Jean-François Gravier - Définition

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Paris et le désert français

J.-F. Gravier fut le premier à construire une explication à la fois globale et détaillée de ce que les géographes appellent la macrocéphalie parisienne (gonflement disproportionné de la ville capitale). Il pose en premier les rois et notamment Louis XIV et sa volonté d'attirer à Versailles les élites de province, amadouées, ses travaux de prestige à Versailles, puis la Révolution française, pas peu méfiante envers la province, voulant d'ailleurs et au départ la scinder en carrés parfaits, puis Napoléon, son héritier en ligne directe, et finalement tous les régimes qui suivent parce qu'à un moment donné on ne conçoit plus une France au sommet de l'art du monde sans une capitale brillante à l'image du Versailles célèbre et du Paris qui faisait trembler le monde.

Partant, l'auteur constate que ce fut une course à la montée vers la capitale pour tous ceux qui voulaient dépasser leur cadre local, bref, réussir. Les équipements industriels suivirent donc le mouvement et, révolution industrielle aidant, quand le coke remplaça le charbon de bois, Paris prit plus que sa part du gâteau en précipitant l'exode rural, jusques et y compris les industries d'armement, incompréhensiblement situées en région parisienne, avec tous les risques que cela supposait.

Il souligne le comportement coupable, malthusien, de la bourgeoisie parvenue au pouvoir d'un coup, à l'occasion de la Révolution, et non pas au gré de la révolution industrielle comme ailleurs dans le monde développé. Son imitation explique en grande partie, ce qui constamment sera repris par tous les démographes jusqu'à nos jours, la baisse prématurée de la fécondité en France au XIXe siècle. Il insiste aussi sur le comportement coupable des pouvoirs politiques ayant fait baissé les tarifs de chemin de fer autour de Paris, par clientélisme et peur de la révolution sociale alors que le transport par rail en province se renchérissait d'autant, empêtrant le maintien ou le développement des activités locales.

Suite à ce malthusianisme précoce, il se lamente dans chaque chapitre sur la plus faible densité de population de la France que dans aucun pays européen au niveau de développement comparable, ce qui renchérit le coût kilométrique de tous les transports — ce qui est difficile à nier en soi, mais surprenant de la part d'un géographe, première sorte de personnes à savoir la richesse que constitue le large territoire.

Il détruit assez bien la fiction entretenue par les adeptes du laisser faire que la liberté du marché du travail aboutirait à un optimum de ce marché à Paris et dans sa région, alors que tous les spécialistes de la révolution industrielle ont bien relevé depuis que tant que le paysan n'avait pas quitté sa terre, aussi étroite soit-elle, celle-ci lui assurait de quoi survivre en cas de malheur alors que le migrant arrivant dans une grande ville était prisonnier de sa situation et bientôt de sa... condition d'homme prolétaire.

À Paris, il ajoute trois zones dynamiques: Lyon, Marseille et la Côte d'Azur, accusant cette dernière de constituer le reposoir des malthusiens fatigués mais riches du nord de la France, une région quasi parasite à le lire. Il a en effet une dent extrêmement dure contre le gonflement plus que proportionné à la population de la région parisienne et de la Côte d'Azur du secteur de la distribution, dont il juge les nouveaux éléments comme autant de parasites et d'improductifs. Là enfin, on peut lui trouver une grosse lacune, à savoir qu'il ignore le poids de la fréquentation touristique internationale, très tournée vers Paris et la Côte d'Azur; la population locale et légale ne peut suffire à l'analyse.

Les comparaisons à l'emporte-pièce ne manquent pas et ne peuvent que choquer notre "politiquement correct" d'aujourd'hui: « dévoré » en parlant de Paris captant les ressources et les talents de la province française; « dans tous les domaines, l'agglomération parisienne s'est comportée depuis 1850, non pas comme une métropole vivifiant son arrière-pays, mais comme un groupe "monopoleur" dévorant la substance nationale »; « Les tentacules de Paris s'étendent ainsi sur tout le territoire »; la capitale est aussi décrite comme mortifère: sa natalité inférieure à la moyenne nationale et sa mortalité plus élevée en feraient un destructeur d'hommes: « Un monstre urbain comme Paris fait perdre à la France chaque année 3 fois plus de richesse humaine que l'alcoolisme »; d'après J.-P. Gravier, ceci attirerait des immigrés qu'il compare à l'invasion de l'empire romain par les Barbares: « Tandis que ces Polonais, ces Italiens, ces Espagnols viennent remplacer les enfants que les Français n'ont pas voulu avoir, certains penseront inévitablement à la comparaison classique avec le Bas-Empire lentement envahi par les Barbares »; en parlant de Lyon, Marseille et la Côte d'Azur: « Leur croissance foudroyante coïncide avec le gonflement des professions dites de luxe et des activités spéculatives les moins défendables »; « la plupart des professions commerciales ne jouent de rôle ni dans l'exportation, ni dans le tourisme et ne créent par conséquent aucune espèce de richesse ».

Et pourtant, par-delà le choix des mots, le constat de stérilité de la grande ville fait par M. Gravier fait incoerciblement penser aux travaux relativement récents des urbanistes ayant découvert qu'effectivement, au-dessus d'un certain nombre de millions d'habitants (entre trois et quatre millions), tout devient contre-productif dans une grande agglomération urbaine... y compris le mental des habitants de la lointaine banlieue, subissant à la fois les inconvénients de la ville sans les avantages de la campagne et les inconvénients de la campagne sans les avantages de la ville.

Pour lutter contre Paris, J.-F. Gravier pose comme nécessaire de liquider toute tentation de régulation par le marché. En commençant par des mesures coercitives envers les derniers arrivés dans les métiers du commerce, pour les forcer à court ou moyen terme à se recaser dans leur domaine d'origine. Il propose ensuite une très ferme et volontariste politique d'aménagement du territoire menée par l'Etat pour redévelopper les campagnes et décentraliser la France: « Sur 1 100 000 logements urbains construits entre les deux guerres, un million l'ont été dans les villes de plus de 10 000, dont 450 000 dans la Seine. Nous n'avons qu'à prendre exactement le contre-pied de cette « politique » pour obtenir un programme satisfaisant : aucune construction nouvelle à Paris, Lyon, Marseille ou dans leur banlieue pendant 10 ans, rénovation de l'habitat rural et spécialement agricole ». M. Gravier propose de déporter hors des métropoles une large partie de leur population en confisquant leurs logements : « Des méthodes aussi rigoureuses peuvent être employées sans inconvénient à l'égard des improductifs "reclassés" [dans les petites villes de province] ».

En 1949, il complète ses réflexions dans La mise en valeur de la France, où il présente son idée de créer 16 régions avec des superpréfets à leur tête, ainsi que la création d'un « Grand Paris » et l'évolution des institutions vers plus de fédéralisme.

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