L'évolution d'une connaissance est presque toujours liée à l'élaboration d'une écriture adaptée. On pourrait en citer de nombreux exemples mais c'est surtout en Mathématiques qu'on peut faire cette observation.
En algèbre si on considère les textes de Diophante écrits au quatrième siècle de notre ère et réservés alors à une élite intellectuelle, ils nous sont presque devenus incompréhensibles tellement nous savons les écrire dans le langage codé des mathématiques d'aujourd'hui. Par exemple l'énoncé de son XXXVI° problème dans le Livre I est : Trouver deux nombres qui soient dans un rapport donné, et tels que le carré du plus petit nombre ait un rapport donné avec le plus petit nombre. Ce qui se traduit aujourd'hui par: trouver X et Y tels que X/Y=a et Y²/Y=b devenu sous cette forme si facile à résoudre que n'importe quel collégien peut en donner la réponse.
Par contre si on prend un texte d'Euclide il en va tout à fait différemment. Par exemple sa 5° proposition dans son Livre I s'énonce " Dans tout triangle isocèle les angles à la base sont égaux". Il écrivait plus de sept siècles avant Diophante et pourtant son énoncé est si actuel qu'on peut encore le trouver tel quel dans les livres de nos collégiens d'aujourd'hui. Cela vient de ce que nous n'avons pas su trouver une écriture géométrique dédiée.
Cette question fut pendant toute sa vie l'obsession de Leibniz. Dans le livre " La Logique de Leibniz" que lui a consacré L Couturat (voir liens)on lit en effet " Le développement des Mathématiques et leur fécondité tient, selon Leibnz à ce qu'elles ont trouvé des symboles commodes dans les chiffres arithmétiques et dans les signes algébriques. Si au contraire la Géométrie est relativement moins avancée, c'est parce qu'elle a manqué jusqu'ici de caractères propres à représenter les figures". Et Leibniz était un expert en la matière puisque il fut conjointement avec Newton le découvreur du Calcul infinitésimal, mais que seules les notations de Leibniz furent conservées parce que plus performantes. En géométrie hélas il n'y est pas arrivé.
Aujourd'hui ( voir lien Depuis Euclide )il serait possible de mettre en place une telle écriture qui répondrait à l'exigence de Leibniz, c'est-à-dire que l'écriture d'une figure contiendrait en elle même toutes les propriétés de cette figure de même qu'en algèbre l'écriture ax²+bx+c=0 contient en elle même toutes les données nécessaires à sa résolution. Mais dans les collèges et dans les Lycées la géométrie est devenue le parent pauvre des Mathématiques. Elle ne subsiste plus que dans une seule des filières du Baccalauréat. Et par suite le développement d'une écriture spécifique à la géométrie n'est pas d'actualité. Aussi, comme au temps d'Euclide, nous continuons à "parler d'un triangle isocèle ou d'un triangle équilatéral" mais nous ne savons pas "les écrire".
Liens: La Logique de Leibniz par Louis Couturat http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k110843d.r=louis+couturat.langFR
Depuis Euclide http://depuiseuclide.free.fr/page4.htm