En physique, un nombre sans dimension est une quantité décrivant un phénomène physique. Ce nombre est un nombre " pur ", c’est-à-dire sans dimension (ou unité). Il est constitué du produit ou rapport de grandeurs ayant une dimension, de telle façon que les unités s'annulent.
L'analyse dimensionnelle permet de définir ces nombres sans dimension. Ceux-ci interviennent, particulièrement en mécanique des fluides, dans la similitude des modèles réduits et l'interprétation des résultats d'essais.
Divers domaines d'études conduisent à des expériences sur des modèles réduits, ce qui pose le problème de leur réalisme : les phénomènes aux deux échelles doivent être semblables. Par exemple, dans l'étude d'un écoulement autour d'un obstacle le sillage doit comporter, à l'échelle près, le même système de tourbillons ou de turbulence sur le modèle et sur le prototype.
Dire que les phénomènes sont semblables revient à dire que certains invariants doivent être conservés lorsqu'on change d'échelle. Ces invariants sont donc des nombres sans dimension qui doivent être construits à partir des grandeurs dimensionnelles qui caractérisent le phénomène. Dans ce qui suit, le cas des problèmes mécaniques, dans lesquels les trois grandeurs fondamentales sont la masse M, la longueur L et le temps T, sera seul considéré.
Dans ces conditions, toute grandeur physique est homogène à une expression de la forme Mα Lβ Tγ. Pour un nombre sans dimension, les exposants de chaque grandeur doivent être nuls.
Le premier problème consiste à déterminer quelles sont les grandeurs qui régissent le phénomène et celles qui sont négligeables (l'oubli d'une grandeur essentielle peut conduire à des résultats totalement erronés). Une fois que cette liste est établie, il faut en déduire les nombres sans dimension dont la conservation assurera la similitude.
Parmi ces nombres sans dimension, certains sont des rapports de longueurs : leur conservation caractérise la similitude géométrique qui n'appelle pas de commentaires particuliers. Seuls ceux qui font intervenir des grandeurs physiques présentent ici un intérêt.
Si on considère l'écoulement d'un fluide dont la caractéristique essentielle est la compressibilité, l'expérience montre que les deux seuls paramètres significatifs, en plus de la géométrie, sont la vitesse V de l'écoulement non perturbé et un paramètre lié à la compressibilité, le plus simple étant la célérité du son dans le fluide notée a. Ces deux grandeurs ayant la même dimension, le nombre sans dimension à conserver s'en déduit immédiatement, c'est le nombre de Mach :
Si le fluide possède une surface libre, la compressibilité étant maintenant supposée négligeable, le problème se complique légèrement. Les paramètres en cause sont la vitesse V de dimension LT-1, une dimension linéaire D de dimension L et la pesanteur, qui maintient la surface libre, caractérisée par la grandeur g de dimension LT-2. Il faut alors chercher un nombre sans dimension de la forme
Pour que ce produit soit sans dimension, il faut que les exposants des deux grandeurs fondamentales L et T soient nulles (la masse M n'intervient pas) :
Dans ces deux équations à trois inconnues, l'exposant 1 est choisi arbitrairement pour la vitesse, ce qui conduit au nombre de Froude :
Si, alors qu'il n'y a plus de surface libre, la viscosité ne peut plus être négligée, outre V et D, il faut introduire la masse spécifique ρ du fluide et sa viscosité μ. Un calcul analogue au précédent conduit au nombre de Reynolds :
Dans une expérience pratique, il est souvent impossible de satisfaire simultanément plusieurs conditions de similitude. Ainsi, lors du déplacement d'une maquette de navire, il faudrait en principe respecter la similitude de Reynolds pour décrire les frottements sur la coque et la similitude de Froude pour décrire le sillage sur la surface libre. Une inspection rapide des formules montre qu'une réduction de l'échelle devrait entraîner à la fois une réduction et une augmentation de la vitesse – sauf à pouvoir jouer sur la masse spécifique du fluide, sa viscosité ou la gravité. Dans ce cas il faut respecter la similitude la plus importante, généralement la similitude de Froude. Si les contraintes, essentiellement financières, permettent d'atteindre une échelle suffisamment grande pour que l'effet d'échelle lié au non-respect de la similitude de Reynolds soit faible, le problème est ignoré. Sinon, il faut appliquer aux résultats une correction numérique déduite d'autres expériences.
Dans ce qui précède, les nombres sans dimension sont considérés comme des marqueurs d'un phénomène bien déterminé : si l'un d'entre eux est modifié, les résultats doivent en principe changer. Quand des essais systématiques sont effectués pour obtenir des lois expérimentales, la présentation la plus efficace consiste à donner les résultats sous la forme d'une loi qui relie un nombre sans dimension à d'autres nombres sans dimension.
Une analyse plus approfondie peut même donner une idée sur la forme des lois à rechercher. Cette analyse peut s'appuyer sur le théorème de Buckingham mais une méthode plus élémentaire, due à lord Rayleigh, peut être utilisée dans les cas simples. On trouvera ci-dessous le canevas du calcul pour le problème classique de la force exercée sur un obstacle par l'écoulement d'un fluide que l'on supposera visqueux mais incompressible et sans surface libre. Les variables en cause, qui ne dépendent que de la masse M, de la longueur L et du temps T, sont
Il faut exprimer la force comme une fonction inconnue des autres variables :
Cette fonction peut être considérée comme une sorte de série contenant des monômes dans lesquels les différentes grandeurs sont élevées à des puissances inconnues multipliés par un coefficient k sans dimension :
Une identification analogue à celle qui a été évoquée pour le nombre de Froude élimine trois des exposants et conduit à écrire la formule sous la forme :
qui contient deux paramètres indéterminés. La série se transforme en une fonction qui s'écrit sous la forme habituelle faisant intervenir une aire A caractéristique à la place du produit D2 :
Cette formule ne signifie pas que la force est proportionnelle au carré de la vitesse. En effet, celle-ci intervient à travers le nombre de Reynolds et, en d'autres circonstances, elle pourrait dépendre aussi du nombre de Mach et du nombre de Froude. Il existe des cas dans lesquels cette proportionnalité est bien vérifiée mais c'est une conséquence des expériences, pas de l'analyse dimensionnelle. Celle-ci ne peut qu'indiquer la forme la plus efficace pour décrire les lois physiques mais pas leur contenu.
Pour mettre en forme des résultats d'essais, cette formule s'écrit comme un nombre sans dimension fonction de deux autres nombres sans dimension :