En dépit d’une évolution sensible de ses points d'intérêt, l'œuvre de Gilbert Hottois présente une forte continuité du questionnement philosophique dont les étapes sont repérables à travers ses principales publications.
Probablement impulsé par une formation de philologue, l’intérêt critique pour le langage - et plus particulièrement pour le langage philosophique et le rapport de la philosophie au langage – s'affirme dès la fin des années 1960. Il conduit à l'étude de Wittgenstein dont la philosophie comporte une mise en question d'abord théorique puis pratique radicale de « l'être-au-langage » propre aux philosophes. Cette attention à Wittgenstein s’exprime à travers un premier livre et quelques articles ; Hottois ne l'abandonnera jamais totalement.
Dès le début des années 1970, l'attention au langage devient de plus en plus critique à l'égard du contexte philosophique international qui – du structuralisme à l'herméneutique, de la philosophie analytique à la phénoménologie - en France comme en Allemagne et, bien sûr, dans le monde anglo-saxon, place le langage au centre des préoccupations des philosophes créateurs. Hottois analyse les diverses formes de cette inflation du langage pouvant confiner à un enfermement langagier de la philosophie à l'intérieur de son propre discours devenu aréférentiel et auto-référentiel. C'est le thème de la « secondarité de la philosophie » qui revêt deux grandes formes : métalinguistique et adlinguistique. L'inflation du langage dans la philosophie contemporaine (1979) étudie surtout cette dernière forme à travers le second Heidegger, Gadamer, le dernier Merleau-Ponty, Derrida et certains aspects du structuralisme. Il y reviendra dans deux ouvrages ultérieurs à propos de Wittgenstein, Lacan, Apel, Lazerowitz, Wisdom, Perelman : Pour une métaphilosophie du langage (1981) et Du sens commun à la société de communication (1989). Mais sa critique s'appuie, dès l'ouvrage fondamental de 1979, à une hypothèse dont l'œuvre de Hottois ne cessera, par la suite, l'examiner et d'approfondir les aspects : l'obsession langagière de la philosophie au XXe siècle serait une réaction – largement inconsciente – de celle-ci à l'univers technoscientifique contemporain source de questions théoriques et pratiques qui laissent les philosophes « sans voix et sans regard ». C'est pour manifester l'importance de la technique en même temps que la mutation de l'ancienne entreprise (théorique et discursive : « logothéorique ») de science que Hottois introduit dès le milieu des années 1970 le néologisme « techno(-)science ». Vers la même époque, la question du « futur lointain », ouvert et opaque, qui transcende toute philosophie de l'histoire disponible, est posée sous une forme suggestive : « Qu'en sera-t-il de l'homme dans un million d'années ? ». Cette question problématise aussi la place et l'importance du langage dans l'économie présente et future de l'espèce humaine suivant une perspective évolutionniste et dans son rapport aux techniques.
Au début des années 1980, Hottois entreprend d'élaborer une philosophie des technosciences qui n'oublie pas la question du langage et qui se heurte à des difficultés : critiques externes en provenance du monde philosophique ; problèmes internes liés à l'élaboration même d'une philosophie des techniques ou des technosciences. Le terme de « technoscience », qui commence à se répandre, devient le foyer de la critique, et l'on perçoit, chez Hottois, une hésitation à l'utiliser. Le livre qui domine cette époque est Le signe et la technique (1984) préfacé par Jacques Ellul. La même année, un autre ouvrage signale un intérêt croissant pour une réflexion sur la technique plus orientée vers l'éthique : Pour une éthique dans un univers technicien. L'éthique se profile comme une issue à la difficulté d'élaborer une philosophie générale des technosciences. Mais en même temps, une autre tentation se fait jour : changer de forme d'expression et passer à la littérature. Entre 1981 et 1985, Hottois écrit deux romans de science-fiction, dont le plus ancien sera publié quelque vingt ans plus tard (Species technica) suivi d'un commentaire philosophique dialogué. Ce sera toutefois le tournant éthique qui s'imposera durablement.
C'est au milieu des années 1980 que la bioéthique s’installe progressivement au centre des intérêts du philosophe qui, par ce mouvement, deviennent pratiques autant que théoriques. D'emblée, les dimensions « biopolitiques » de la problématique bioéthique sont sensibles du fait, notamment, de l'opposition idéologique entre les mondes catholique et laïque, caractéristique du paysage belge. De la fin des années 1980 au début du nouveau millénaire, Hottois participe à de nombreux colloques, séminaires, expertises, commissions et comités nationaux et internationaux, qui lui apportent une expérience de terrain venant alimenter sa réflexion théorique - principalement méthodologique - sur la bioéthique, et, plus particulièrement, sur ces nouvelles institutions que sont les « comités d’éthique nationaux et internationaux ». Hottois en étudie, d’une manière à la fois, descriptive et normative, la composition et les procédures ; il s'intéresse plus spécialement à la place et au rôle du philosophe en leur sein et souligne les exigences ainsi que les difficultés de la pluridisciplinarité et du pluralisme. Cette réflexion à la fois théorique et pratique ne perd pas de vue les questions fondamentales, de la philosophie de la nature à l'anthropologie philosophique en dialogue avec de nouveaux auteurs tels que Hans Jonas et H.T. Engelhardt ou encore Richard Rorty. L'interrogation sur la transcendance et l'immanence de l'homme y occupe une place importante. Hottois analyse aussi la bioéthique et la biopolitique comme expressives du monde contemporain multiculturel et technoscientifique, entre prémodernité, modernité et postmodernité. Les Essais de philosophie bioéthique et biopolitique (1999) et Qu'est-ce que la bioéthique ? (2004) contiennent l'essentiel de ces réflexions. Entre-temps, Hottois a publié un recueil d'articles reflétant son itinéraire de la philosophie critique du langage à la philosophie et à l'éthique des technosciences : Entre symboles et technosciences (1996). Mais c’est la direction de deux ouvrages collectifs qui marquent le plus cette époque : un dictionnaire, Les Mots de la bioéthique (1993) et une encyclopédie, Nouvelle encyclopédie de bioéthique. Médecine-Environnement-Biotechnologie (2001). Pluralistes et pluridisciplinaires, ces deux sommes éclairent et encouragent le débat informé et critique en propageant à la fois la (méta)culture du multiculturalisme et la culture technoscientifique, l’une et l’autre pouvant être « transculturelles » dans un esprit de compréhension entre les individualités et les communautés.
Hottois a toujours conçu la bioéthique comme le chapitre le plus détaillé et développé d'une réflexion philosophique plus générale et plus radicale sur les technosciences au sein du monde contemporain. Déjà durant la période bioéthique, l'étude de l’œuvre de Gilbert Simondon oriente le philosophe dans une direction plus technophile et plus sereine, éloignée de la sensibilité technophobe des philosophes dans le sillage critique desquels la pensée hottoisienne avait d'abord cristallisé. C’est à l’occasion des leçons données au Collège de France en 2003 sur le thème « Techniques-Sciences-Technosciences » et publiées sous le titre Philosophies des sciences, philosophies des techniques l'année suivante (avec une préface d'Anne Fagot-Largeault) qu'Hottois tente une synthèse des thèmes et questions qui l’ont accompagné durant quelque trente ans.
Récemment, Hottois a renoué plus activement avec un intérêt ancien qui ne l'a jamais complètement quitté et qui apparaît occasionnellement à travers ses publications dès les années 1980. Il s'agit de l'intérêt pour l’imaginaire des sciences et des techniques, spécialement pour la science-fiction. Cet imaginaire joue un rôle considérable, quoique peu apparent et insuffisamment critiqué, dans les débats bioéthiques, écoéthiques et infoéthiques. L'attention de Hottois va à la science fiction en tant que telle comme à un phénomène contemporain particulièrement significatif et riche pour la réflexion philosophique sur les technosciences .