Cyclostratigraphie - Définition

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Méthodologie et mise en œuvre

Pour retrouver la trace des variations paléoclimatiques, il faut utiliser des indicateurs ou proxies climatiques. Il s'agit de quantités physico-chimiques reflétant les variations de certains paramètres de l'environnement de dépôt sensibles aux variations climatiques. Ces proxies sont enregistrés dans les roches sédimentaires, et leur analyse permet la construction d'un signal, qui devra être analysé en termes de ses périodicités éventuelles.

Signal et indicateur climatique

Afin que l'éventuelle corrélation dégagée expérimentalement ait du sens, le proxie doit avant tout être « fidèle », c'est-à-dire que sa variabilité propre doit donner une idée précise des variations exogènes. En d'autres termes, le couplage entre l'indicateur et son ou ses déterminant(s) climatique(s) doit être aussi direct que possible et l'indicateur choisi ne doit pas avoir — dans l'idéal… — d'autres sources de variabilité que le paramètre à estimer. Cela implique que le proxie doit avoir été aussi peu affecté diagénétiquement que possible, de façon à ce que l'enregistrement soit non ambigu, et partant, l'interprétation, fiable. Enfin, il est évidemment nécessaire de pouvoir quantifier correctement les variations du proxie. À ce titre, un indicateur climatique peut signer des variations quantitatives ou qualitatives — dans ce second cas, il sera nécessaire de discrétiser les données expérimentales.

La méthode classique consiste à mesurer, à pas régulier dans une série sédimentaire, la valeur exprimée par un proxie, afin de construire un signal discret (par exemple, la valeur de la susceptibilité magnétique d'un ensemble d'échantillons relevés tous les cinq centimètres). Cette phase d'échantillonnage (relevé des valeurs expérimentales) met en œuvre des techniques plus ou moins complexes, qui vont du simple comptage visuel à l'analyse atomique, selon le proxie utilisé.

Ainsi, il faut successivement :

  • démontrer la validité du proxie climatique choisi (avec une part de vérification a posteriori) ;
  • justifier que les variations mesurées aujourd'hui rendent bien compte de celles du paléoclimat ;
  • quantifier en termes de cycles et donc de durées la variabilité du proxie.

Si le traitement des données mesurées est globalement le même pour tous les proxies (techniques d'analyse mathématique adaptées), l'échantillonnage initial et les interprétations finales varient sensiblement.

Diversité des indicateurs climatiques

Avant l'avènement des proxies géochimiques, les techniques de comptage étaient les seules utilisées. Lorsque Gilbert impute à la précession les alternances litées de Green River, l'indicateur climatique est le doublet de bancs calcaire-marne. Il a par la suite été démontré qu'il est pertinent d'approximer une échelle des temps en reliant le numéro d'ordre d'une couche et la période de la précession. Cela suppose toutefois que le dépôt de chaque couche a pris un temps égal, de sorte que cette méthode n'est guère précise (elle n'est valable qu'en moyenne). Des méthodes statistiques sont régulièrement utilisées, notamment les courbes d'abondances sur les données paléontologiques liées à de bons fossiles stratigraphiques.

Une haute résolution temporelle (inférieure à la fréquence du cycle recherché) est nécessaire. Or, il est peut être difficile d'atteindre des résolutions aussi fines que celle, par exemple, de la précession (quelques milliers d'années), avec les seules données biologiques disponibles. Il est possible d'améliorer de façon sensible la résolution temporelle et de réduire les hypothèses concernant les processus de sédimentation en s'intéressant à des éléments chimiques. Le principal postulat établi est la (relative) constance du taux de sédimentation entre deux bornes temporelles connues — en fait, des résultats ponctuellement peu cohérents signent souvent une variation limitée du taux de sédimentation, qui peut alors être assez finement contrainte à l'issue de l'étude cyclostratigraphique. Une fois ces bases de travail posé, il suffit d'échantillonner entre les deux bornes temporelles d'étude et d'appliquer les méthodes classiques de la stratigraphie pour, in fine, relier la dimension spatiale du dépôt à la dimension temporelle du paléoprocessus de sédimentation. De cette façon, un échantillonnage à bonne résolution permet de tracer très précisément les variations du proxie.

Parmi les principaux « marqueurs » géochimiques utilisés figurent les isotopes de l'oxygène, du carbone, les carbonates, les éléments traces tels que le fer, le manganèse, etc. De façon générale, le fractionnement isotopique est une classe d'indicateurs climatiques très utile. Par exemple, le δ18O des carbonates est directement relié à la température de l'eau où la précipitation carbonatée a eu lieu. Les variations liées aux isotopes stables et instables sont ainsi corrélées aux données des marqueurs sédimentologiques, ou à d'autres proxies dont certains ne sont pas à strictement parler des indicateurs climatiques, essentiellement des marqueurs physiques.

La susceptibilité magnétique (SM), notamment, signe une quantité assimilée à des éléments magnétiques piégés dans un sédiment souvent détritique. Or, le flux d'apports en sédiments continentaux par détritisme dépend du climat, de sorte que la SM constitue un « méta-proxie » climatique. Les données magnétiques subissent une altération moindre par rapport aux proxies géochimiques et sont donc surtout établies pour les séries anciennes. Par contre, la relation proxie-paléoprocessus est moins directe. De façon plus générale, plusieurs types de données physiques issues de diagraphies peuvent être utilisés, par exemple les radioactivités naturelles ou les méthodes électriques (chargeabilité, qui signe le degré d'altération ; résistivité, qui signe des variations lithologiques). Certaines seront toutefois plus sensibles aux autocycles et aux accidents locaux (altération par des fluides, par exemple).

Le choix d'un indicateur climatique repose enfin sur deux critères plus prosaïques : la disponibilité du proxie dans la série étudiée (il n'y a pas toujours du carbone en quantité suffisante ou des minéraux magnétiques détectables…) et, bien entendu, le coût que représente son échantillonnage. Selon les conditions environnementales locales, l'âge des roches, leurs types, des indicateurs différents sont accessibles. Les séries dites continues, où des corrélations sont possibles entre les données bio-magnétostratigraphiques et les proxies géochimiques ou physiques, sont favorisées, car les résultats finaux sont plus contraints.

Travailler à haute résolution

Compte tenu de l'ordre de grandeur des plus faibles périodes orbitales (précession de période moyenne 20 000 ans), l'échantillonnage des signaux des proxies doit être précis (de l'ordre du millier d'années à quelques milliers d'années). À l'échelle des temps géologiques, dont l'unité de base est le million d'années, il s'agit d'ordres de grandeurs très faibles. Cela suppose la mise en œuvre de techniques de haute résolution, mais aussi le recours à une échelle des temps géologiques fiable. En effet, si les bornes temporelles utilisées pour calibrer les mesures sont trop imprécises, la quantification de la variabilité du proxie n'est pas significative (il peut être impossible d'établir une corrélation aux cycles climatiques alors qu'elle existe, ou bien une corrélation peut être mise en évidence alors qu'il ne s'agit que d'un artefact). Par ailleurs, de nombreux biais peuvent altérer le signal primaire :

  • une série sédimentaire affectée par une activité diagenétique importante — voire par du métamorphisme — ne permet pas de mener une étude basée sur des proxies géochimiques, car l'information est altérée. Elle peut également être plus simplement absente : de très nombreuses séries présentent des hiatus, qu'ils soient de non dépôt ou d'altération. Même en choisissant une série favorable (peu ou pas d'altération, proxies fiables disponibles, etc.), sa continuité peut être imparfaite, ce qui va fausser le signal du proxie. Lors de l'échantillonnage, les valeurs doivent alors être corrigées, en général par interpolation linéaire ou polynômiale, ce qui introduit une erreur qu'il s'agit de minimiser ;
  • un autre problème récurrent est posé par la variabilité du taux de sédimentation au cours du temps. Si des changement importants sont détectés à l'analyse mais avec un caractère périodique indéniable, c'est que la périodicité est variable sur la série : à moins de découper l'analyse, l'interprétation sera difficile. Toutefois, des variations faibles ne sont pas gênantes et leurs effets peuvent être éliminés par un traitement analytique approprié (filtres, etc.) ;
  • les autocycles constituent également une altération du signal. Lorsque certains signaux liés à des phénomènes endogènes du système sédimentaire se superposent aux signaux orbitaux, la corrélation entre, par exemple, proxie, climat et forçage astronomique n'est plus triviale. Il faut donc prendre en compte les caractéristiques, et du système climatique, et du système sédimentaire. À noter qu'une étude peut porter sur les autocycles d'un système environmental, par exemple, la variabilité d'une cyclicité estuarienne, tidale, etc. Ce type d'étude est toutefois plus rare, car se posent de nombreux problèmes d'interprétation qui ne peuvent être résolus que si l'environnement de dépôt a, par ailleurs, été très bien étudié.

Si une observation directe des échantillonnages peut permettre d'identifier des cyclicités évidentes, un traitement des données est indispensable pour l'essentiel des relevés. Les premières méthodes analytiques utilisées étaient du type géostatistiques. Étant donné que les séries sédimentaires constituent des enregistrements temporels des dynamiques passées, il est apparu nécessaire d'appliquer un traitement mathématique plus approprié aux données extraites de ces séries. La cyclicité des motifs recherchés à mené vers l'analyse harmonique et le traitement en fréquences, qui sont les outils idoines pour l'analyse de la composante temporelle. Ils doivent permettre de mettre en évidence les éventuelles périodicités d'un signal.

Analyse spectrale

Fenêtre de Blackman. À gauche, en domaine temporel ; à droite, en domaine fréquentiel ; pour N valeurs. Traitement appliqué :
\begin{align}w(n) = & ~0.42 \\ & + 0.5 \cdot \cos ( \frac{2 \pi n}{N-1} ) \\ & + 0.08 \cdot \cos ( \frac{4 \pi n}{N-1} )\end{align}

Afin de mettre en évidence la corrélation entre insolation (cycles orbitaux) et échantillonnage (cycles sédimentaires potentiels), le plus simple est de passer du domaine spatial — c'est-à-dire, de façon équivalente du point de vue stratigraphique, du domaine temporel, par application du loi de Walther — au domaine fréquentiel. Cette opération sur les données échantillonnées se réalise en utilisant les méthodes classiques de l'analyse spectrale (quantitative time-series-analysis). L'objectif est de détecter les principales fréquences apparentes dans les échantillonnages, ie. les périodicités majeures exprimées par un proxie, puis de comparer ces dernières aux périodes orbitales connues. Si les proxies et les logs stratigraphiques sont bien choisis, au regard des critères explicités ci-avant, une bonne corrélation sera le signe d'un forçage astronomique du climat.

Pour effectuer les calculs nécessaires, on utilise différents algorithmes informatiques de la transformée de Fourier discrète, lesquels sont regroupés sous le vocable de « transformée de Fourier rapide » (parce que de complexité réduite nlogn). La transformée de Fourier discrète permet de transformer une fonction intégrable sur un domaine discret en une autre fonction, équivalente, qui donne le « spectre en fréquences » de la fonction initiale. Dans le cas de la cyclostratigraphie, cela revient à exprimer sous la forme de fréquences les cycles sédimentaires enregistrés dans une série, alors qu'ils sont initialement exprimés sous la forme d'un signal de valeurs discrètes (l'échantillonnage). La fréquence, qui est le nombre d'occurrences d'un phénomène donné par unité de temps et qui vaut l'inverse de la période, a ici une valeur implicitement spatiale, puisque les cycles représentent des durées de sédimentation qui sont rapportées à des épaisseurs dans les séries sédimentaires (application de la loi de Walther). De ce fait, on parlera de « puissance » (en mètres ou centimètres) des fréquences, qu'on représentera sur des périodogrammes.

Les calculs sont menés sur des séries finies de mesures dont il faut extraire les informations utiles. Cela signifie qu'il est nécessaire d'écarter de l'échantillonnage les éventuels signaux représentant un bruit, par exemple ceux liés à des autocycles du système sédimentaire. Ces deux contraintes, finitude de l'échantillonnage d'une part et bruit de l'échantillonnage d'autre part, imposent le recours à des fenêtres de pondération (window function) qui permettent de « faire parler » un échantillonnage. Par exemple, l'approche multitaper (MTM) fait appel à une séquence de plusieurs fenêtres bien choisies afin de réduire les effets de bruit. La transformée de Fourier ou une fonction assimilée est ensuite appliquée au produit du signal échantillonné par la fenêtre (en domaine temporel) pour récupérer un spectre (en domaine fréquentiel) mettant en avant les « bonnes » fréquences — « bonnes » dans le sens d'être « adaptées » à l'échelle de l'analyse temporelle effectuée, et non pas « inventées » pour récupérer des résultats satisfaisants !

La plupart des séries traitées ont des durées largement supérieures à celles des périodes orbitales recherchées. Pour travailler à haute résolution, il est nécessaire de subdiviser la série en plusieurs morceaux et d'appliquer les fenêtre et transformée à chacune des sous-séries. Une des fenêtres les plus courantes, la Blackman window, privilégie les données situées au centre de la portion de série traversée par la fenêtre. Ce type de biais est à prendre en compte. Dans le cas présent, pour éviter la distorsion des spectres, les sous-séries ou portions doivent se recouper.

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