Au début du XXIe siècle, c'est surtout Näf qui a souligné l'actualité et la force explosive de la pédagogie de Geheeb. La pensée de Geheeb a anticipé beaucoup d'aspects repris depuis par l'antipédagogie, le mouvement des droits de l'enfant, ou la partie profane et libérale des mouvements de l'éducation à la maison ou non-scolaire. Sa position selon laquelle « personne n'est cultivé, chacun doit se cultiver lui-même », correspond à la psychologie de l'apprentissage développée dans les années 1950 dans le cadre de la psychologie humaniste. De plus, elle a été confirmée depuis quelque temps par le pédiatre suisse Remo H. Largo (de) ou le neurologue Gerald Hüther (de). Sont également très actuels le scepticisme de Geheeb à l'égard de la « sagesse des adultes » en Occident, et l'évidence et l'obstination avec lesquelles nous nous accrochons à sa transmission.
Malgré leur force explosive et leur actualité, les propositions théoriques et les positions de Geheeb, selon Näf dans sa revue de la littérature secondaire appropriée, n'ont été que peu discutées en recherche pédagogique jusqu'à récemment. On s'est en général contenté de présenter Geheeb comme le directeur d'une école nouvelle renommée, et comme un défenseur majeur de la coéducation. C'est une vue réductrice et une inactivation de la pédagogie de Geheeb, qui ne lui rendent pas justice (, p. 48).
Le mouvement des internats allemands à la campagne, (New Schools ou Écoles nouvelles à la campagne, comme on nomme ces mouvements respectivement dans les espaces respectivement anglophone et francophone), formaient une partie des mouvements de protestation de critique culturelle et de réforme de vie auxquelles l'Europe et les États-Unis réagirent à la fin du XIXe siècle contre l'industrialisation et les mutations sociales qui l'accompagnaient. Le mouvement des internats à la campagne se proposait d'attaquer et de maîtriser la crise au moyen d'une éducation fondamentalement nouvelle. Dans ce sens, Geheeb écrivait en 1930 :
« Il faut éduquer la jeunesse en courageuses compagnies de combattants, qui ne s'adapteront pas lâchement à ce monde pourri à bien des points de vue, et qui auront appris à nager contre le courant, à résister souverainement à la mode et aux conventions dans les domaines extérieurs et spirituels, et à tout ce qu'il est toujours convenu d'appeler « moderne ». (...) Tout jeune, garçon ou fille, apprend à l'internat à la campagne, à vivre comme membre responsable d'une petite communauté, pour pouvoir plus tard comme citoyen se dévouer de toutes ses forces au bien de la nation. C'est ainsi que la nouvelle jeunesse pourra, bien au delà du cadre de leurs foyers, travailler à une réforme complète de la société humaine ! () »
Contrairement au cas des écoles de jour des villes, la jeunesse doit croître dans une communauté éducative transparente, reposant sur des relations de partenariat entre jeunes et vieux. Malgré ce point de départ commun, on ne peut pas parler au fond d'une pédagogie des internats à la campagne, ni d'une réforme unifiée de la pédagogie. Tandis que les performances physiques – longues randonnées à bicyclette, travaux des champs et de la forêt, engagement sportif au service de la société – jouaient un grand rôle chez Hermann Lietz (de) ou Kurt Hahn (de), Geheeb, plus sensible, comme Martin Luserke (de), Max Bondy (de) et bien d'autres fondateurs d'internats à la campagne, mettaient plus de poids par exemple sur les activités musicales et artisanales, et un comportement contemplatif à l'égard de la nature. Il y avait aussi des différences plus ou moins marquées dans le domaine de la cogestion par les élèves, l'organisation des enseignements, ou la question de la coéducation.
C'est dans ce domaine que Geheeb peut être considéré comme un pionnier, plus que dans tout autre domaine, car l'Odenwaldschule a été le premier internat coéducatif en Allemagne à mériter cette qualification. Geheeb, qui avait eu chez Johannes Trüper (de) l'expérience d'un internat mixte (de pédagogie thérapeutique), puis en 1899/1900 à Wyk auf Föhr encore des expériences de coéducation, ressentait la séparation des sexes – alors dominante dans les écoles publiques et libres – comme une réduction outrancière et anti-pédagogique du monde naturel. Tandis qu'il ne rencontrait chez Lietz aucune compréhension pour sa démarche, et que même à Wickersdorf, où la coéducation faisait partie à partir de 1906 du programme, mais à contre-cœur, la coéducation devint à partir de 1910 une marque de l'Odenwaldschule. Fritz Karsen écrit à propos de ses impressions sur l'Odenwaldschule après une courte visite en 1921 :
« L'environnement personnel et humain a la richesse la plus grande pensable. Tous les âges, depuis le bébé qui a encore besoin d'une puéricultrice, les enfants à l'âge du jeu (jardin d'enfants), les élèves plus âgés et les professeurs et maîtresses de tous âges vivent ensemble. Les deux sexes parmi les élèves et les enseignants, ont les mêmes droits et devoirs. Par là, on signifie que l'on essaye ici de briser la séparation complète entre sexes usuelle dans les écoles d'État, pour faire vivre aux enfants une vie communautaire naturelle. L'Odenwaldschule est sans doute la seule école en Allemagne où il existe une véritable coéducation. On pourrait penser aussi à Wickersdorf, mais en comparant les deux établissements, une différence saute aux yeux. (...) Aussi belle que soit la vie commune entre les sexes là-bas, on y maintient toujours une certaine séparation extérieure. Les jeunes filles ont leurs bâtiments propres, qu'on appelle « Herrenhaus » (Maison des messieurs), qui est fermée aux garçons à partir d'une certaine heure. Les plus fins connaisseurs de Wickersdorf affirment que malgré une égalité de droits entre garçons et filles, ils ne décident pas sur un pied d'égalité, que ce sont bien plus les garçons qui déterminent le ton et le style. À l'Odenwaldschule, il ne reste plus aucune sorte de différence extérieure. Les garçons et les filles habitent dans les maisons dans des chambres voisines, ils se rendent visite quand ils veulent sans la moindre surveillance. (...) Autant que j'ai pu l'observer dans cette courte période, le rapport entre sexes est simple et naturel comme dans une famille, et j'ai l'impression que c'est bien la coéducation qui forme le trait caractéristique de l'Odenwaldschule et de ses élèves. (, p. 457 sq.) »
Si l'éducation commune des garçons et des filles n'était plus aussi nouvelle et exotique après la première Guerre mondiale qu'en 1910, elle attendit les années 1960 dans l'espace germanophone pour devenir la norme, et l'Odenwaldschule resta pendant la république de Weimar l'école coéducationnelle par excellence.
Jusqu'à la prise de pouvoir des Nazis, Geheeb passa pour un des experts les plus pointus dans ce domaine. Il était convaincu que l'éducation commune entre garçons et filles ne pouvait qu'influencer favorablement leur développement personnel et leur comportement ultérieur à l'égard des autres. Il voyait dans la coéducation également un moyen important pour surmonter la culture masculine univoque, et au fond c'était pour lui la raison fondamentale de la coéducation dans ce domaine politico-culturel.
L'organisation du travail à l'Odenwaldschule, qui s'est développée pendant les trois premières années de son existence, a été un deuxième motif du grand intérêt que suscita le travail de Geheeb parmi les spécialistes nationaux et internationaux, peu après l'ouverture de l'école. Elle a été décrite pour la première fois publiquement en 1914 sous la direction éditoriale d'Otto Erdmann, un jeune collaborateur de l'école. Dans ce domaine-là aussi, on allait à l'Odenwaldschule plus loin que dans les écoles nouvelles de cette époque, même dans les internats de Lietz et de la troupe bariolée de ses successeurs. Après avoir d'abord expérimenté diverses formes d'organisation, on établit en janvier 1913 un système de parcours librement au choix, flexibles, par lesquels les classes annuelles furent remplacées. Conseillés par des adultes, les enfants (à part le groupe des élèves du primaire, toujours encadré comme tel), se choisissaient à chaque fois deux ou trois parcours, qu'ils suivaient chaque matin pendant un mois de parcours, ou période de parcours. À la fin de chaque mois de parcours, on faisait dans l'assemblée de fin de parcours un rapport sur le travail fait dans chacun des parcours. Et on votait alors s'il fallait reconduire un parcours sur deux mois ou plus. Les notations étaient remplacées par des rapports écrits sur les parcours, et par des discussions périodiques sur les performances individuelles, le climat dans le parcours, etc. L'après-midi – c'était là une composante intégrale de la nouvelle structure – était consacré aux activités artisanales et musicales, et aux projets individuels, afin de, comme Geheeb l'écrivait dans son premier prospectus sur l'école, « s'opposer aux maladies les plus graves de notre temps, l'intellectualisme unilatéral et la surestimation corrélative et sans éthique de la technique ... »() – Alors que l'Odenwaldschule est revenue à des structures habituelles après 1934, le travail scolaire se situera comme avant à l'École d'Humanité dans ce système de parcours.
L'Odenwaldschule se fit connaître finalement par le style de Geheeb dans ses rapports avec l'assemblée d'école. Il s'agissait d'une réunion de l'ensemble de l'école, toutes les deux ou trois semaines – ce qui représentait au début des années 1930 près de 200 enfants et adolescents, et environ 100 adultes. Pour Geheeb, cette assemblée représentait le véritable cœur de l'école. C'est là que les divers incidents, gros ou petits, étaient rapportés et discutés, c'est là que l'on retournait les questions importantes concernant l'école ou le monde extérieur, et que les décisions étaient prises ou refusées. Cette assemblée était au fond la seule structure dont Geheeb avait pourvu son école en 1910 comme moteur et moyen vivant d'avancer. Toutes les autres étaient secondaires et restaient en principe à sa disposition. « Deviens ce que tu es », cette maxime de Pindare était pour Geheeb « la plus haute maxime du développement humain » et « l'incarnation de la plus haute sagesse pédagogique ». Cette phrase formulait une exigence pour tout un chacun. Elle était valable également pour l'école prise dans son ensemble. C'est dans ce sens que Geheeb écrivit en 1924 : « Nous nous soumettons réellement aux diverses formes par lesquelles la communauté parvient à une expression et réalisation entières, toujours et encore à une révision du point de vue de cette maxime primordiale, si bien que les formes et les aménagements de la vie sociale de notre communauté se conçoivent comme un fleuve régulier. » Bien que () pointe certaines lacunes essentielles dans la conception théorique de l'assemblée d'école – p.ex. le manque d'un domaine de compétence clairement défini, ou le fait que le personnel de l'Odenwaldschule, c'est-à-dire les collaborateurs aux bureaux, aux cuisines, etc. n'aient jamais été comptés dans l'assemblée d'école (, p. 150 sq.) – elle a été jusqu'à présent jugée majoritairement de façon positive.
Certes Geheeb reconnaît la valeur de structures bonnes, c'est-à-dire humaines, mais au fond il en va pour lui plus profondément. Ce qu'il veut est le changement des rapports entre adultes et enfants. Au lieu de subordination, commandement et obéissance comme jusqu'alors, les rapports devraient reposer sur un respect mutuel et un dialogue. Tout essai d'éduquer les gens selon un plan défini est finalement pour Geheeb une entreprise illusoire, au cours de laquelle les gens se développent en « caricatures minables de ce qu'ils auraient dû devenir selon leur destin propre. () ».
Pour Geheeb, il est clair que l'on ne peut pas fabriquer et transmettre une véritable formation, mais qu'elle est et ne peut être que le résultat d'expériences vécues et d'engagements personnels. Il s'appuie volontiers à ce sujet sur les paroles prégnantes de Fichte, qui écrivait en 1793 :
« Personne n'est cultivé ; chacun a à se cultiver soi-même. Tout comportement purement passif est l'exact contraire de la culture ! Une formation s'acquiert par une activité personnelle, et vise à l'activité personnelle. »
Dans un exposé fait en Hollande, Geheeb compléta en 1936 :
« Je préfèrerais ne plus utiliser les mots « éducation » et « éduquer », et je préfèrerais parler de développement humain. (...) Ce que l'on peut retenir de raisonnable dans le processus d'éducation est le processus de développement dans lequel tout être humain se trouve de la naissance à la mort – et espérons-le, bien au-delà – le processus de confrontation continue, d'abord inconsciente, et devenant progressivement consciente, de l'individu avec son environnement, avec des gens et des choses, avec la nature et la culture, les impressions reçues, les unes assimilables pour construire sa propre individualité, les autres à rejeter. (...) La distinction entre maîtres et élèves appartient au musée pédagogique comme la verge, qui y a échoué depuis longtemps déjà. À la place, les adultes devraient se comporter comme une manière de vieux amis avec les enfants et les adolescents : « Il faut vraiment que nous vivions ensemble ; les adultes ne peuvent pas seulement jouer, travailler, se promener avec les enfants, et partager leurs petites et grandes joies et tristesses, mais il faut faire participer ces derniers selon leur maturité à nos propres expériences et actions, en sorte que naissent des relations personnelles plus ou moins intériorisées ». Et il ne faudrait jamais que les adultes apparaissent comme des législateurs ou des guides supérieurs. Les adolescents doivent « apprendre à marcher seuls », et l'adulte doit rester toujours conscient que son chemin ne pourra jamais être celui d'un autre, et que dans le meilleur des cas, il peut aider les jeunes gens à trouver leur propre chemin. C'est de ces considérations que ressort pour Geheeb l'exigence de transformer toutes les écoles en communautés de vie, dans lesquelles les gens des âges les plus divers (...) vivent ensemble naturellement et sans contrainte (, p. 6-7) »
Cette exigence correspond à ce que Hartmut von Hentig (de) et d'autres après lui ont décrit comme déscolarisation de l'école. Là compte le développement des intérêts personnels et la poursuite de buts et de projets propres plutôt que la transmission organisée centralement de matières décidées d'en-haut. Les enseignants deviennent des facilitateurs ou des accompagnants d'enseignement au sens de Carl Rogers ou de Paulo Freire.
La réforme de l'école fait pour Geheeb partie d'un très large changement social, qui lui apparaît toujours plus nécessaire au fil de sa vie. En 1936, il écrit : « Un désarmement puissant et ininterrompu doit se produire dans le camp des adultes, un désarmement de la supériorité géante sur les plans physique et intellectuel, économique et technique dont les adultes ont usé et mésusé sans vergogne à l'égard des enfants, les créatures les plus malléables et les plus susceptibles d'oppression sur cette terre divine défigurée. » (, p. 8)
Ce désarmement n'est pas pour Geheeb une fin en soi. Il forme plutôt une condition importante, sinon centrale, pour que l'humanité ne s'anéantisse pas des crises qu'elle a elle-même provoquées. Dans ce sens, Geheeb avertit en 1939 :
« « Le salut vient des enfants. » (...) Si l'humanité actuelle comprenait et savait appliquer cette sagesse immémoriale dans toute son étendue et toute sa profondeur, cela signifierait le salut pour les innombrables millions de personnes torturées sur toute la terre, et qui, aujourd'hui, plus ou moins consciemment, sont au bout de leur sagesse d'adultes. L'humanité est très malade. (...) Où allons-nous ? Il règne là-dessus une confusion désespérée. Partout des problèmes apparemment sans solution sur les plans politique, économique ou culturel ; de tous côtés menacent de nouvelles catastrophes ; dans la mesure où les chefs d'états, les politiciens, les économistes, voire les philosophes ont gardé leur honnêteté, ils avouent être au bout de leur sagesse. Pour Geheeb, il ne s'agit pas seulement de ce que « notre temps arrive finalement à donner à l'enfant ce qui est de l'enfant, » mais encore de ce « des fleuves de vie nouvelle découlent des enfants et de la jeunesse, pour nous sauver de la misère, nous les adultes qui nous tenons devant le chaos, désemparés et désespérés ». »