Mais A. B. Vingtrinier va plus loin encore et réclame, en 1836, dans une note sur la société de patronage rouennaise, la séparation des jeunes détenus et des aliénés.
Au silence rédempteur de la Petite Roquette va se substituer bientôt la « nature rédemptrice », avec la création des colonies agricoles qui inaugurent un espace hors de la prison pour les mineurs de justice. Ce concept est inspiré des propositions de Charles Lucas, inspecteur général des prisons, et illustré par la célèbre maison de rééducation de Mettray, près de Tours.
En 1839, correspondant à un durcissement du régime policier (on avait voulu tuer le Roi en 1835 !) un coup de barre répressif est donné et va entraîner de graves mutineries dans les établissements. On ne croit plus guère à l’efficacité de la prison qui amende, mais à celle qui sanctionne. À la pitié succède progressivement, en raison de la prolétarisation des villes, la peur sociale. On a transformé l’innocent coupable en criminel né.
Les colonies pénitentiaires, avec instruction élémentaire et travaux agricoles, ou même les colonies correctionnelles pour les plus indisciplinés vont s’imposer, et être réglementées sous le Second Empire.
A.B. Vingtrinier n’approuve pas ces colonies pénitentiaires, il donne plutôt sa préférence à la société de patronage qui vient d’être créée à Rouen en 1835.
Durant les années 1840 à 1842, A.B. Vingtrinier va exprimer avec force ses convictions. On va les lire dans son œuvre majeure Des prisons et des prisonniers, pour laquelle il reçoit la médaille d’or de la société de la morale chrétienne, association philanthropique créée par les descendants de la Rochefoucauld-Liancourt. Le leitmotiv qui y est développé est « préserver les enfants dans la prison et de la prison, préserver les enfants dans les colonies et des colonies ».
Ses convictions vont être relayées à la chambre des députés à l’occasion d’un grand débat national et au plan local ; il va s’opposer publiquement à Guillaume Lecointe, promoteur de la colonie horticole du Petit-Quevilly (76).
La prison de Rouen et la colonie horticole du Petit-Quevilly vont faire la une de l’actualité nationale.
Grâce aux améliorations apportées, A. B. Vingtrinier peut dire que la prison de Rouen est saine, mais il continue de dénoncer les graves carences qui persistent. Face aux refus de l’administration pénitentiaire, il va se trouver contraint de révéler, comme le fera plus tard Nadine Vasseur, l’horreur pénitentiaire : des enfants meurent de maladie, de froid, de sous-alimentation, de mauvais traitements; les punitions sont sévères : les enfants sont enfermés sans lit et sans couverture par des températures inférieures à zéro, au pain sec et à l’eau !
Trois médecins rouennais, les docteurs Blanche, Aavenel et Vingtrinier dénoncent ces scandales et alertent d’abord le préfet de Seine-Inférieure et le maire de Rouen Henry Barbet : une visite a lieu le 21 février 1841, sans qu’aucun changement du régime n’intervienne dans les suites. Il faut dire qu’ils venaient d’être félicités par l’inspecteur général des prisons Charles Lucas pour une initiative « qui honore le département » : la création au sein de la prison de l’école mutuelle. Ils alertent alors le marquis Gaëtan de la Rochefoucauld-Liancourt. Celui-ci va intervenir à la Chambre lors de la séance du 11 mai 1841, à un moment où le débat fait rage entre répression et éducation, et va dénoncer les abus du système pénitentiaire.
Le député révèle notamment le scandale de la boîte à horloge: il s’agit du traitement infligé aux enfants détenus à la prison de Bicêtre : des enfants de 8/9 ans sont maintenus pendant plusieurs jours voire, pour des enfants de 12 ans, pendant plusieurs semaines dans une boîte à horloge où ils ne peuvent que se tenir debout. Un enfant de 12 ans, le jeune Monnier, meurt après 15 jours de ce traitement. Gustave Flaubert en 1842, dans sa correspondance écrit « deux jeunes garçons sont morts à Rouen, dans la maison pénitentiaire, par suite d’une punition assez gaillarde qui consistait à les faire tenir debout plusieurs jours de suite dans une boite à horloge (peut-être pour leur apprendre combien le temps était précieux) ; leur faute était d’avoir ri pendant la leçon, leur faute d’avoir ri ! De plus, ils sont confiés à des gredins qui les enculent ». C’est crûment dit, mais malheureusement conforme à la réalité !
Aidé par les révélations de A.B.Vingtrinier, le marquis va se battre sans relâche pour obtenir une reforme des prisons qui sera admise en 1844 lors d’un grand débat à la chambre. Le marquis réussit à convaincre le ministre de l’intérieur de l’époque, Monsieur Duchatel, qui ne peut nier les abus du système.
À la suite de cette chaude période, A. B. Vingtrinier va continuer, jusqu’à sa mort, de militer en faveur des mineurs de justice :