Les quinolones ciblent l'ADN gyrase et la topoisomérase II et IV, empêchant la réplication de l'ADN bactérien. Leur mode d'action comprend un effet oxydant sur les bactéries, mais leur effet principal est dû à la fixation de la molécule quinolone sur l'ADN lors de la phase de duplication de l'ADN au cours de la mitose. La topoisomérase II est la protéine qui permet à une bactérie ne mesurant que 2µm sur 1µm en moyenne de contenir un ADN long de 1700µm (effet de surenroulement de l'ADN sur lui-même). L'inhibition de la topoisomérase II induit des cassures dans l'ADN (effet clastogène). Les quinolones se fixent par ailleurs sur les extrémités des brins d'ADN qui ne peuvent plus se réassembler. Cette formation d'un complexe ADN-quinolones est irréversible. L'étape suivante est celle de la mort cellulaire programmée (apoptose). Il semble cependant que de nombreux cas, la bactérie ne meure pas immédiatement : encore présente dans l'organisme, elle ne peut plus se reproduire. Cela pourrait expliquer le remarquable effet post-antibiotique que l'on observe avec les fluoroquinolones, effet qu'aucune étude n'explique de manière satisfaisante à ce jour.
Les quinolones sont habituellement classées en première, seconde, troisième et quatrième génération. Les molécules de la seconde à la quatrième génération intègrent au moins un atome de fluor dans leur structure et prennent le nom de fluoroquinolones.
Les molécules de la seconde à la quatrième génération se distinguent de la première génération par une meilleure pénétration sérique et tissulaire. Leur spectre d’activité, initialement limité aux bactéries à Gram négatif aérobies, s’est étendu successivement aux bactéries à Gram positif et aux anaérobies. Cependant dans chaque génération de nombreuses molécules ont été retirées du marché ou ont vu leur usage restreint à cause de leurs effets indésirables graves. La signalétique suivante identifie le statut de chaque molécule :
Seules la ciprofloxacine et la lévofloxacine sont autorisées sans restriction d’usage à la fois en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Aux Etats-Unis elles restent toutefois soumises aux « avertissements encadrés de noir » mentionnés plus loin dans cet article. Malgré ses effets indésirables et compte tenu des services rendus, la ciprofloxacine figure dans la liste des « médicaments essentiels » dressée par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). L’ofloxacine et la lévofloxacine sont également citées dans cette liste mais uniquement comme médicaments seconde ligne pour le traitement des tuberculoses multirésistantes.
Les quinolones de la première génération incluent l’acide nalidixique et d’autres molécules apparentées. Elles sont actives contre les bactéries à Gram négatif (mais pas le genre Pseudomonas). Leur taux sérique et leur diffusion tissulaire sont faibles, ce qui limite leur usage aux infections urinaires non compliquées.
La norfloxacine est la première molécule de la seconde génération. Elle est dérivée de l’acide nalidixique par l’introduction d’un atome de fluor en position C6 et d’un groupe pipérazine en position C7. Le fluor est caractéristique des fluoroquinolones, la pipérazine augmente l’activité antibactérienne de la molécule. La ciprofloxacine est dérivée à son tour de la norfloxacine par l’introduction d’un groupe cyclopropyl en position N1 qui améliore sa biodisponibilité.
Le spectre Gram négatif est élargi par rapport à la première génération, il couvre désormais le genre Pseudomonas (en particulier Pseudomonas aeruginosa). Sont également couverts certains germes à Gram positif dont Staphylococcus aureus (mais pas Streptococcus pneumoniae) et certains pathogènes responsables de pneumonies atypiques tels que Chlamydia pneumoniae, Legionella pneumophila et Mycoplasma pneumoniae.
La norfloxacine, la loméfloxacine et l’énoxacine, faute d’une biodisponibilité suffisante, restent cantonnées aux infections des voies urinaires. Au contraire, la ciprofloxacine et l’ofloxacine, qui bénéficient d’un taux sérique plus élevé et d’une meilleure diffusion dans les tissus, sont capables de traiter de nombreux sites d’infection.
L’ofloxacine n’est plus commercialisée sur le marché américain pour cause de concurrence avec la lévofloxacine.
La troisième génération n’est pas homogène. La lévofloxacine est simplement l’énantiomère lévrogyre de l’ofloxacine. La grépafloxacine, la sparfloxacine et la témafloxacine ont en commun l’ajout sur le groupe pipérazine positionné en C7 d’un groupe méthyle stériquement volumineux qui a pour effet de renforcer l’activité anti-streptocoque.
Les agents de la troisième génération ont une activité accrue contre les bactéries Gram positives incluant Streptococcus pneumoniae et Streptococcus pyogenes. Elles sont également actives contre les pathogènes responsables de pneumonies atypiques. Elles conservent une large couverture Gram-négative mais sont moins actives que la ciprofloxacine contre le genre Pseudomonas. Elles sont parfois dites « quinolones respiratoires » par opposition avec les « quinolones urinaires » des générations précédentes.
La grépafloxacine a été retirée du marché à cause de sa cardiotoxicité. La sparfloxacine a été retirée pour cause de cardiotoxicité et de phototoxicité sévère. La témafloxacine a été retirée parce qu’elle provoquait des anémies hémolytiques et des hypoglycémies graves. La tosufloxacine reste commercialisée au Japon malgré un profil toxique controversé incluant nephrotoxicité, hépatotoxicité et risque de thrombocytopénie.
La quatrième génération conserve l’activité Gram-négative et Gram-positive de la troisième génération tout en couvrant largement les anaérobies, en particulier Bacteroides fragilis. Pour obtenir ce résultat la gatifloxacine et la moxifloxacine substituent un groupe méthoxyle en C8, la clinafloxacine opère une substitution halogène au même endroit, tandis que la trovafloxacine opte pour une substitution en N8. La gatifloxacine et la moxifloxacine sont classées en troisième ou en quatrième génération selon les sources.
La gatifloxacine a été retirée du marché pour cause de diabètes sévères, de cardiotoxicité et d’hépatotoxicité. La trovafloxacine a été retirée pour cause d’hépatotoxicité (l’affaire nigériane décrite plus loin a surgi postérieurement à ce retrait). La clinafloxacine malgré une efficacité prometteuse a été stoppée en phase III pour cause de phototoxicité majeure et parce qu’elle provoquait des hypoglycémies sévères. L’usage de la moxifloxacine a été restreint en France et aux Etats-Unis pour cause de cardiotoxicité et d’hépatotoxicité.
Les fluoroquinolones sont des antibiotiques à large spectre. Cependant chacune d’entre elles possède un spectre d’activité particulier. Les spectres de la ciprofloxacine et de la lévofloxacine figurent à titre d’exemples dans les deux tableaux fournis ci-après. Les notations S, SD et R indiquent les germes sensibles, à sensibilité diminuée et résistants vis-à-vis de chacune des molécules. Les abréviations « méti-S » et « méti-R » désignent respectivement les staphylocoques sensibles et résistants à la méticilline.
Gram négatif aérobies | S | Acinetobacter baumannii, Bordetella pertussis, Brucella, Campylobacter, Citrobacter freundii, Enterobacteriaceae, Enterobacter cloacae, Escherichia coli, Haemophilus ducreyi, Haemophilus influenzae, Klebsiella oxytoca, Klebsiella pneumoniae, Legionella, Moraxella catarrhalis, Morganella morganii, Neisseria, Neisseria gonorrhoeae, Neisseria meningitidis, Pasteurella, Proteus mirabilis, Proteus vulgaris, Providencia, Pseudomonas aeruginosa, Salmonella, Salmonella typhi, Serratia, Serratia marcescens, Shigella, Shigella dysenteriae, Vibrio, Vibrio cholerae, Yersinia, Yersinia enterocolitica. |
Gram positif aérobies | S | Bacillus anthracis, Mycobacterium intracellulare, Staphylococcus méti-S. |
Anaérobies | S | Mobiluncus, Peptostreptococcus, Propionibacterium acnes. |
Autres micro-organismes | S | Mycoplasma hominis. |
Gram positif aérobies | SD | Corynebacteria, Streptococcus, Streptococcus pneumoniae. |
Autres micro-organismes | SD | Chlamydia pneumoniae, Chlamydia trachomatis, Mycoplasma pneumoniae.. |
Gram négatif aérobies | R | Burkholderia cepacia. |
Gram positif aérobies | R | Enterococci, Enterococcus faecium, Listeria monocytogenes, Nocardia asteroides, Staphylococcus méti-R, Streptococcus pyogenes. |
Anaérobies | R | Bacteroides, Clostridium difficile. |
Autres micro-organismes | R | Ureaplasma urealyticum. |
Gram négatif aérobies | S | Acinetobacter baumannii, Citrobacter freundii, Enterobacter cloacae, Escherichia coli, Haemophilus influenzae, Haemophilus para-influenzae, Klebsiella oxytoca, Klebsiella pneumoniae, Moraxella catarrhalis, Morganella morganii, Proteus mirabilis, Proteus vulgaris, Pseudomonas aeruginosa, Salmonella, Serratia marcescens, Shigella. |
Gram positif aérobies | S | Bacillus anthracis, Mycobacterium tuberculosis, Staphylococcus aureus méti-S, Staphylococcus epidermidis méti-S, Staphylococcus saprophyticus, Streptococcus, Streptococcus pneumoniae (même de sensibilité diminuée à la pénicilline), Staphylococcus pyogenes. |
Anaérobies | S | Fusobacterium, Peptostreptococcus, Propionibacterium. |
Autres micro-organismes | S | Chlamydia pneumoniae, Chlamydia psittaci, Chlamydia trachomatis, Legionella pneumophila, Mycoplasma hominis, Mycoplasma pneumoniae, Ureaplasma urealyticum. |
Gram positif aérobies | SD | Enterococcus faecalis. |
Anaérobles | SD | Bacteroides fragilis, Prevotella. |
Gram positif | R | Enterococcus faecium, Staphylococcus aureus méti-R, Staphylococcus epidermidis méti-R. |
Anaérobies | R | Clostridium difficile. |
Les tableaux montrent que la lévofloxacine possède un spectre élargi en gram positif et en anaérobies, tandis que la ciprofloxacine est bien établie en gram négatif. Certaines résistances bactériennes sont plus marquées avec la ciprofloxacine parce que sa diffusion est plus ancienne.
On observe une augmentation de la résistance à certaines fluoroquinolones largement distribuées comme la ciprofloxacine. Plusieurs hypothèses sont avancées :
L'efficacité des antibiotiques de seconde génération dans les infections serait de 60 à 95%, l'écart venant du type de germe concerné.
Parmi les bactéries résistantes, on peut citer les aérobies à Gram positif : Enterococci, Listeria monocytogenes, Nocardia asteroides, Staphylococcus méti-R.
Les indications des fluoroquinolones diffèrent selon la molécule et également selon le pays. Elles sont établies à partir des germes sensibles, des études cliniques et des autres produits antibactériens disponibles. Sont résumées ici, à titre d’exemple, les indications françaises de la ciprofloxacine et de la lévofloxacine pour les patients adultes ne souffrant pas d’autre pathologie que l’infection pour laquelle ils sont traités.
Ciprofloxacine
Lévofloxacine
Les prescripteurs déterminent leurs choix thérapeutiques en fonction des indications des médicaments et également de leur rapport bénéfice risque.. L’efficacité reconnue des fluoroquinolones représente un bénéfice certain, cependant leur profil toxique limite leur usage aux infections sévères ou au cas de souches bactériennes multirésistantes.
En 2007 l’INAMI, organisme en charge de l’assurance maladie belge, a étudié l’adéquation entre les prescriptions de fluoroquinolones par les médecins généralistes et les « règles de bonne pratique médicale » en vigueur dans le pays. Le rapport d’étude montre que 90% des prescriptions sont inadéquates, principalement parce que les prescripteurs ont abusé des fluoroquinolones en première intention.
Le même rapport met en perspective les consommations de fluoroquinolones dans différents pays européens. La consommation belge est 10 fois celle du Danemark, ce qui recoupe l’ordre de grandeur des prescriptions inadéquates.. La consommation française quant à elle est 9 fois celle du Danemark. Suite à la publication de l’étude, les autorités belges ont pris des mesures correctives et les prescriptions de fluoroquinolones ont nettement diminué durant l’année 2008.