Par un étrange retour des choses, ceux-là même qui, au sein de l'Église, avaient fait profession de pauvreté furent les victimes ou les bénéficiaires, selon le point de vue de ce que Georges Duby a appelé « les paradoxes de l'économie monastique ». Devenus de grands producteurs de laine et de viande, les moines blancs ne vont pas hésiter à échanger leur surplus de production domaniale contre des deniers et avancer ainsi très rapidement sur la voie de la richesse. Il en découlera la condamnation du monachisme et l'apparition des ordres mendiants au XIIIe siècle.
A La Crête, l'histoire mouvementée de la région va progressivement l'amener à sa destruction. L'abbaye est dans la tourmente à partir du XVIe siècle, avec la peste noire venue d'Asie en 1348, 1499 et 1509, et les bandes de mercenaires qui sèment la terreur. Au XVIIe siècle, ce sont les guerres de religion , dont le massacre de Wassy en 1562 donne le signal. Les protestants mettent à sac tout le nord du département, jusque dans le Val de rognon où Doulaincourt est incendié. En 1568, est rançonnée l'abbaye de La Crête, et les villages de Hortes, Marcilly, Andilly et Plesnoy sont incendiés. Les protestants après avoir brûlé Andelot, se réfugient dans le château de Choiseul qu'ils ont conquis. Aucun document ne fait mention de telles exactions. Il semblerait donc que La Crête ait été épargnée. L'abbaye résiste à l'usure du temps et le roi l'érige en abbaye royale en 1567, en nommant le premier abbé commendataire, Philippe de Choiseul.
Les choses vont sérieusement se gâter pour l'abbaye au XVIIe siècle lorsque la France déclare la guerre à l'Espagne et à l'Autriche en 1635 (guerre de Trente Ans). En 1631, Richelieu fait alliance avec la Suède dont l'armée va participer à plusieurs campagnes contre l'Espagne. Pendant l'hiver 1636-1637, les troupes suédoises sont cantonnées à Andelot et dans beaucoup de villages des environs. Ils s'y comportent comme en pays ennemi, se livrent au pillage et au saccage, incendient villages et fermes, massacrent les habitants déjà forts éprouvés par la peste qui sévit à nouveau dans la région. Les fermiers et les villageois se réfugient les uns à l'abbaye de La Crête, les autres à Chaumont. D'après la plainte de l'abbé commendataire, Nicolas de Laferté, en 1637, aucun bâtiment de l'abbaye, à l'exception de celui de l'entrée, n'a été détruit car l'abbé a négocié avec les Suédois. Le préjudice se situe ailleurs : fermes, granges et villages pillés et incendiés ( La Vieille Crête, Morlaix, Dardu, Pincourt, Fragneix, Bourdons, Forcey, Chantraines), viols et tueries (plus de 50 villageois assassinés à Bourdons et femmes violées ; 9 survivants seulement à Chantraines).
Après le passage des Suédois, la tâche de l'abbé commendataire Nicolas de Laferté sera de relever de leurs ruines toutes les dépendances de l'abbaye mais la situation va se dégrader avec ses successeurs : Charles de Boulemont et François de Bourlemont qui vont refuser d'assurer l'entretien et les réparations nécessaires. Les moines vont en arriver en 1704 à se pourvoir en justice contre ce dernier. Le conseil du roi reconnaîtra la responsabilité de l'abbé et donnera aux religieux les moyens de restaurer les lieux : la constitution d'un quart de réserve des forêts pour les réparations suite aux incendies, faits de guerre, ruines, démolition et reconstruction des bâtiments. De 1715 à 1750, l'abbaye de La Crête en sera pas restaurée mais reconstruite : le logis abbatial avec au-dessus de la porte d'entrée un médaillon portant la date de 1722, les ailes ouest et sud du cloître ainsi que la porterie actuelle. Après 1750, les moines construisent le bâtiment appelé, en 1800, la grande écurie, le moulin, le bief et le bâtiment appelé la blancherie. En 1788, ils font réparer le clocher de l'église, mais en 1789, la nationalisation des biens du clergé, décidée par le gouvernement révolutionnaire touche de plein fouet l'abbaye. En 1794, La Crête est mise en vente et achetée par Claude Routier d'Andelot qui la fait démolir.
Les restes sont aujourd'hui modestes mais donnent la mesure de l'ambitieuse reconstruction du XVIIIe siècle. Il ne reste plus de bâtiment d'origine médiévale, mais la porterie (classée Monument Historique) est remarquable par son corps central incurvé. Subsistent également le palais abbatial, le pigeonnier, une partie du mur d’enceinte et l'écurie, au rez-de-cour voûté en arêtes sur des piliers arborescents.
Aujourd'hui, l'abbaye de La Crête sort de l'oubli. La propriétaire de la porterie de l'abbaye effectue d'importants travaux de confortation en vue d'une restauration future et l'association « Renaissance de La Crête » s'efforce de son côté de faire parler de La Crête en sensibilisant le public : spectacle audiovisuel autour de la maquette d'une abbaye cistercienne idéale à partir du plan de La Crête, conférences, édition de livres, etc.