L'estimation de la date du pic pétrolier repose sur la connaissance des réserves de pétrole identifiées dans le sous-sol et accessibles. Or le volume de ces réserves déclarées par les pays producteurs et les compagnies pétrolières internationales s'est maintenu jusqu'à ces dernières années à un volume représentant environ 40 ans de la production annuelle : cette évolution, qui semble contredire la raréfaction des découvertes, est utilisée par les « optimistes » qui mettent en avant que l'évolution des techniques permettra de compenser l'épuisement des gisements et de repousser régulièrement l'échéance du pic pétrolier.
Année | Réserves de pétrole (R) Mds barils | Production (P) Mds barils | Nombre d'années de production (R/P) |
---|---|---|---|
1987 | 910,2 | 22 | 41 |
1997 | 1069,3 | 26 | 41 |
2007 | 1237,9 | 30 | 41 |
Si l'estimation du nombre d'années de production actuelle tient compte de l'accélération prévue de la consommation mondiale, malgré des réserves estimées à 1258 Mds de barils en 2008, elle baisse donc à 35 ans, voire moins.
Selon le géologue D. Laherrère, cette représentation de l'évolution des réserves est fausse car le volume des réserves déclaré n'est généralement pas le reflet de la réalité géologique mais répond d'abord à des considérations financières, réglementaires et politiques ; celles-ci ont conduit au moment de la découverte des principaux gisements, il y a plusieurs dizaines d'années, à sous-déclarer le potentiel des gisements et de nos jours, dans un contexte différent, favorisent plutôt des déclarations surévaluées tablant sur des taux de récupération peu réalistes sur les gisements anciens et des volumes trop importants sur les découvertes. Les milieux pétroliers n'ont normalisé que récemment les méthodes d'évaluation des réserves contenues dans les gisements. Certains producteurs entretiennent volontairement la confusion sur la nature de pétrole contenu dans leurs réserves. Selon le cas, ceux-ci intègrent ou pas le pétrole non conventionnel alors que sa récupération suppose des avancées techniques incertaines à ce jour avec un bilan énergétique pouvant être nul ou négatif.
Ces différentes problématiques aboutissent à des estimations fortement divergentes sur les réserves restantes. Si les spécialistes sont d'accord sur le pétrole déjà extrait (environ 1000 milliards de barils), l'estimation du pétrole conventionnel réalisée par 3 fournisseurs d'informations pétrolières cités par D. Laherrère s'échelonnait fin 2006 entre 1 144 et 1 317 milliards de barils.
Suite à son nouveau rapport établi en 2009, l'AIE estime, par la voix de son chef économiste Dr Fatih Birol au quotidien The Independant, que les réserves de pétrole se vident à une vitesse nettement supérieure aux prévisions antérieures. D'après l'AIE, c'est la première fois qu'une telle étude, large, précise et détaillée, est menée, car les précédents rapports ne se fondaient que sur des hypothèses. Ces données sont incluses dans le World Energy Outlook 2009, dont la parution est fixée le 10 novembre 2009. L'Agence reconnaît de ce fait avoir nettement sous-estimé la baisse de production des champs pétrolifères : elle est révisée à 6,7 % par an en 2009, au lieu de 3,7 % en 2008. Elle conteste les surestimations de réserve des pays producteurs ; les trois-quarts des sites d'extraction pétrolière auraient déjà dépassé leur maximum de capacité. Ainsi, plutôt que vingt ans de réserves suffisantes, la demande à l'échelle planétaire n'aurait plus que dix ans d'approvisionnement adéquat.
L’estimation des réserves disponibles d'un gisement est faite initialement lors de sa découverte : il s’agit au départ d'une estimation de géologues et d’ingénieurs. Ces réserves sont les réserves initiales, celles sur lesquelles on se base pour calculer le prix de vente du gisement, l’investissement nécessaire pour sa mise en exploitation, la valeur d’une entreprise. Ce premier type d'estimation est assez peu fiable, non en raison de l'avancement de la science, mais en raison des enjeux financiers : ainsi, en 1988, lors de la découverte du champ pétrolifère de Cusiana, en Colombie, la compagnie américaine Triton (aujourd'hui Amerada Hess) a estimé son potentiel à 3 milliards de barils, une quantité importante qui a fait remonter le cours de son action. Mais BP a fait une nouvelle estimation du gisement après avoir commencé d’extraire le brut à Cusiana : 1,5 milliard de barils. Des experts de l’ASPO pensent que ce gisement ne dépasse pas 800 millions de barils.
En partant des données fournies par les géologues qui ont par différents moyens pris la mesure du gisement, on extrapole différentes valeurs caractérisant les réserves :
Au cours du cycle de vie du gisement, ces différentes valeurs sont régulièrement actualisées : des réserves probables deviennent des réserves prouvées, les informations obtenues dans le cadre de l'exploitation ou d'explorations complémentaires donnent lieu à des révisions à la hausse ou à la baisse de ces différentes valeurs, etc.
Ainsi, pour l'Algérie, on a 1P égal à 1,7 milliard de tonnes, 2P évalué à 6,9 milliards de tonnes et 3P estimé à 16,3 milliards de tonnes (données publiées par l'United States Geology Survey, dont la mission est d'informer le ministère de l'Intérieur des États-Unis). Ces probabilités de découverte servent à juger de l'assise financière d'un pays ; mais les gouvernements comme les banques utilisent en général une valeur médiane des trois, soit 7,7 milliards de barils, qui a moins d'une chance sur deux d'être finalement découverte.
Les pays producteurs ou les compagnies pétrolières internationales ne déclarent généralement qu'une partie des informations dont elles disposent sur leurs réserves :
Le volume des réserves est devenu un sujet extrêmement sensible pour les pays producteurs de pétrole : ainsi une loi votée en 2002 par la Douma russe, punit toute personne ayant divulgué des informations sur les réserves de gaz et de pétrole russe d'une peine pouvant aller jusqu'à 7 ans d'emprisonnement. Les quotas des pays de l'OPEP dépendent des volumes des réserves ce qui a eu un impact certain sur leurs déclarations. La capacité d'emprunt des pays vivant essentiellement du pétrole est conditionnée par le volume de pétrole restant dans le sol. Les seuls pays qui acceptent que des experts indépendants vérifient les chiffres de réserve sont, en 2008, la Norvège, la Grande-Bretagne et les États-Unis. La manipulation des chiffres est un exercice d'autant plus facile que les réserves sont désormais détenues à plus de 80 % par des compagnies nationales.
Les pays producteurs de l’OPEP ont décidé en 1985 de limiter volontairement leur production totale pour soutenir le prix du pétrole : chaque membre de l'OPEP avait désormais le droit de produire un pourcentage de cette production proportionnel au volume de ses réserves. Cette mesure déclencha des réévaluations à la hausse de réserves de plusieurs producteurs, afin d’obtenir des droits de production supérieurs. La modification des réserves déclarées a également permis à l'époque à certains de ces producteurs d’obtenir des prêts bancaires plus élevés et de meilleurs taux. C’est cette dernière raison qui explique l'augmentation en 1983 des réserves estimées de l'Irak, alors en guerre contre l'Iran. Le tableau des estimations suspectes, détaillé dans l'article Réserves pétrolières#Estimations suspectes de certains pays de l'OPEP, est résumé dans le tableau suivant.
Déclarations de réserves avec augmentations suspectes (en milliards de barils) d'après Colin Campbell, SunWorld, 80'-95 | |||||||
Année | Abou Dabi | Dubaï | Iran | Irak | Koweït | Arabie saoudite | Venezuela |
1980 | 28,00 | 1,40 | 58,00 | 31,00 | 65,40 | 163,35 | 17,87 |
1981 | 29,00 | 1,40 | 57,50 | 30,00 | 65,90 | 165,00 | 17,95 |
1982 | 30,60 | 1,27 | 57,00 | 29,70 | 64,48 | 164,60 | 20,30 |
1983 | 30,51 | 1,44 | 55,31 | 41,00 | 64,23 | 162,40 | 21,50 |
1984 | 30,40 | 1,44 | 51,00 | 43,00 | 63,90 | 166,00 | 24,85 |
1985 | 30,50 | 1,44 | 48,50 | 44,50 | 90,00 | 169,00 | 25,85 |
1986 | 31,00 | 1,40 | 47,88 | 44,11 | 89,77 | 168,80 | 25,59 |
1987 | 31,00 | 1,35 | 48,80 | 47,10 | 91,92 | 166,57 | 25,00 |
1988 | 92,21 | 4,00 | 92,85 | 100,00 | 91,92 | 166,98 | 56,30 |
1989 | 92,20 | 4,00 | 92,85 | 100,00 | 91,92 | 169,97 | 58,08 |
1990 | 92,20 | 4,00 | 93,00 | 100,00 | 95,00 | 258,00 | 59,00 |
1991 | 92,20 | 4,00 | 93,00 | 100,00 | 94,00 | 258,00 | 59,00 |
1992 | 92,20 | 4,00 | 93,00 | 100,00 | 94,00 | 258,00 | 62,70 |
2004 | 92,20 | 4,00 | 132,00 | 115,00 | 99,00 | 259,00 | 78,00 |
Le total des réserves déclarées par les pays de l'OPEP est de 701 milliards de barils, dont 317,54 paraissent douteux à certains observateurs.
D'autres faits incitent à une extrême vigilance sur les chiffres officiels des réserves des pays de l'OPEP :
Le pétrole non conventionnel n'est pas inclus officiellement dans les réserves hormis les sables bitumineux du Canada qui sont désormais comptabilisés dans certaines statistiques à hauteur d'environ 170 milliards de barils (ce qui représente entre 10 et 20% des réserves totales selon la valeur retenue pour ces dernières).
Pour les intervenants les plus optimistes, qui s'appuient sur une approche essentiellement économique, le renchérissement du prix du pétrole va permettre progressivement d'intégrer dans les réserves le pétrole non conventionnel, jusque là trop coûteux à produire. L'EIA estimait ainsi en 2005 que près de 3 000 milliards de barils (schistes bitumineux + sables bitumineux + récupération tertiaire) rejoindraient les réserves dans les décennies à venir (cf. schéma).