L'existence des horloges circadiennes paraît aujourd'hui aller de soi. Il suffit d'avoir ressenti le "jet-lag", les symptômes du décalage horaire qui accompagnent un vol transméridien (Lyon-Washington, par exemple), pour savoir que l'organisme peut se comporter comme une montre, rappelant implacablement l'heure locale du point de départ. Pour se mettre à l'heure locale de la destination, il lui faudra plusieurs jours (en moyenne un par heure de décalage), pendant lesquels l'individu souffre de troubles plus ou moins marqués du sommeil et de la digestion, notamment.
La notion même d'horloge circadienne endogène n'a pourtant émergé que dans les années 1950. En 1970, certains biologistes contestaient encore la capacité des organismes à mesurer le temps d'une manière autonome. L'année suivante voyait le découverte de l'horloge centrale des mammifères et celle du premier gène d'horloge (chez la drosophile), ce qui trancha définitivement le débat. Jusqu'alors, il faut bien le reconnaître, l'horloge n'était guère plus qu'un concept. Son existence expliquait certes beaucoup d'observations – non seulement les rythmes circadiens, mais aussi l'orientation sur le soleil de certains oiseaux migrateurs ou de la danse des abeilles, ou la reproduction saisonnière chez les animaux comme chez les végétaux. Mais personne ne pouvait imaginer à quoi elle ressemblait, ni comment elle fonctionnait...
Pour des raisons évidentes, de nombreux laboratoires travaillent sur l'horloge circadienne des mammifères, principalement les rongeurs tels que souris et hamster, ainsi que sur l'Homme. Du point de vue anatomique et physiologique, c'est donc le système circadien le mieux connu à l'heure actuelle. Soulignons toutefois l'intérêt d'étudier d'autres espèces de mammifères (même si elles sont moins faciles à élever ou manipuler), ne serait-ce que pour ne pas se limiter à des espèces nocturnes.
Elle est située dans les noyaux suprachiasmatiques (NSC), une petite zone de l'hypothalamus qui chevauche le point de croisement des nerfs visuels gauche et droit, ou chiasma optique (suprachiasmatique : "au-dessus du chiasma"). Chez l'Homme, chacun des deux noyaux, gauche et droit, comprend environ 10 000 neurones.
L'ablation de ces noyaux rend les animaux (rats ou hamsters) arythmiques, tant dans leur comportement (alternance veille-sommeil) que dans la production de différentes hormones (mélatonine ou cortisol) ou dans leur température corporelle, toutes caractéristiques qui présentent normalement des rythmes circadiens. En leur greffant de nouveaux NSC, prélevés sur des embryons de la même espèce, on peut restaurer la plupart de ces rythmes. Chez le hamster, l'existence d'un mutant d'horloge (baptisé tau) a permis d'utiliser des animaux donneurs ayant une période propre d'environ 20h, plutôt que 24h chez les receveurs, avant qu'ils n'aient subi l'ablation de leurs propres NSC. Après la greffe, les receveurs acquièrent la période des donneurs. On a donc bien transplanté l'horloge qui détermine la durée des cycles circadiens.
Les NSC utilisent des signaux variés pour imposer leur rythmicité aux différents processus physiologiques qu'ils contrôlent. L'identification de ces signaux constitue un domaine de recherche très actif. Certains sont probablement des "facteurs humoraux", libérés localement et qui diffusent ensuite jusqu'à leurs cibles à travers l'organisme. En effet, des NSC greffés de manière à leur interdire toute connection nerveuse avec le cerveau receveur, tout en laissant diffuser les petites molécules qu'ils produisent, restaurent un rythme de comportement (alternance veille-sommeil) normal aux animaux receveurs.
Toutefois la production de mélatonine et celle de cortisol restent alors arythmiques. Leur contrôle par les NSC passe par des connections nerveuses. L'une des voies les mieux connues relie les NSC à la glande pinéale (ou épiphyse), pour y contrôler la production de mélatonine.
Trois relais successifs sont mis en jeu, dont le dernier est un ganglion situé au niveau de la nuque (le ganglion cervical supérieur) qui appartient au système nerveux sympathique. Certains de ses neurones contactent la glande pinéale, où ils libèrent un neurotransmetteur, la noradrénaline. En se fixant sur des récepteurs spécifiques, à la surface des cellules pinéales, la noradrénaline déclenche une cascade de signaux à l’intérieur de ces cellules. Elle aboutit, in fine, à y moduler la production de mélatonine, d'une part selon les indications de l'horloge centrale (la production n'a lieu que pendant la nuit "subjective"), d'autre part selon les conditions d'éclairement (elle est rapidement et complètement inhibée par la lumière), ce qui vaut à la mélatonine le sobriquet d"hormone de la nuit".
Elle n'existe pas chez le caribou, le lézard et la truite, la secrétion de "l'hormone de la nuit", la mélatonine, étant synchronisée avec la durée du jour et de la nuit, et non avec l'horloge biologique interne. — à préciser —
L'horloge, au niveau moléculaire, semble impliquer d'une manière générale deux types de mécanismes : transcriptionnels (régulation de la transcription des gènes, au niveau de l'ADN, c'est-à-dire de leur copie sous forme d'ARN messager) et post-transcriptionnels (régulation des étapes situées en aval de la transcription). Ils sont étonnamment conservés entre les mammifères et les insectes.
On peut résumer ces mécanismes par une boucle de rétroaction négative. Elle repose sur une paire d'éléments positifs et une paire d'éléments négatifs. Les premiers activent l'expression des seconds. Quand ceux-ci s'accumulent, ils interagissent avec les éléments positifs pour en inhiber l'activité. L'expression des éléments négatifs n'étant plus activée, leur quantité finit par diminuer (rien n'est éternel dans une cellule). Les éléments positifs ne sont bientôt plus inhibés, et un nouveau cycle peut débuter. prévoir un schéma?
Pour donner un peu plus de chair à cette description, voici d'abord les noms réels des acteurs en jeu chez les mammifères. Les éléments positifs sont deux protéines, les facteurs de transcription CLOCK (abrégé en CLK) et BMAL1 (lui-même une abréviation d'un nom peu informatif ici). Les deux éléments négatifs sont aussi deux protéines, PERIOD (abrégé en PER) et CRYPTOCHROME (abrégé en CRY). Dans un neurone du noyau suprachiasmatique, il y a peu de PER et de CRY en fin de nuit. L'activation des gènes correspondants (notés par convention per et cry) par la paire CLK-BMAL1 est maximale. Mais les protéines PER et CRY ne s'accumulent pas tout de suite, sans doute en grande partie parce qu'elles sont alors instables, ce qui permet au cycle de ne pas s'interrompre prématurément. A la suite d'interactions avec d'autres protéines (voir ci-dessous), elles sont progressivement stabilisées au cours de la journée et peuvent s'associer avec CLK-BMAL1 pour en inhiber l'activité. Les gènes per et cry étant de moins en moins activés, les protéines PER et CRY sont de moins en moins produites. Leur quantité passe par un maximum en tout début de nuit, pour ensuite diminuer. En parallèle, la paire CLK-BMAL1 retrouve progressivement son activité au cours de la nuit... et la boucle est bouclée.
Le bon fonctionnement de la boucle circadienne exige que ses éléments négatifs (les protéines PER et CRY) disparaissent le moment voulu, dès qu'ils ont rempli leur rôle. Tant qu'ils inhibent l'activité des éléments positifs (CLK et BMAL1), un nouveau cycle ne peut en effet pas commencer. Le contrôle de leur stabilité est également important à l'autre "extrémité" du cycle : son amplitude serait en effet très réduite si PER et CRY, dès qu'ils sont produits, allaient immédiatement freiner leur production en inhibant l'activité de CLK et BMAL1.
Plusieurs processus post-transcriptionnels affectent donc l'aptitude de PER et CRY à agir sur CLK et BMAL1. Le plus étudié est la modification de ces protéines par phosphorylation. Plusieurs protéines kinases comptent PER et/ou CRY au nombre de leurs cibles précisions à venir, et chacune des deux protéines peut être phosphorylée sur de nombreux sites distincts. Leur nombre et l'ordre dans lequel ils sont phosphorylés pourraient contribuer à fixer la période de l'horloge. Comment ces modifications affectent-elles la stabilité de PER et CRY ? Elles accélèrent ou ralentissent leur transfert vers un système général de dégradation des protéines au sein de toute cellule, le protéasome, que l'on peut comparer à un véritable broyeur. Les protéines à dégrader sont d'abord "marquées" par une autre modification, plus massive, qui leur greffe une autre petite protéine l'ubiquitine. Plusieurs systèmes d'ubiquitination existent dans la cellule. L'identification de ceux qui agissent sur PER et/ou CRY constitue un axe de recherche important.
La phosphorylation de PER et CRY affecte aussi leur capacité à interagir avec d'autres protéines (dont CLK et BMAL1). Notons que les protéines CLK et BMAL1 sont elles aussi phosphorylées, ce qui altère par exemple leur capacité à activer les gènes per et cry.