Une séquestration naturelle du carbone organique du pergélisol

Publié par Adrien le 10/09/2015 à 00:00
Source: CNRS-INSU
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Du fait du réchauffement climatique aux hautes latitudes, la décomposition de la matière organique enfouie dans le pergélisol après la dernière période glaciaire (il y 8 000 ans environ) est susceptible de devenir une source additionnelle majeure de gaz carbonique (CO2) à l'atmosphère. Toutefois, en fondant sous l'effet de ce réchauffement, le pergélisol devient aussi plus instable et donc davantage susceptible d'être érodé par les eaux de ruissellement. Une équipe internationale de géochimistes vient de montrer que le fleuve Mackenzie, au nord du Canada, exporte des quantités importantes de carbone organique du pergélisol vers l'océan Arctique où il reste piégé durablement, ce qui a pour effet bénéfique de le soustraire à la décomposition.

Les rivières exportent des produits solides provenant des sols en pente de leur bassin versant. Le fleuve Mackenzie, l'un des principaux fleuves de la planète, dont le bassin versant a une superficie de 1 787 000 km2, apporte ainsi chaque année à l'océan Arctique 100 millions de tonnes de sédiments qui se déposent sur les marges de la mer de Beaufort. Ces sédiments sont particulièrement riches en matière organique dont la nature et l'origine étaient jusqu'à présent assez mal connues.


À son embouchure, le fleuve Mackenzie transporte 2,2 millions de tonnes de carbone organique moderne à l'océan Arctique. © Robert Hilton, Durham University
Depuis plusieurs années, ce fleuve fait l'objet d'études approfondies. Un consortium international a ainsi échantillonné à plusieurs reprises des sédiments transportés par le fleuve à différentes profondeurs dans le chenal et mesuré l'abondance en carbone 14 de ces échantillons. Les chercheurs ont alors pu constater que la matière organique transportée par le fleuve Mackenzie jusqu'à l'océan était pauvre en carbone 14, c'est-à-dire relativement ancienne.

En complétant leurs analyses à l'aide d'autres traceurs (isotopes 12 et 13 du carbone et rapport azote/carbone), les chercheurs ont montré qu'environ 10 à 30 % du carbone transporté par le fleuve était suffisamment ancien pour ne plus contenir de carbone 14 et que ce carbone "ancien" provenait de l'érosion de roches sédimentaires riches en matière organique et âgées de plusieurs centaines de millions d'années, dont la présence est bien documentée dans le bassin du Mackenzie. Ils ont également montré que les 70 à 90% de carbone organique restant (carbone "moderne" contenant du C14) provenaient d'un mélange de matière organique récemment fabriquée par les végétaux et de matière organique plus ancienne datant de - 8 000 à - 9 000 ans, une époque correspondant au maximum d'extension des marécages, tourbières et sols, riches en matière organique, formés après le retrait de la calotte glaciaire qui recouvrait le Canada lors du dernier âge glaciaire et aujourd'hui gelés.

Une des menaces du changement climatique est la fonte du pergélisol (sols gelés en permanence des zones subarctiques et arctiques) avec pour conséquence la décomposition en gaz carbonique (CO2) des énormes quantités de matière organique qui y sont piégées. Les sols gelés de la planète contiennent en effet deux fois plus de CO2 que n'en contenait l'atmosphère de l'époque pré-industrielle. Or, cette étude montre qu'en fait une partie de la matière organique du pergélisol est emportée jusque dans les sédiments marins, en raison d'une érosion accrue des sols devenus plus instables, et que ce faisant elle échappe à cette décomposition.

Afin d'étudier le devenir à long terme de la matière organique fluviale ayant atteint l'océan, les chercheurs ont conduit les mêmes analyses que précédemment dans une carotte sédimentaire prélevée dans le delta du fleuve. Ils ont ainsi pu montrer qu'en mer, 65 à100 % de la matière organique fluviale était préservée de la décomposition, un taux important permis par la combinaison de deux facteurs: des températures faibles et un taux de sédimentation élevé au débouché du fleuve.

L'érosion des sols gelés des hautes latitudes, accentuée par leur fonte, et le transport vers l'océan de la matière organique qu'ils renferment sont donc des moyens efficaces pour la planète, non seulement de diminuer le taux de décomposition en CO2 de la matière organique du pergélisol, mais aussi d'enfouir dans l'océan, pendant plusieurs centaines de milliers d'années, le carbone qui avait été piégé dans le pergélisol après la dernière période glaciaire (il y 8 000 ans environ).

Grâce à des estimations récentes des flux de sédiment transportés par le fleuve Mackenzie, les chercheurs ont calculé que 2,2 millions de tonnes de carbone organique moderne (2,2 TgC/an) étaient transportées chaque année à l'océan Arctique. Ce flux est supérieur aux apports cumulés des autres grands fleuves arctiques (Ob, Yenisei, Lena, Indigirka et Kolyma). Il n'est évidemment pas suffisant pour contrebalancer les émissions anthropiques de CO2 mais il est suffisamment important pour avoir joué et jouer encore un rôle dans le couplage entre climat et cycle du carbone aux hautes latitudes.
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