Robertson refusera de dévoiler la technique sous-jacente dans ses spectacles, moins pour mettre son art à l’abri des utilisations dangereuses en public que pour s’assurer le monopole de la projection des images.
Il prétend que si sa subsistance n’avait pas reposé sur « un secret aussi simple», il en aurait donné la formule à l’astronome Delalande et au physicien Charles qui ont essayé en vain de percer le mystère des fantasmagories. Il ne révèlera jamais ses trucs, sauf lors du procès intenté contre ses anciens assistants, et plus tard dans ses Mémoires.
Il pense se protéger en déposant un brevet en 1799, mais la fantasmagorie survit chez ses concurrents sous d’autres noms : « fantomagie », « expériences de physico-magico-philidorisme », « fantasmaparastasie » et, quelques années plus tard, « psychagogie». La divulgation du procédé du fantascope fait naître une multitude de vocations de fantasmagore. C’est ainsi que cesse le monopole de Robertson qui perd son procès et se voit dépossédé de son secret : « l’enfer n’eut plus de coulisse, en un mot, il n’y eut plus de chambre obscure».
Lui qui est pourtant un fervent admirateur des sciences nouvelles, qui partage l’esprit des Lumières et défend à chaque page de ses Mémoires l’idée que le savoir doit permettre de triompher de la superstition, lui qui déclare que les découvertes de la physique expérimentale doivent être expliquées comme des faits réels et non des prodiges de la sorcellerie, manifeste en dépit de tout cela une ambiguïté typique de son temps. Il prétend vouloir éclairer le public, mais commence par le plonger dans le noir et lui tenir un discours qui fait appel aux sentiments les plus archaïques. En guise de prévention contre les fausses croyances et les interprétations surnaturelles, il ouvre ses séances de fantasmagorie par des allocutions qui contribuent davantage à mystifier le spectateur qu’à lui faire comprendre la nature des phénomènes qu’il provoque :
« Les expériences qui vont se passer sous vos yeux doivent intéresser la philosophie; elle peut voir ici les égarements de l’esprit humain, et cette histoire vaut bien celle de la politique de quelques nations. Les deux grandes époques de l’homme sont son entrée à la vie et son départ. Tout ce qui lui arrive peut être considéré comme placé entre deux voiles noirs et impénétrables qui recouvrent ces deux époques, et que personne n’a encore soulevés. Des milliers de générations sont là debout devant ces voiles noirs, des torches à la main, et s’efforçant de deviner ce qui peut se trouver de l’autre côté […].Beaucoup d’imposteurs ont profité de cette curiosité générale pour étonner l’imagination attristée par l’incertitude de l’avenir. Mais le plus morne silence règne de l’autre côté de ce crêpe funéraire; et c’est pour suppléer à ce silence […] que les mages, les sibylles et les prêtres de Memphis emploient les prestiges d’un art inconnu, dont je vais tâcher de développer quelques moyens sous vos yeux. »
C’est donc, d’après lui, être philosophe que d’observer sur soi les dérèglements de l’imagination engendrés par une machine. Ce que Robertson, en fin de compte, demande au spectateur, c’est de se dédoubler en observateur raisonnable de ses réactions irrationnelles. La posture philosophique glisse vers l’abandon aux « prestiges d’un art inconnu », par le biais de l’allégorie de la fantasmagorie elle-même, qui montre la foule inquiète face à son destin, placée devant la toile, en attente d’une révélation divine. Le fantasmagore, qui se présente comme le contraire d’un imposteur, procède pourtant à un curieux mélange entre le discours des Lumières et les références occultes.
Ailleurs, il affirme à propos des faits prétendument surnaturels qu’on explique en les rendant visibles aux yeux de tous, « que s’ils confirment les spéculations de la science, et satisfont aux prévisions des hommes instruits, ils précèdent aussi chez le vulgaire les bienfaits de l’instruction, et y suppléent efficacement ». Et de donner l’exemple de ceux qui n’ont pas le temps ou la capacité de lire et à qui la fantasmagorie peut servir de « spectacle instructif », à l’inverse des pratiques de la Grèce antique et de l’Égypte ancienne qui entretenaient selon lui la mystification au moyen d’artifices grossiers et ne cherchaient à aucun moment à ouvrir les yeux des spectateurs. On peut toutefois se demander si lui-même cherchait à éclairer son public et si les avertissements préliminaires mettaient réellement les spectateurs en garde « contre l’impression morale des effets dont il les rendait témoins ».
Robertson anticipe sur les accusations de charlatanisme qui pèsent sur ses expériences en répétant que ses tableaux fantasmagoriques ne sont que la manifestation de réalités physiques explicables et reproductibles à volonté. Il s’efforce au début de ses Mémoires de démystifier ces phénomènes dits surnaturels en expliquant que les faux miracles chrétiens et les oracles antiques étaient souvent motivés par la cupidité du clergé et des puissants, désireux de prévenir les vindictes populaires, ou étaient dus plus simplement à la volonté d’assurer au lieu de dévotion une source de revenus si l’endroit en question ne possédait pas d’autres ressources économiques. De tels propos laissent songeur quand on sait que Robertson a bâti sa fortune sur les fantasmagories. Il se défend bien de manipuler son public en argumentant ainsi :
Cela n’est pas si sûr : les réactions individuelles s’enchaînant les unes aux autres, elles aboutissent à des réactions collectives qui sont loin de freiner la peur.
Robertson accuse « les Mesmer, les Cagliostro, les Lavater » d’avoir abusé leur public en ne procédant à leurs expériences que sur des personnes « dont ils avaient pénétré le caractère, et auxquelles ils avaient inspiré la plus aveugle confiance ». Malgré ses reproches et ses protestations d’innocence, il n’a pas agi différemment : lui aussi a profité de l’empire qu’il exerçait sur les personnes réclamant l’ombre de leurs proches disparus, comme cette veuve éplorée dont il dessine de mémoire le portrait du mari, qu’il a connu, « certain que l’imagination malade de la spectatrice ferait le reste».
L’allocution de clôture des séances de fantasmagorie devait frapper le dernier coup :
Et de faire surgir au milieu de la salle un squelette de jeune femme debout sur un piédestal, jouant le rôle de vanité ou de memento mori, rappelant aux humains l’issue fatale de l’existence(comme la Pythonisse d’Endor qui orne l’annonce des fantasmagories au couvent des Capucines). La panoplie d’images projetées sur écran de percale ou de fumée est constituée en grande partie de memento mori (crânes ailés, squelettes articulés, etc.).
Robertson présente dans ses Mémoires un « Petit répertoire fantasmagorique » qui dresse la liste des sujets traités. On trouve ainsi des personnages mythologiques (Méduse, Vénus, « les trois Grâces changées en squelettes », « Proserpine et Pluton sur leur trône », « Orphée reperdant Eurydice »), bibliques (David et Goliath, « l’ombre de Samuel apparaissant à Saül »), des images religieuses (« Apothéose d’Héloïse », « la nonne sanglante ») et des figures littéraires (« Pétrarque et Laure à la fontaine de Vaucluse »). Certains sujets sont fournis par un certain M. de Sallabéry, par exemple « La danse des Morts, d’après Holbein », qui est aussi la première image projetée par Huygens en 1659.