Étienne-Gaspard Robert (né le 15 juin 1764 à Liège - mort le 2 juillet 1837 à Paris et enterré au cimetière du Père-Lachaise), abbé de son état, connu également sous le pseudonyme d'Étienne Robertson, est un personnage multiple, à la fois peintre, dessinateur, « physicien-aéronaute », mécanicien, opticien, « fantasmagorien » (ou « fantasmagore ») et mémorialiste. Ses activités scientifico-esthétiques sont significatives des croisements qui s’opèrent entre les arts et les sciences à la fin du XVIIIe siècle.
Le parcours de ce Belge qui fait carrière en France sous le Directoire et le Consulat se situe lui aussi à la croisée des arts : son goût pour la peinture et ses talents de dessinateur devaient au départ lui fournir un gagne-pain jugé facile, tandis qu’il nourrissait une passion dévorante pour la physique, l’optique, les machines volantes et les machines en général, et qu’il s’était lancé dans l’étude de ces disciplines sans penser en tirer profit. C’est le contraire qui se produit : la peinture et le dessin, qui le mettent quelque temps à l’abri de l’indigence à Paris, sont supplantés par les expériences fantasmagoriques, galvaniques et aérostatiques qui lui rapportent des revenus substantiels.
De la peinture et du dessin il conserve le sens de la mise en scène et de l’effet, qui l’aident à concevoir ses tableaux fantasmagoriques, appelés aussi « tableaux fantastiques», « tableaux magiques » ou encore « tableaux vivants ». Un peu comme pour Loutherbourg qui, lui, cependant, est un peintre réputé, en comparaison de Robertson, la dramatisation picturale trouve un nouveau champ d’application dans les expérimentations optiques. L’image projetée devient le fonds de commerce de Robertson et son cheval de bataille, puisqu’il lutte pour anéantir, en vain, la concurrence jugée déloyale qui s’approprie son savoir-faire dès 1799.
À Paris, Robertson présenta ses spectacles dans deux salles différentes : au premier trimestre de 1798, il s’installe au pavillon de l’Échiquier, puis à partir de 1799, au couvent des Capucines.
Robertson sait parfaitement s’adapter à son public. Il joue sur la crédulité des gens frappés par l’environnement visuel, sonore et olfactif dans lequel naît la fantasmagorie et sur les approximations dans la ressemblance entre les disparus et l’image qu’il en propose grâce à ses portraits-types peints sur verre. Dans l’émoi suscité par l’apparition, le public n’y voit que du feu.
Il sait aussi s’adapter aux circonstances politiques, avec sa série d’images de célébrités de la Révolution ; il sait flatter l’esprit républicain, tandis qu’il serait plutôt favorable à un monarchisme modéré. Plus jeune, il est le précepteur des enfants de madame Chevalier, qui réunit dans son salon des habitués de la Cour. En pleine Terreur, il se joint aux muscadins lors des réunions aristocratiques et des bals de l’hôtel Richelieu.
Désormais, il s’adresse à un public extrêmement large et doit se méfier des agents du pouvoir et de leurs représentants. D’ailleurs, il fait les frais d’une provocation qui l’oblige à renoncer pour un temps à ses fantasmagories à Paris. Le conventionnel François Martin Poultier d’Elmotte rapporte que lors de la séance à laquelle il assiste, « un chouan amnistié demande à Robertson s’il pouvait faire revenir Louis XVI », ce à quoi le fantasmagorien aurait répondu : « J’avais une recette pour cela, avant le 18 fructidor, je l’ai perdue depuis cette époque : il est probable que je ne la retrouverai jamais, et il sera désormais impossible de faire revenir les rois de France. » Des scellés sont apposés sur une partie de son matériel. Robertson se réfugie à Bordeaux.
Son retour à Paris lui réserve plusieurs surprises : l’un des frères Aubée, ses anciens assistants, a usurpé sa réputation et sa technique pour le bénéfice du propriétaire du Pavillon de l’Échiquier. Robertson s’installe dans une nouvelle salle, plus spacieuse, située dans l’ancien couvent des Capucines, près de la place Vendôme. L’endroit se prête aux apparitions fantasmagoriques : l’église renferme plusieurs tombeaux, reliques et cercueils abandonnés au hasard des transformations de l’édifice. La salle où Roberston emménage est décrite ainsi :
« Après plusieurs détours propres à changer l’impression que l’on conserve du bruit profane d’une grande cité, après avoir parcouru les cloîtres carrés de l’ancien couvent, décorés de peintures fantastiques, et traversé mon cabinet de physique, on arrivait devant une porte d’une forme antique, couvertes d’hiéroglyphes, et qui semblait annoncer l’entrée des mystères d’Isis. On se trouvait alors dans un lieu sombre, tendu de noir, faiblement éclairé par une lampe sépulcrale, et donc quelques images lugubres annonçaient seules la destination; un calme profond, un silence absolu, un isolement subit au sortir d’une rue bruyante, étaient comme les préludes d’un monde idéal. »
La salle de projection doit inspirer le recueillement et la terreur religieuse, Robertson ne se prive pas de le répéter dans ses Mémoires. À sa façon, il renoue avec la tradition de l’art divinatoire de l’Antiquité, l’ancêtre de la fantasmagorie selon les historiens chez qui il puise ses références. Il compte sur l’ambiance macabre des Capucines pour asseoir son prestige de fantasmagorien.