À Dijon, les étudiants commencent à bouger sous l’impulsion de l’UNEF-ID local. Immédiatement, la présidente d’AGE Sylvie Scherer demande à son syndicat d’étendre le mouvement. Mais la direction nationale préfère rester prudente. Le milieu ne lui semble pas prêt, pas encore prêt, pour une grève. Mais peu de temps plus tard, début novembre, l’université de Villetaneuse (Paris XIII) qui se met en grève, encore une fois sous l’impulsion de l’UNEF-ID. Rapidement, Isabelle Thomas, militante de cette AGE et membre du Bureau national du syndicat, se fait remarquer par la presse. Sa facilité de s’exprimer, son implication précoce dans le mouvement, vont faire d’elle l’une des icônes médiatiques de ce mouvement. Mais revenons début novembre. L’agitation gagne encore du terrain. L’université de Caen rejoint le mouvement. La direction de l’UNEF-ID estime alors qu’il faut tenter quelque chose.
Le 22 novembre 1986, des étudiants venus de toute la France, souvent liés à l’UNEF-ID mais, pas exclusivement, se retrouvent en Sorbonne. Philippe Darriulat le président de l’UNEF-ID transforme ce qui devait être les états généraux de l’UNEF-ID en états généraux du mouvement. Dans l’enthousiasme général, et sous les yeux d’une presse nombreuse, les étudiants réunis ce jour la à Paris proclament un mot d’ordre de grève générale. Le lendemain, à l’initiative de la FEN une manifestation est prévue « pour l’avenir de la jeunesse et contre la politique scolaire et universitaire du gouvernement ». C’est tout naturellement que les états généraux s’y joignent. La manifestation est un succès. Elle réunit au moins 200 000 personnes dont beaucoup d’étudiants. Elle marque le début du mouvement de 1986.
Après ce premier succès, les militants retournent dans leurs universités, inquiets, mais décidés à se mobiliser. Rapidement, le mouvement s’étend. Il faut dire que le travail de sensibilisation entamé depuis la rentrée par les syndicats étudiants et, la bonne couverture médiatique des événements du week-end du 22 et 23 novembre 1986, ont contribué à préparer le terrain. Dès lors, les manifestations à Paris et en province succèdent aux manifestations. La grève s’étend de proche en proche. D’abord issue de facultés sociologiquement plus promptes à se mobiliser, parce que à forte tradition syndicale ou parce que à forte représentation d’étudiants d’origines modestes donc, se sentant plus menacés par la mise en concurrence des universités et la sélection. Elle s’étend à d’autres facultés traditionnellement plus calmes, comme les UFR de Droit. Mais, fait marquant du mouvement, il quitte le cadre strictement universitaire pour s’étendre aux lycées.
Les lycéens sont en effet directement concernés, puisque la sélection doit commencer dès l’entrée à l’Université. En l’absence d’organisations propres suffisamment fortes, ce sont les syndicats ou les étudiants qui partent les sensibiliser. Une autre association joue un rôle important dans cette mobilisation : SOS Racisme. Loin de se limiter à l’anti-racisme, l’association dénonce toutes les discriminations. Pour elle, la loi Devaquet, va isoler un peu plus les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés, que ce soit en raison de leur pauvreté, de leur implantation dans une banlieue réputée difficile ou de leur origine étrangère, ou les trois en même temps ! SOS Racisme se lance donc dans la bataille et, à chaque cortège, les petites mains jaunes de l’association fleurissent. Et ce, notamment après la mort de Malik Oussekine. Les contacts pris à ce moment-là entre des lycéens et des étudiants présents à la fois à l’UNEF-ID et à SOS Racisme, vont permettre l’année suivante de créer un vrai syndicat lycéen : la Fédération indépendante et démocratique lycéenne autrement dit la FIDL.
Le jeudi 27 novembre est une nouvelle journée de mobilisation. C’est aussi l’occasion d’une nouvelle démonstration de force. Le pavé parisien est à nouveau battu par plus de 200 mille étudiants et lycéens. En province, on compte jusqu'à 400 000 manifestants (chiffres du Monde). Le gouvernement ne peut plus ignorer la réalité de la mobilisation. Le lendemain, Jacques Chirac décide de renvoyer le texte en cours de discussions à l’Assemblée nationale, et déjà voté par le Sénat devant la commission des affaires culturelles. Loin de calmer le mouvement, celui-ci se renforce. Le 4 décembre, ce sont 200 000 personnes selon la police, un million selon les organisateurs, qui manifestent à Paris. La manifestation, se passe dans le calme et la bonne humeur. Mais la elle dégénère après que les étudiants réunis sur l'esplanade des Invalides ont appris l'échec de la rencontre entre la coordination et les ministres. Des étudiants provocateurs s’en prennent aux forces de l’ordre qui réagissent immédiatement. Les CRS répliquent violemment par l’effusion de gaz lacrymogène et des tirs tendus. Le gros des manifestants se disperse, empêchant les prises de parole et les concerts prévus (Renaud, Bernard Lavilliers, etc.). Ceux qui ne partent pas, ou qui n’en n’ont pas le temps, font face à la police qui multiplie les charges. Bilan : plusieurs dizaines de blessés de part et d'autre, dont deux manifestants grièvement atteints. Le 5 décembre, ébranlé par la grande manifestation de la veille, le ministre de l'Éducation nationale René Monory, intervient à la télévision. Il annonce qu'il prend le dossier en main et déclare vouloir retirer plusieurs articles contestés.
Rapidement, le mouvement dépasse le strict cadre de l’UNEF-ID. D’autres syndicats et des étudiants non syndiqués viennent gonfler les rangs de protestataires. Il faut donc gérer les grèves, tant localement que nationalement. Localement, chaque assemblée générale, s’organise à sa manière. Nationalement, une coordination est mise en place. Elle regroupe des représentants des universités et lycées grévistes. Mais, elle est aussi le lieu où s’affrontent les différents courants du mouvement. Parmi ceux-ci, on retrouve l'UNEF-ID, mais en ordre dispersé, chaque tendance, la majorité et les différentes minorités, tentant d’influencer de débat avec l’appui d’alliés externe au syndicat étudiant. On retrouve aussi les autres syndicats impliqués : UNEF-SE, PSA mais aussi des organisations politiques de jeunesse telle que les JCR, LO et des associations comme SOS Racisme. La coordination parvient tout de même à s'organiser et se dote de structures visant à construire et faire connaître le mouvement. Parmi les responsables, un porte-parole, David Assouline, émerge. Il devient l’une des figures de ce mouvement, avec Isabelle Thomas qui a échoué à se faire élire porte-parole (elle appartient à une minorité de l'UNEF-ID, la Sensibilité Villetaneuse).
Rapidement, le gouvernement, ignorant l’importance de la mobilisation (ou faignant de la faire), dénonce un mouvement politique. Pour lui, la gauche battue aux législative, cherche à se revancher. Les organisations motrices de la grève et de son extension, sont vues à travers le prisme déformant de leur proximité avec certains partis politique. Alain Devaquet écris dans son livre « L’Amibe et l’étudiant », page 257, que les représentants étudiants qu’il a rencontrés étaient des « "adversaires politique irréductibles" ». Le rôle de la LCR est particulièrement mis en avant. Cela tient d’abord à la personnalité de David Assouline militant trotskiste mais, aussi au fait qu’à l’UNEF-ID de Dijon et de Caen, deux des universités initiatrices du mouvement, on trouve des cadres proche de la Ligue communiste révolutionnaire. Plus largement la droite s’en prend à l’UNEF-ID dans son ensemble, réputée proche du Parti socialiste. Mais aussi à SOS Racisme, association importante notamment chez les lycéens, et à l’UNEF-ID de Villetaneuse. Là encore, elle dénonce l’influence du Parti socialiste. Dans le « Figaro Magazine » Louis Pauwels, va jusqu'à écrire que les jeunes mobilisés et donc manipulés, souffrent de « "sida mental" ».
Face à ses accusations, les étudiants grévistes se proclament apolitiques. Ils mettent en avant la coordination, union trop large pour être accusé d’être sous influence et demandent aux syndicats de ne pas s’afficher de manière trop voyante. A l’UNEF-ID, le président Philippe Darriulat fait le dos rond. Il accepte de mettre le drapeau de son organisation de côté, tout en gardant sa liberté de parole, et celle de ses militants, dans les médias. Le syndicat se fait donc plus discret dans les manifestations mais continu son travail sur le terrain et dans la presse.
Dans la nuit du 5 au 6 décembre, une nouvelle manifestation tourne mal. Après la dispersion, les voltigeurs motocyclistes font des rondes pour rechercher des « casseurs ». Deux d’entre eux, tombent sur un étudiant de l'École supérieure des professions immobilières (ESPI), Malik Oussekine de passage dans le quartier et, semble-t-il, étranger au mouvement. Malgré tout, les policiers le prennent en chasse. Il est violemment passé à tabac dans un hall d’immeuble. Il est transporté inconscient à l’hôpital où il décède autant suite à ses blessures, qu’à cause d’une déficience rénale inconnue des médecins qui s’occupaient de lui. Le 6, Alain Devaquet, désavoué par son ministre de tutelle et choqué par la violence policière, démissionne. Le même jour, une manifestation silencieuse est organisée en mémoire de Malik Oussekine. Elle regroupe 400 000 personnes à Paris, un million dans toute la France. La force de cette mobilisation s’explique bien entendu par le choc créé par la mort d’un étudiant. Il exprime aussi un « ras le bol » d'une violence policière qui a caractérisé le mouvement : le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua et son secrétaire d’état Robert Pandraud ont en effet donné des consignes de fermeté aux forces de l’ordre. Les affrontements en marge des manifestations (notamment après la dispersion officielle), fait de délinquants, ne sont pas séparés par eux de la manifestation elle-même. Robert Pandraud déclare par ailleurs le lendemain de la mort de Malik Oussekine : « Si j'avais un fils sous dialyse, je l'empêcherais d'aller faire le con dans les manifestations ».
Une partie de la violence est aussi le fait de l’extrême droite. Le 26 novembre, le Groupe union défense (GUD) envoie des militants attaquer une assemblée générale de grévistes à Jussieu. La trentaine de militants d’extrême droite se retire rapidement, mais marque les esprits. Le 27, nouvelle attaque d'agitateurs nationalistes d'Assas, cette fois-ci lors du passage d’une manifestation. L’opération est plus sérieuse car les militants sont armés de barres de fer et protégés par des casques de moto. Après quelques affrontements en marge de la manifestation, la bagarre se déplace rue Barra. Elle oppose le GUD à plusieurs étudiants liés à l’ultra gauche et décidés à en découdre. On se charge à tour de rôle, on se lance des cocktails Molotov, on casse des voitures, bref une bagarre de rue d’une grande violence. La police, déjà prise à partie dans l'affaire précédente, tarde pour le coup à intervenir. Il faut plus d’une heure avant qu’elle ne se décide à séparer les adversaires. Ces affrontements marquent le paroxysme de la violence de ces deux mouvances extrêmes, violence qui décline rapidement par la suite.
Suite aux manifestations du début du mois de décembre, suite à la mort de Malik Oussekine, suite aussi aux tentatives d’unir le mouvement étudiant et lycéen au mouvement social (voir notamment du côté des cheminots), le Premier ministre, Jacques Chirac annonce le 8 décembre le retrait du projet de loi. Il fait savoir en outre, qu’il accepte la démission d’Alain Devaquet. De son côté, René Monory annonce l’abandon des réformes sur les lycées.