Henri Aigueperse (23 novembre 1902 - 22 février 1989) était un instituteur syndicaliste français. Secrétaire général du Syndicat national des instituteurs, alors affilié à la CGT, au moment de la scission de 1948 entre CGT et Force ouvrière, il fut l'un des principaux artisans du passage du SNI et de la FEN à l'autonomie.
Bien qu'il eût cessé son mandat de secrétaire général en 1952, il fut une autorité morale incontestée au sein du SNI et de la FEN jusqu'à son décès.
Henri Aigueperse naît à Saint-Méard (Haute-Vienne) le 23 novembre 1902 dans une famille modeste : son père, menuisier-charpentier, exploite cinq à six hectares de terre. Après sa scolarité primaire dans sa commune de naissance, il est élève de l'école primaire supérieure de Saint-Léonard de 1915 à 1918, année où il est reçu au concours d'entrée de l'école normale d'instituteurs de Limoges. De 1923 à 1927, il exerce comme instituteur dans plusieurs écoles rurales. C'est alors qu'il est nommé à Limoges où il restera jusqu'en 1945 avant de rejoindre l'équipe nationale du Syndicat national des instituteurs à Paris.
Tout jeune instituteur, il adhère au SNI (« le S.N. » — comme « Syndicat national », comme on disait avant-guerre), mais un an plus tard il adhèrera également à la Fédération unitaire de l'enseignement (qui sera affiliée à la CGTU (tandis que le « S.N. » obtiendra son affiliation à la CGT de Léon Jouhaux en 1925.
C'est ainsi qu'il organise en 1931 le congrès de Limoges de la CGTU, mais qu'il est élu de 1935 à 1937 secrétaire de la section départementale de Haute-Vienne du SNI. La double affiliation était tolérée à l'époque dans la Haute-Vienne, les deux organisations ne se faisant pas concurrence (800 adhérents à l'Amicale devenue le SNI, entre 20 et 30 à la fédération unitaire). Dans les premières années, Henri Aigueperse milita essentiellement au sein de la fédération unitaire.
L'organisation même du congrès de la Fédération CGTU de l'enseignement de 1931 et la vigueur des luttes de tendances fut décourageant pour Henri Aigueperse. Dès lors, il consacré l'essentiel de son activité à la section départementale. En 1934, le SNI appela à la grève du 12 février lancée par la CGT à la suite de l'émeute du 6 février 1934. Cette grève fut suivie par une majorité de militants, mais pas (ou peu) par les dirigeants de la section départementale qui furent désavoués. De nouvelles élections syndicales ayant eu lieu, une nouvelle direction se met en place et, en 1935, Henri Aigueperse est élu secrétaire départemental jusqu'en 1937 dans un souci de rotation militante (c'est son cadet Charles Martial qui lui succède). C'est ainsi qu'il vit la réunification syndicale de 1935.
Les militants du bureau national qui ne s'étaient plus manifestés depuis 1940 ou ont atteint l'âge de la retraite (les statuts prévoyant qu'il faut être en activité) sont remplacés par de nouveaux membres cooptés (ce qui sera le cas d'Henri Aigueperse) en maintenant la représentativité des courants d'avant-guerre : ex-confédérés qui constituent la majorité (ultérieurement dénommée majorité autonome ou Autonomes après 1948, puis UID à la fin des années soixante ; militants communistes ou proches de leur tendance (ce qui deviendra la tendance Unité et Action ; « Amis de l'École émancipée », revue créée en 1910.
Le premier congrès régulier du SNI se tient à Noël 1945 à Montreuil-sous-Bois. Le Syndicat compte 100 000 adhérents (contre 112 000 en 1938-1939). Le Conseil national (qui regroupe les secrétaires départementaux) élit le Bureau national selon les règles en vigueur avant-guerre et, le bureau élit en janvier 1946 un nouveau secrétaire général (Aigueperse) et un secrétariat.
Henri Aigueperse est élu à l'unanimité secrétaire général après avoir été lui-même surpris de la proposition faite par ses amis lors de la réunion préparatoire de la majorité. Le SNI ne dispose alors que de quatre permanents. René Bonissel est chargé de l'École libératrice, l'hebdomadaire du Syndicat créé sur l'initiative de Lapierre en 1929, avec ses deux parties syndicale et pédagogique. Le « numéro deux » appartient aussi à ce fils spirituel de Georges Lapierre. Jacquemart et Senèze prennent leur retraite en 1947 et son remplacés par Pierrette Rouqet et Clément Durand qui, pendant plus de vingt ans sera le responsable laïque du Syndicat.
Henri Aigueperse assume donc directement la responsabilité des affaires corporatives. Il sollicite des membres du Bureau national non permanents. Denis Forestier, responsable de la section du Lot l'assistera sur ce dossier. Marcel Rivière est chargé de la sécurité sociale en pleine création, alors que des incertitudes planent sur l'appartenance des fonctionnaires au nouveau régime (il faudra attendre le statut de la fonction publique de 1946) et que la protection sociale des instituteurs est éclatée en une multitude de mutuelles locales. c'est Marcel Rivière qui présentera le rapport sur la sécurité sociale du congrès de Grenoble de 1946 conduisant à la création d'une Mutuelle unique (donc une mutuelle « générale ») dont il assumera la présidence : la MGEN.
Malgré l'euphorie de la Libération, la situation reste difficile pour les travailleurs, les fonctionnaires en particulier et notamment les instituteurs. Henri Aigueperse, qui sera au sein des fonctionnaires CGT l'un des principaux négociateurs du statut Thorez de 1946 (qui reconnaît pour la première fois légalement le droit syndical aux fonctionnaires de l'État, devra mener un combat très rude — y compris au sein des fonctionnaires CGT (notamment contre la fédération des Finances) — sur le reclassement des instituteurs dans la nouvelle grille indiciaire qui doit être élaborée. Ce dossier est d'ailleurs à l'origine d'une grève isolée de trois semaines de la seule section départementale de la Seine en novembre 1947. Ce mouvement particulier s'arrête après une grève nationale décidée pour le 10 décembre 1947 par l'UGFF-CGT à la demande de la FEN.
Le 14 janvier 1948 paraît le décret fixant la grille de reclassement. Le système mis est place diffère totalement de ce qui existait auparavant. Aux traitements exprimés en « francs courants » se substitue un système d'indices de rémunération respectant en principe des parités selon le niveau de recrutement, la valeur du point d'indice permet une augmentation pour tous, plus simple (administrativement) à régler qu'en modifiant les décrets sur les rémunérations de chacun des 2000 corps existants. Les retraités par le biais de la péréquation (fondée sur l'indice lié au grade et à l'échelon) en bénéficient également (le nouveau Code des pensions civiles et militaires est adopté en 1948). Restent évidemment en débat la valeur de l'indice 100 (qui détermine les autres calculs) et la part prise notamment par l'indemnité de résidence qui n'entre pas en compte dans le calcul de la pension.
L'architecture des traitements et des pensions évoluera, mais les principes posés en 1946 auront déterminé le cadre structurant des pensions jusqu'à la réforme des retraites dite « Raffarin-Fillon » de 2003 et des rémunérations des fonctionnaires en activité pour une large part jusqu'à aujourd'hui.
Le SNI et la FEN ont pu imposer, dans les mois qui suivent la Libération, le retour à la législation scolaire d'avant-guerre (le gouvernement de Vichy avait remis en cause la gratuité de l'enseignement secondaire mise en œuvre par Jean Zay et subventionné l'enseignement confessionnel). Pourtant, les tenants de l'aide à l'école privée se sentent en position de force, grâce en particulier à l'existence sous la Quatrième République d'un puissant mouvement politique d'inspiration démocrate-chrétienne : le MRP, et plus encore après l'éclatement du tripartisme (PCF-PS-MRP) de la Libération. Parallèlement, l'église génère les APEL (associations de parents d'élèves de l'enseignement libre).
La législation de Vichy étant réputée légalement inexistante par une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République française de 1944, la première entorse à la Loi de séparation des Églises et de l'État résulte du décret Poinso-Chapuis de 1948 (contre lequel se bat Édouard Depreux, alors ministre de l'Éducation nationale.
Au cours de l'année 1946, se forme la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), créée avec l'appui d'Henri Aigueperse et d'Albert Bayet, président de la Ligue de l'enseignement. Son premier secrétaire général en sera Clément Durand, l'avocat Jean Cornec en prendra la présidence à partir de 1956. C'est le premier étage d'une construction dont le deuxième étage, le « cartel national d'action laïque » vise à regrouper aux côtés du SNI, de la FEN et de la Ligue de l'Enseignement, la CGT encore unifiée, les partis laïques de gauche (radical, socialiste, communiste) et les organisations laïques de jeunes. Mais la division des partis de gauche puis la scission syndicales remettent en cause l'édifice. En témoignent les débats des États généraux de la France laïque de 1947, organisés par Henri Aigueperse et Clément Durand. Une deuxième session est prévue en 1949. Le SNI propose aux organisations laïques de constituer un comité permanent regroupant SNI, FEN, Ligue de l'enseignement et FCPE. Ce comité survit à la tenue des états généraux et maintient les liaisons avec les organisations qui soutiennent son action : ainsi Henri Aigueperse et Clément Durand ont-ils contribuer à faire naître ce qui, en 1953 et en s'élargissant aux DDEN prendra l'appellation de Comité national d'action laïque.
En 1951 pourtant, les loi Marie et Barangé constituent les premières entorses sérieuses au principe de séparation en accordant des bourses d'État aux élèves de l'enseignement privé et des allocations scolaires par élèves versées aux conseils généraux pour l'enseignement public et aux APEL pour l'enseignement privé.
Henri Aigueperse, avant de prendre le secrétaire général du SNI, suivait les questions de sécurité sociale. Depuis la nomination de Pierre Laroque comme directeur de la Sécurité sociale en octobre 1944, la création d'un régime général se pose d'autant plus que la situation des fonctionnaires est incertaines (ce ne sont pas, juridiquement parlant, des salariés). La responsabilité de la commission d'études du Bureau national passe alors à Marcel Rivière, mais Henri Aigueperse continue à suivre avec attention ce dossier. Le droit à l'assurance maladie est reconnu pour les fonctionnaires en mai 1946. Les mutuelles de fonctionnaires en obtiennent la gestion. Mais la fusion des organismes existants dans l'Éducation difficile est plus difficile que prévue. Le SNI et son secrétaire général s'y engagent de tout leur poids. Finalement, la MGEN est créée le 8 décembre 1946. Une semaine plus tard, le conseil d'administration désigne Marcel Rivière à la présidence.
De cet engagement témoigne l'élection continue d'Henri Aigueperse au conseil d'administration de la MGEN de 1947 à 1967. Il est vice-président jusqu'en 1957, puis se replie sur un poste de secrétaire-adjoint jusqu'en 1967 et, selon un témoignage de Pierre Chevalier, ancien secrétaire national du SNI et ancien président de la MGEN, Denis Forestier (président de la MGEN jusqu'en 1972) fait souvent appel à son avis pour les questions de sécurité sociale.
Sur fond de guerre froide mais aussi de refus de la mainmise politique du parti communiste français sur la CGT, la scission au sein de la CGT se profile. Les affrontements sont vifs au Comité confédéral national des 12 et 13 novembre 1947 ; une « conférence nationale des amis de Force ouvrière » décide la scission. Le premier souci d'Henri Aigueperse et de ses camarades est de maintenir l'unité du SNI et de la FEN. En arrière-plan, il y a la volonté de défendre l'outil professionnel, mais aussi la toute jeune MGEN et, surtout, la laïcité.
C'est ainsi que paraît dans l'École libératrice (n° 19 du 19/02/1948) un texte signé des membres appartenant à la majorité (dont Aigueperse et Bonissel) et à l'École émancipée (Marcel Valière, Yvonne Issartel) intitulé « Appel pour l'unité — Une solution de sagesse : l'autonomie ».
Le conseil national du SNI décide de consulter individuellement l'ensemble de ses adhérents par référendum. En mars 1948, trois questions sont posées : 1) Souhaitez-vous l'adhésion à la CGT ? 2) Souhaitez-vous l'adhésion à la CGT-FO ? Si la majorité est hostile aux deux premières propositions, « êtes-vous partisan du maintien à tout prix de l'unité du SN et de la FEN comme organisations autonomes quelle que soit votre réponse aux questions précédentes ?
38% des votants se prononcent pour l'adhésion à la CGT, 25% pour l'adhésion à la CGT-FO. La troisième question (choix de l'autonomie) obtient l'assentiment de 82% des votants. En a découlé un mode d'organisation fondé sur la reconnaissance du droit de tendance (mais pas du droit de « fraction » guidée de l'extérieur) et une représentation proportionnelle des courants de pensée, ce que le congrès de la FEN de 1948 a consacré par ce que l'on appelle la « motion Bonissel-Valière », tous deux comme on l'a vu membres du Bureau national du SNI, Bonissel au titre de la majorité, Valière au titre de l'École émancipée.
Militant de la Ligue syndicaliste avant la guerre, ayant participé au congrès de réunification de Toulouse de la CGT en 1935 (comme représentant de la Haute-Vienne), Henri Aigueperse est viscéralement attaché à l'unité syndicale — mais avec une très grande lucidité excluant toute naïveté sur ce qui peut la remettre en cause. C'est ainsi qu'il est très ferme sur la question de la double affiliation conférale admise par la FEN. Pas question qu'il y ait un syndicat parallèle ! Et de fait, alors que Force ouvrière existe peu, au SNI du moins, une FEN-CGT se crée, mais sans structures « par syndicats » comme l'exigeait le congrès du SNI
Les statuts du SNI de l'époque n'autorisaient au maximum que l'exercice consécutif de trois mandats de deux ans au même niveau de responsabilité. En 1952, Henri Aigueperse remet donc son mandat de secrétaire général, unanimement salué par les membres du Bureau national pour l'action conduite. Pendant deux années, il reste membre du secrétariat permanent comme rédacteur en chef de l'École libératrice.