La quatrième croisade, lancée initialement contre l'Égypte par le Pape Innocent II en 1198, amène finalement les Croisés jusqu'à Constantinople et le partage de l'Empire byzantin. Le comte de Flandre est élu Empereur par les Croisés. Boniface de Montferrat, proclamé roi de Salonique et de Macédoine, se voit aussi accorder la Crète. Gènes et Venise, attirées par l'importance commerciale des îles de l'Égée, lui font chacune des offres pour lui acheter l'île. Les Vénitiens l'emportent en 1204 en échange de 1 000 marcs d'argent et des terres en Macédoine. Ils placent à la tête de l'île Jacques Tiepolo avec le titre de Duc de Candie.
Cependant, Venise est à cette époque principalement occupée à consolider ses positions dans le Péloponnèse. Elle n'est pas prête à prendre possession de l'île. Les Génois en profitent pour s'emparer d'une grande partie de la Crète centrale sans réelle résistance de la part des Crétois.
Après une tentative infructueuse en 1206, les Vénitiens reprennent l'île en 1208-1209, alors que Gênes se trouve incapable de soutenir ses troupes en Crète. En 1212, Tiepolo parvient à un accord avec les Génois qui évacuent l'île à l'exception de quelques enclaves qu'ils gardent jusqu'en 1217. Si, en 1294, les Génois se rendent temporairement maîtres de La Canée, c'est pourtant bien une domination vénitienne qui s'installe en Crète pour quatre siècles.
La Crète relève directement de Venise. Elle constitue une région administrative spécifique appelée Royaume de Candie (Regno di Candia). Les îles de Tinos (Tine) et Cythère (Cerigo) dépendent aussi du royaume. L'île est initialement divisée en six territoires (ou sexteria) dont les noms correspondent aux six Sestieri (quartiers historiques) de la ville de Venise :
La ville de Candie devenait une propriété commune la ville de Venise (la Commune Veneciarum).
La division administrative de l'île passe à quatre territoires au début du XIVe siècle: La Canée, Réthymnon, Sitía, Candie. Ces territoires se subdivisent à leur tour en châtellenies (Castelli) et en villages (Casali). Seule la région de Sfakia n'est pas entièrement soumise. Handax reste la capitale de l'île mais le prend le nom de Candie.
Les magistrats sont divisés en deux classes : les magistrats majeurs, nommés directement par Venise et issus de la noblesse vénitienne, et les magistrats mineurs dont le recrutement est purement local. Le magistrat suprême est le Duc de Candie, nommé directement par le Grand Conseil de Venise pour une période de deux ans. Siégeant à Candie, il est assisté de deux conseillers, également désigné pour deux ans. L'organisation de l'armée et la défense de l'île sont de la responsabilité du Capitano di Candia, et dont les pouvoirs sont également limités à deux ans. Les Camerlenghi ont la responsabilité des finances. Le châtelain de Candie, chargé de la garde de la ville, fait également partie des magistrats majeurs. Un recteur, tiré au sort parmi les quatre conseillers de Candie est nommé en 1252 à La Canée, après la fondation de la ville. Une organisation similaire est instaurée à Rethymnon en 1273 puis à Sitía en 1314.
Les magistrats mineurs, choisis sur place parmi la noblesse vénitienne mais aussi crétoise exercent les fonctions de juges, statuant sur les conflits entre Latins et Grecs, ou de notaires, spécialisés dans les dépositions et les enquêtes.
L'intérêt de Venise pour la Crète est principalement stratégique et commercial. C'est pourquoi, dans un premier temps, elle ne s'installe que dans les grandes villes. Mais Venise finit par occuper toute l'île, confisque les terres qu'elle distribue à des colons dont elle favorise l'installation en échange d'obligations militaires. Ainsi, les propriétaires nobles doivent, en temps de guerre, fournir un cavalier, deux écuyers, armes et chevaux compris. Les propriétaires plus modestes doivent fournir dix soldats à pied.
Chaque colon reçoit avec ses terres vingt-cinq serfs, probablement des descendants des Sarrasins asservis par Nicéphore Phocas. Peu à peu au cours de la période, se développe une noblesse crétoise. Les premiers nobles crétois sont en fait les descendants des familles bourgeoises arrivées de Venise lors des premières vagues de colonisation au XIIIe siècle. Avec le temps, des titres de noblesse sont accordés à des Crétois ou à des Italiens hellénisés en échange de services rendus à Venise. Cette classe prend de telles proportions que les titres de noblesse en Crète finissent par perdre de leur prestige.
Les cultures développées par les Vénitiens sont davantage d'ordre spéculatives que vivrières. Ainsi, la culture de la vigne connaît une forte croissance, et le vin de Rethymnon, bouilli pour des raisons de conservation, s'exporte jusqu'en Pologne, en Allemagne ou à Constantinople. Vers 1428, la culture de la canne à sucre se développe avant d'être remplacée par celle du coton. En revanche, la culture des céréales diminue dans de fortes proportions, d'une part, pour laisser la place à ces cultures plus intéressantes économiquement, mais aussi parce que Venise interdit parfois la culture de blé dans les régions les plus fertiles afin d'éviter à la fois de trop grands rassemblements de serfs aux mêmes endroits, mais aussi de fournir des bases de ravitaillement en cas de révolte. La Crète devient donc dépendante de l'arrivée des cargaisons de blé en provenance de Thrace ou d'Égypte.
La culture de l'olivier ne semble pas être pratiquée de manière intensive dans les premiers siècles de l'occupation vénitienne. Le voyageur Cristoforo Buondelmonti qui visita la Crète vers 1415-1417 dit ne pas avoir traversé un seul champ d'olivier. Cependant, au siècle suivant, la production d'huile d'olive s'intensifie : 240 000 pour la province de La Canée, et un rapport de 1629 indique une production de 500 000 mistata (soit environ 3 700 000 litres).
Au cours des quatre siècles de présence, on remarque une hellénisation progressive de la population vénitienne. Pendant les premiers siècles d'occupation, le catholicisme romain constitue la ligne de division entre les deux peuples. À partir du début du XVIe siècle, l'influence grecque se fait plus présente. Les mariages entre Crétois et Vénitiens deviennent plus fréquents, d'autant que beaucoup de Vénitiens adoptent l'orthodoxie. Les Vénitiens catholiques adoptent la langue grecque qui est utilisée même dans les cercles officiels.
La répartition inégale des terres et la lourde imposition (un tiers de la production agricole est prélevé), trop lourde pour les colons eux-mêmes, expliquent les soulèvements du XIIIe siècle et XIVe siècle. Pierre Daru en compte quatorze entre 1207 et 1365. En 1361, la levée d'un impôt en vue de la réparation du port de Candie provoque une émeute, qui amène la destitution du duc et son remplacement par Marc Gradenigo, ainsi que la proclamation de l'indépendance de l'île. Les insurgés se convertissent à l'orthodoxie et transforment l'église St Marc de Candie en St Tite. Candie est reprise en 1364 par Venise. S'ensuit une répression terrible et beaucoup de colons s'enfuient.
Date | Révolte |
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1207 | Révolte soutenue par le Comte de Malte et indirectement par la République de Gênes, jalouse de l'acquisition de l'île par Venise. |
1211 | Révolte menée par la famille des Aghiostephanites, sans doute à la suite de l'arrivée des premiers colons vénitiens. Les Aghiostephanites contrôlent tout l'est de la Crète. La révolte est matée avec l'aide de Marco Sanudo, Duc de Naxos. |
1217 | Révolte menée par les familles Skordiledes et Melissenoi. |
1222 | Révolte menée par la famille Melissenos suite à l'arrivée de nouveaux colons vénitiens. |
1228 | Révolte menée par les familles Skordiledes et Melissenoi, soutenue par l'Empereur de Nicée. Le Duc de Candie fait appel au Duc de Naxos. |
1262-1266 | Révolte à l'instigation de Michel VIII Paléologue désirant s'emparer de la Crète. |
1272-1278 | Révolte menée par Giorgos et Theodoros Hortatzis depuis le plateau du Lassithi. C'est la première grande révolte à caractère purement national et visant à la libération de l'île. |
1282-1299 | Révolte menée par Alexios Kallergis. En 1296, Gênes en profite pour s'emparer de l'ouest de la Crète. |
1319 | Révolte dans la région Sphakia et des gorges de Samaria |
1333-1334 | Révolte menée par Varda Kallergis et la famille des Margarites, suite à l'annonce de la levée d'un nouvel impôt destiné à réparer les galères vénitiennes. |
1341 | Révolte menée par Léon Kallergis dans les régions d'Apokoronas, de Sphakia et de la Messara. |
1363-1366 | Révolte de St Tite. Les lourdes taxes touchent les seigneurs vénitiens en Crète, chez qui germe l'idée d'une séparation avec Venise. L'annonce de la levée d'un nouvel impôt afin de réparer le port de La Canée est l'élément déclencheur de l'insurrection. Les insurgés proclament l'indépendance de la République de Crète et obtiennent un large soutien de la population. |
1364-1367 | Révolte des frères Kallergis. Parallèlement à la révolte de St Tite, a lieu une révolte à caractère plus national. Elle est réprimée dans le sang et tous les chefs sont exécutés par Venise. |
1453-1454 | Complot de Sephes Vlastos. Après la chute de Constantinople, certains veulent recréer un Empire byzantin dont le centre serait la Crète. Dénoncés, le complot ne peut réussir et ses leaders sont torturés et exécutés. La conséquence de l'échec de ce complot est la persécution de l'Église orthodoxe, jugée responsable par Venise. |
1527 | Révolte menée par George Contanoleos. Insurrection des paysans en réponse à une forte taxation. |
La vie intellectuelle et artistique de l'époque tranche avec la crise économique et sociale. L'éducation, par exemple connaît un essor au cours de la période vénitienne. Au cours du premier siècle d'occupation, il n'y a aucune preuve permettant d'affirmer l'existence d'écoles en Crète. Au XIVe siècle, l'enseignement se développe fortement au travers des écoles monacales qui organisent des bibliothèques. Souvent, les enfants des riches familles étudient en Italie, à Venise ou Padoue, et rapportent en Crète l'esprit de la Renaissance italienne. Certains poursuivent des carrières politiques ou religieuses de premier plan en Europe. Ainsi, Petros Phylagris, est le premier enseignant grec de l'université de Paris (1378-1381), avant de devenir cardinal (1405-1409) puis Pape sous le nom d'Alexandre V. À Milan, Demetrios Damilas publie en 1476 la Grammaire de Constantin Lascaris, première œuvre grecque publiée en Europe.
Parallèlement, de nombreux artistes byzantins, fuyant l'avancée des Ottomans s'implantent en Crète et apportent la tradition de Constantinople. La société crétoise est alors porteuse d'une culture florissante dans les dernières années de l'occupation vénitienne que l'on appelle Renaissance crétoise, marquée par la renaissance de la tradition byzantine, elle-même influencée de la Renaissance italienne. L'influence italienne est sensible dans la littérature et l'habitude est prise de noter les textes crétois au moyen de l'alphabet latin. Néanmoins une littérature florissante en langue crétoise voit le jour sur l'île, dont l'exemple le plus connu est l’Erotókritos de Vicenzos Kornaros. Une autre figure majeure de la littérature de cette époque est Georgios Hortatzis, auteur d’Erophile. Le peintre Domenikos Theotokopoulos, plus connu sous le nom d’El Greco, est né en Crète pendant cette période et est formé à l’art des iconographies byzantines avant de rejoindre l’Italie, et par la suite l’Espagne.