Auréolé des lauriers d’une laïcité scolaire républicaine, le personnage public s’est statufié. Il faut retrouver l'homme et dépasser son austérité glaciale et sa modération légendaire.
Élevé dans une famille aisée et catholique, le jeune homme représente la troisième génération d’une famille d’artisans du métier du feu enrichie après la Révolution.
Le jeune journaliste, polémiste et provocateur, a séduit les opposants au régime napoléonien par son sens de la dérision et de l’humour. Il faut surtout un grand courage physique ou une terrible insouciance bonhomme pour fronder un régime politique, d’essence dictatoriale, même sur la défensive après 1860. Et la facilité d’expression de Jules Ferry déconcerte même les anciens conservateurs royalistes. Ses idées politiques, modérées, sont celles d’un républicain de centre gauche.
Beaucoup moins modérée apparaît sa vie sentimentale. Elle est même franchement dissolue[réf. souhaitée], et inquiète ses admirateurs, parmi lesquels le vieux Thiers, qui entrevoit chez ce jeune journaliste, formé au droit, une grande carrière un peu à son image.
Les témoignages des populations rurales de la montagne vosgienne attestent les pratiques des familles aisées, parmi lesquelles les Ferry en leurs époques prospères. Un des leurs engrossant une jeune femme de condition modeste, elles achetaient un silence respectueux et garantissaient l’existence de la jeune fille-mère en lui offrant une ferme.
Une dame espagnole, très élégante, a notamment souvent accompagné le jeune homme politique[réf. souhaitée] . Jules Ferry apprécie les belles femmes méditerranéennes, et son voyage-ambassade en Grèce, imposé par Thiers, est un vrai moment de grâce et de volupté, pas seulement pour les paysages somptueux et les lieux antiques dont il garde un souvenir ébloui.
Il reste que ce dévoilement d’une part de sa vie privée, que d’aucuns peuvent juger cancanier, ne doit faire oublier sa capacité de travail et de négociation, finement observée par Thiers. Chargé de négocier la frontière sur la ligne de crête vosgienne, il est intransigeant sur les principes et ne lâche rien. C’est une expérience douloureuse car les négociateurs dissèquent son arrondissement natal et l’Alsace, où avait vécu une partie de sa famille, rejoint désormais le Reich allemand.
Ne revenons pas sur sa difficile mission de maire de Paris, face à une population qui a oublié ce qu’était un simple siège[réf. souhaitée] et ignore avec une naïveté qui transgresse toutes les couches sociales[réf. souhaitée] , tout d’une situation de guerre.
L’homme public, dénigré et humilié[réf. souhaitée] , en sort incontestablement aigri. L’élu victorieux du Thillot affiche un mépris violent face aux provinciaux siégeant au conseil général des Vosges. Plus tard, assagi après sa crise mystique et amoureuse de l’année 1875, il garde constamment à l’esprit la nécessité d’éduquer les classes laborieuses afin d’empêcher les révolutions fracassantes et fixer surtout les populations rurales à la glèbe, prenant autant modèle sur la précédente politique rurale de Napoléon III que sur les paysans pacifiques et croyants de sa montagne natale. L’homme politique craint les effets dévastateurs de l’exode rural.
À Paris, le responsable politique désormais assagi, plus sûr de sa froide détermination, sait modérer ses colères, impressionne par son écoute calme et s’impose petit à petit parmi les chefs républicains. Les débuts difficiles aux postes de responsabilités politiques et les blessures si vivement ressenties pendant les premiers pas ont laissé des traces indéniables dans les lois ferrystes, comme dans ses conceptions de politiques extérieures pragmatiques où il donne un grand crédit à l’avis des militaires, basés à La Réunion ou à Saigon. Il tente un rapprochement avec le grand artisan de la paix en Europe, Bismarck. Les contacts amorcés ne peuvent aboutir, les élites politiques françaises refusent de traiter avec l’Empire allemand. Il est probable que Jules Ferry admire la façon magistrale dont les Prussiens avaient réussi à sortir du joug autrichien, en premier lieu par l’ouverture, l’entreprise économique et le savoir technique et scientifique.
La contestation la plus violente que Jules Ferry dût subir, et l’historienne de la famille le rappelle dans un livre, provient des partisans du général Boulanger qui menacent le simple acquis démocratique et la paix chèrement acquise. Jules Ferry, alors au pouvoir, résiste à cette tempête. Se doute-il que la France connaîtra une montée d’un nationalisme parmi les plus virulents et les plus destructeurs d’Europe ? Cette double montée de la morgue nationaliste et du mépris xénophobe dénaturent sur le terrain l’application des lois scolaires. Plus tard, les discriminations, œuvres funestes de la colonisation en Algérie, présentées dans les rapports sénatoriaux, l’inquiétent. L’homme est resté un républicain libéral, modéré et conservant une gamme de pensées idéalistes, à l’aune des hommes politiques français.
Émile Erckmann, écrivain, le décrit au début de la décennie 1870 avec ces deux mots : « le petit gros ». Il souligne ainsi avec cette description physique banale l’aptitude de l’homme politique à passer des salons des Goguel, possesseurs du château de l’Ermitage, aux moindres petits estaminets pour les besoins de sa campagne à Saint-Dié. L’ensemble des républicains a une réputation de corruption qui n’est nullement infondée. Erckmann semble peu apprécier l’homme public, au style sec du début des années 1870. L’écrivain George Sand a également laissé un portrait au vitriol du politicien.
Cet homme qui a mené dans l’ensemble une vie privilégiée et parisienne sait être généreux, et le ministre parisien n’a jamais oublié ses modestes compatriotes de Saint-Dié. Il a ainsi donné un grand nombre d’ouvrages reliés à la Société philomatique vosgienne. Après sa mort, conformément à son testament, son corps a rejoint le cimetière de la Côte Calot.