Puisque la question de
ne pose pas de problème pour le développement formel des mathématiques, on peut en reculer le traitement jusqu'à avoir une démonstration solide de l'analyse réelle. Un des préalables est de caractériser les nombres réels qui peuvent être écrits en notation décimale, par un signe optionnel, une suite finie de chiffres formant en général la partie entière, un séparateur décimal et une suite de chiffres formant en général une partie fractionnaire. Si l'on veut discuter de
, on va se borner à des positifs, pour lesquels il n'est pas besoin d'écrire un signe, et une représentation quelconque a la forme :
Il est essentiel que la « partie entière »
ait un nombre fini de chiffres, et par contre que la « partie fractionnaire » ne soit en rien limitée à un nombre fini, même grand, de chiffres. Ceci est entendu en notation positionnelle, au sens où le 5 de 500 vaut dix fois le 5 de 50, et le 5 de 0,05 vaut un dixième de celui de 0,5.
Séries et suites infinies
L'extension peut-être la plus courante des développements décimaux est de les définir comme des séries infinies. En général :
Pour
on peut appliquer le théorème de convergence des séries géométriques :
Si
, alors
Comme
est une somme de ce genre, avec
, le théorème liquide la question :
Cette démonstration (en fait celle que
) apparaît dès 1770 dans les « Éléments d'algèbre » de Leonhard Euler.
Limites : l'intervalle unité, avec la suite des fractions (en base 4) :
convergeant vers 1.
En fait la sommation de la série géométrique en soi est un résultat plus ancien qu'Euler. Une démonstration typique du XVIIIe siècle utilisait une une manipulation terme à terme analogue à la donnée plus haut, et le manuel de Bonnycastle « Introduction à l'algèbre », encore en 1811, utilise ce genre d'argument pour justifier
. Une réaction du XIXe siècle contre ce genre de méthodes de sommation cavalières a résulté dans la définition encore dominante aujourd'hui : la somme d'une série est « définie » comme la limite de la suite de ses sommes partielles. Une démonstration dans ce cadre calcule explicitement la suite des sommes partielles ; on peut la trouver dans toute introduction aux fonctions ou à l'analyse, basée sur la démonstration.
Une suite
admet une limite
si la distance
devient arbitrairement petite quand
s'accroît. L'affirmation que
peut être interprétée et démontrée comme une limite :
La dernière étape – le fait que
– est souvent justifiée par l'axiome que les nombres réels sont archimédiens. Cette attitude basée sur la limite envers
est souvent formulée en termes plus imagés, mais moins précis. Par exemple, le manuel de 1846, « Arithmétique à l'université »« » explique «
, continué à l'infini est égal à 1, parce que l'addition de chaque nouveau 9 rapproche la valeur de 1. » ; l'« Arithmétique pour les écoles » de 1895 dit : « ... quand on prend un grand nombre de 9, la différence entre 1 et
devient petite de façon inconcevable. ». De telles approches heuristiques sont souvent interprétées par les étudiants comme une implication que
est en soi quelque chose de différent de 1.
Segments emboîtés et bornes supérieures minimales
Segments emboîtés : en base 3,
La définition par une série donnée ci-dessus est une façon simple de définir le nombre réel désigné par un développement décimal. Une approche complémentaire est conçue pour aborder le processus inverse : comment trouver le ou les développements décimaux pour le représenter ?
Si on sait qu'un nombre réel
est dans l'intervalle fermé (ou segment)
(c'est-à-dire supérieur ou égal à 0 et inférieur ou égal à 10), on peut diviser cet intervalle en 10 parties égales, qui ne se recouvrent qu'à leurs extrémités :
, etc, jusqu'à
. Le nombre
doit appartenir à l'un de ces intervalles ; s'il appartient à
, on note le chiffre « 2 », et on sous-divise l'intervalle en dix :
, etc, jusqu'à
. On note alors le séparateur décimal et le chiffre correspondant à l'intervalle où se trouve
; en continant ce processus, on obtient une suite infinie de segments emboîtés, que l'on repère par une suite infinie de chiffres
et on écrit
Dans ce formalisme, les identités
et
reflètent respectivement que 1 est à la fois dans le segment
et
, si bien que l'on peut choisir l'un ou l'autre de ces intervalles pour commencer la recherche des décimales. La suite découle de ce choix initial. Pour s'assurer que cette notation n'abuse pas du signe « = », il faut trouver une manière de reconstruire un nombre réel unique pour ces représentations. Ceci peut se faire avec des limites, mais d'autres constructions utilisent les propriétés d'ordre
Un choix simple est celui du théorème des segments emboîtés (voir troisième construction), qui dit que dans une suite de segments emboîtés dont les longueurs deviennent arbitrairement petites, chaque intervalle contient exactement un point de l'intersection. Donc
est défini comme le nombre unique appartenant à l'intersection de tous les segments
est donc le nombre réel unique qui se trouve dans tous les segments
c'est-à-dire 1.
Le théorème des segments emboîtés est d'habitude basé sur un caractère plus fondamental des nombres réels : l'existence de plus petites bornes supérieures ou suprema. Pour exploiter directement ce genre d'objet, on peut définir
comme le supremum de l'ensemble des approximants
. On peut montrer ensuite que cette définition par les segments emboîtés est cohérente avec la procédure de subdivision, ce qui implique à nouveau que
. Tom Apostol conclut :
« Le fait qu'un nombre réel puisse avoir deux représentations décimales différentes est simplement un reflet de ce que deux ensembles différents de nombres réels peuvent avoir le même supremum. »