biopunk - Définition

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Introduction

Biopunk est un néologisme, né de la contraction entre Biotech et Cyberpunk.

Le « Siècle Biotech » dont parlait Jeremy Rifkin (1998) est à présent le nôtre. Les technologies du vivant sont amenées à prendre une importance grandissante au cours des prochaines décennies, tant dans les vies individuelles que dans les choix de société. Clonage et transgénèse sont la partie émergée d’un ensemble de pratiques naissantes, amenées à se perfectionner, se diversifier, et répondre à des demandes de plus en plus nombreuses, malgré, pour l’instant, la frilosité ambiante. Cette dernière ne résistera pas longtemps à l’avancée de la technoscience, mélange de logique scientifique, de réponse à une demande, et d’impératifs économiques. Loin de s’en attrister, certains l’acceptent, et commencent à s’approprier le monde de demain.

De même que l’information, et l’informatique, constituèrent les sciences et techniques dominantes de la seconde moitié du XXe siècle, et descendirent au niveau de la rue avec les contre-cultures « cyber », les biotechnologies sont la révolution technologique, philosophique, et artistique majeure du XXIe siècle, dont certaines avant-gardes s’emparent déjà. Même balbutiante, l’ingénierie génétique a trouvé ses premiers hackers. Les enfants des cyberpunks continuent le combat, et si le paradigme a changé, l’idée est la même : scientifique dans la pratique, punk dans l’âme. Les mordus d’ADN remplacent les amateurs de silicium, les générations roulent ; nous sommes à l’ère des biopunks.

Cyber, Post-Cyber

La science-fiction constitue un bon baromètre de l’importance des différentes contre-cultures, en plus d’être généralement le lieu de leur genèse. Il se trouve que le Biopunk fut précédé, en littérature, des phases « Cyberpunk » et « Postcyberpunk », dont il hérite d’une grande partie des caractéristiques.

  • Les années 1980 connaissent le boom de l’ordinateur personnel, et de façon générale la victoire et l’invasion des technologies de l’information. L’écrivain de SF William Gibson accompagne le phénomène et anticipe son évolution, imaginant un futur où la technologie, au développement hypertrophique, finit par envahir irrémédiablement l’environnement humain, par le remplacer ; un univers froid où l’informatique révèle son pouvoir de contrôle, renforçant celui des autorités, où elle sacre son omniprésence en venant s’inscrire au cœur des organismes humains, au moyen de tout un arsenal de gadgets électroniques. À cette occasion, naît un nouveau type de personnage, l’homme de la rue, solitaire et marginal, contraint de s’adapter à une évolution technologique rapide et incessante, et de s’en sortir le moins mal possible. Ce personnage sans racines, surdoué de l’électronique mais pas des relations humaines, travaille parfois pour de grandes sociétés, mais le plus souvent pour son compte ; spécialiste de l’infiltration de banques de données, de la création de virus informatiques, et de la prise de drogues suspectes, c’est un « mauvais garçon » sous tous rapports, un punk de l’âge cyber.

Gibson, Sterling, Shiner, ou Cadigan, sont les écrivains les plus marquants d’une science-fiction que tout le monde s’accorde à appeler « cyberpunk », considérée comme une révolution du genre, tant au niveau thématique que littéraire. Gibson notamment, dans son œuvre majeure Neuromancien, a le génial pressentiment de ce qui va devenir le fait marquant, dans le domaines des technologies, de la décennie suivante, Internet, outil qui va permettre en retour à de véritables cyberpunks d’émerger. De simples programmeurs, ainsi, vont devenir des pirates du réseau mondial.

Hors le courant littéraire, qui s’essouffle déjà un peu à la fin des années 1980, naissent un certain nombre de mouvements se réclamant du Cyberpunk, dont les protagonistes sont de réels marginaux utilisant et détournant les innovations techniques pour se ménager des espaces de liberté, et contourner les mécanismes de contrôle centralisé qui prévalent dans le monde non-virtuel. Les implants et les interfaces neurales n’étant pas à l’ordre du jour, excepté dans l’iconographie du mouvement, c’est sur le Net que se forment les communautés Cyberpunks.

Plusieurs manifestes fleurirent. Leurs thèmes se recoupent suffisamment pour tirer de ces mouvements un portrait homogène. Le « Manifeste Crypto-Anarchiste » de (1992) est, comme son nom l’indique, une déclaration d’orientation libertaire, souhaitant attirer l’attention des anarchistes traditionnels sur les possibilités offertes par les technologies informatiques. Le manifeste avance que « la crypto-anarchie permettra de faire circuler librement les secrets nationaux et de vendre des matériaux illicites ou volés », et que « les méthodes cryptologiques altèreront fondamentalement la nature de l’interférence du gouvernement et des grandes sociétés dans les transactions économiques ». L’idée est d’utiliser l’encryptage sur le réseau d’échange mondial, d’anonymiser les discussions privées, de tout diffuser à tout le monde, et de démanteler « le fil de fer barbelé qui entoure la propriété intellectuelle ». Par là, le hacking devient l’activité cyberpunk par excellence.

Le « Manifeste des Cyberpunks » de Eric Hughes (1993) reprend les mêmes thèmes. Il s’agit pour lui de « préserver la vie privée » au moyen d’un « système d’échanges anonymes ». Les cyberpunks, dont il se réclame, ont alors pour tâche d’écrire des programmes d’encryptage, contre les gouvernements et les compagnies qui souhaitent, selon lui, rendre publiques tous les échanges afin d’asseoir leur contrôle. « Les cyberpunks s’engagent activement à faire du net un endroit plus sûr pour la vie privée ».

Enfin, le « Cyberpunk Manifesto », de Christian As. Kirtchev (1997), en plus de reprendre les thèmes susdits (transactions anonymes, liberté totale de circulation des informations, etc.), s’amuse à décrire le mode de vie des cyberpunks et des hacktivistes du net, confirmant leur isolement et leur insociabilité. Le cyberpunk des années 1990 semble alors radicalement inadapté à son époque, écartelé entre sa référence à un genre littéraire qui n’existe plus et son aspiration à un univers ultra-technologisé qui n’est pas encore. « Nous vivons au bon endroit, mais pas au bon moment ».

  • Prenant peut-être acte de cet anachronisme de la mentalité cyberpunk, la science-fiction est pour sa part entrée dans les années 1990 dans sa phase « post-cyberpunk ». L’appellation dit suffisamment combien ce mouvement manque d’unité, le seul dénominateur commun à ses œuvres étant d’arriver « après » le Cyberpunk. L’écrivain Lawrence Person s’est néanmoins efforcé de dépeindre à gros traits cette tendance littéraire :

« Le Postcybepunk fait apparaître des personnages et des cadres différents [du Cyberpunk], et, surtout, fait des hypothèses fondamentalement autres sur le futur. Loin d’être des marginaux solitaires, les personnages de postcyberpunk font bien souvent partie intégrante de la société (autrement dit, ils ont un emploi). Ils évoluent dans un futur qui n’est pas nécessairement anti-utopique (en fait, ils baignent souvent dans un optimisme qui va de la prudence à l’exubérance), mais leur vie quotidienne reste marquée par le renouvellement technologique rapide et une infrastructure informatisée omniprésente. » (Notes Toward a Postcyberpunk Manifesto, 1998).

Le Postcyberpunk fleurit chez des auteurs comme Neal Stephenson (L’Âge de Diamant), Ian McDonald (Necroville), Greg Bear (Slant), et toujours Bruce Sterling (Les mailles du réseau, Feu Sacré). Les descriptions très détaillées de l’environnement des personnages sont toujours présentes, mais la condition sociale de ces derniers a changé (de même que celle des écrivains ex-cyberpunk, sans doute). Issus des couches moyennes de la population, ils ont fondé une famille, ont une vie sociale, des responsabilités, et sont suffisamment intégrés à la société pour prospérer et se reproduire. Ou comment les « nerds », individus frêles et autistes des années 1980, sont devenus des « geeks », informaticiens bien sous tous rapports et bons à marier.

L’idée sous-jacente est alors d’humaniser, en quelque sorte, l’univers cyberpunk. Les visions cauchemardesques engendrées par le genre, y compris et surtout dans l’imaginaire populaire, ont recouvert ce qu’un tel futur pouvait contenir de désirable. Il ne s’agit pas de dire que le paradis technologique est pour demain, mais qu’il est possible d’être bien portant et sain d’esprit dans un univers hyper-technologique. Acheter des implants douteux au marché noir dans les faubourgs sales de Tokyo ne sera pas le lot de tout le monde.

L’individu postcyberpunk a donc tendance à être chaleureux et drôle, quand le cyberpunk était froid et sinistre. La SF change d’atours, et tente la séduction par l'optimisme après des années de séduction par l’effroi.

Néanmoins, comme le reconnaît Lawrence Person, le Postcyberpunk n’est pas un mouvement. Tout au plus est-il une appellation servant à réunir quelques œuvres. Il n’a pas en lui la force d’affirmation d’un véritable renouveau. Simple style de science-fiction aux contours flous, il n’a pas non plus de réels équivalents dans la culture ; pour beaucoup d’artistes ou de philosophes des contre-cultures, l’heure est encore au cyberpunk « tout court ».

Seule l’émergence d’une nouvelle technologie, comme celle qui s’appuie sur les sciences du vivant, a donc pu donner l’impulsion nécessaire à l’émergence d’une contre-culture à l’identité forte.

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