L’instabilité de Rayleigh–Taylor, nommée en hommage aux physiciens britanniques Lord Rayleigh et G. I. Taylor, est une instabilité de l’interface séparant deux fluides de densités différentes, qui résulte de la poussée du fluide le plus lourd sur le fluide le plus léger (l'accélération dans le cas d'un système dynamique ou la gravité pour un système initialement statique est dirigée vers la phase légère). Ce phénomène est produit par exemple par l'onde de choc à l'origine des nuages interstellaires. Dans ce cas particulier où le choc est à l'origine de la mise en vitesse du système, on parlera d'instabilité de Richtmyer-Meshkov. Il se produit une situation analogue lorsque la gravité affecte deux fluides de densités différentes (le fluide le plus dense se trouvant au-dessus du fluide le moins dense) comme de l'huile minérale à la surface de l'eau.
Considérons deux couches de fluides immiscibles superposées dans deux plans parallèles, la plus lourde surplombant la plus légère et toutes deux soumises à la pesanteur terrestre. L’équilibre est instable à la moindre perturbation : toute perturbation va s'amplifier et libérer de l’énergie potentielle, le fluide le plus lourd gagnant progressivement la moitié inférieure sous l'effet du champ de gravitation, et le fluide léger passe au-dessus. C'est cette configuration qu'a étudiée Lord Rayleigh. La découverte importante de G. I. Taylor a consisté à montrer que cette situation est équivalente à celle qui se produit lorsque les fluides (hors de toute gravité) sont accélérés, le fluide léger étant propulsé à l'intérieur du fluide le plus lourd. Cela se produit notamment lorsque l'on projette un verre à terre avec une accélération supérieure à la pesanteur terrestre g.
Lorsque l’instabilité développe ses effets, des irrégularités (« fossettes ») se propagent vers le bas en polypes de Rayleigh–Taylor qui finissent même par se mélanger. C'est pourquoi on qualifie parfois l’instabilité de Rayleigh–Taylor d’instabilité à traines (fingering instability). Le fluide le plus léger s'expand vers le haut comme un champignon nucléaire.
On observe ce phénomène dans plusieurs situations courantes, non seulement dans les dômes salins ou les couches d’inversion, mais aussi en astrophysique et en électrocinétique. Les polypes de Rayleigh-Taylor sont particulièrement visibles dans la Nébuleuse du Crabe, où le plérion engendré par le pulsar du Crabe déborde les projections issues de l’explosion de la supernova il y a 1 000 ans.
Il ne faut pas confondre l’instabilité de Rayleigh–Taylor avec l’instabilité de Plateau-Rayleigh (parfois appelée « instabilité du tuyau d'arrosage ») : cette dernière, qui se produit dans les jets de liquide, est due à la tension superficielle, qui tend à disperser un jet cylindrique en une projection de gouttelettes de même volume mais de surface spécifique moindre.
L’instabilité bidimensionnelle non-visqueuse de Rayleigh–Taylor constitue un excellent banc d'essai pour l'étude mathématique de la stabilité du fait de la nature extrêmement simple de la configuration initiale, décrite par un champ de vitesse moyenne tel que où le champ gravitationnel est Une interface en sépare les fluides de densités dans la zone supérieure, et dans la zone inférieure. On montre que dans cette section, lorsque le fluide le plus lourd se trouve au-dessus, la moindre perturbation de l’interface s’amplifie exponentiellement, avec le taux
où est le taux de croissance, est le nombre d'onde spatial et est le Nombre d'Atwood.
La perturbation apportée au système est décrite par un champ de vitesse d'amplitude infiniment petite, Comme on suppose le fluide incompressible, ce champ de vitesse est irrotationel et peut être décrit par des lignes de courant.
où les indices indiquent les dérivations partielles. En outre, dans un fluide incompressible initialement en mouvement stationnaire, il n'y a pas de tourbillon, et le champ de vitesse du fluide demeure irrotationnel, soit . En termes de ligne de courant, Ensuite, comme le système est invariant par toute translation dans la direction x, on peut chercher une solution sous la forme
où est le nombre d'onde spatial. Ainsi, le problème se ramène à la résolution de l'équation
Le domaine sur lequel on résout le problème est le suivant : le fluide indexé « L » est confiné à la région , tandis que le fluide indexé « G » se trouve dans le demi-plan supérieur . Pour la détermination de la solution complète, il faut fixer les conditions aux limites et à l’interface. Cela détermine la célérité c, laquelle à son tour gouverne les propriétés de stabilité du système.
La première de ces conditions est fournie par les données aux limites. Les vitesses de perturbation devraient satisfaire une condition d'imperméabilité (flux nul), interdisant au fluide de s'expandre en dehors du domaine d'étude Ainsi, le long de , et pour . En termes de lignes de courant, cela s'écrit
Les trois autres conditions sont fournies par le comportement de l’interface .
Continuité de la composante verticale de vitesse ; en z = η, les composantes verticales de vitesse doivent se raccorder : . En termes de lignes de courant, cela s'écrit
Par un développement limité en on obtient
C’est l’équation exprimant la condition d’interface.
Condition de surface libre : Le long de la surface libre , la condition condition cinématique suivante s'applique:
Par linéarisation, on obtient simplement
où la vitesse est linéarisée sur la surface . En utilisant les représentations de mode normal et les lignes de courant, cette condition est , deuxième condition d’interface.
Saut de pression à l'interface: Dans le cas où l'on prend en compte une tension superficielle, le saut de pression à travers l’interface en z = η est donné par l’équation de Laplace :
où σ est la tension superficielle et κ est la courbure de l’interface, dont une approximation s'obtient en linéarisant :
Ainsi,
Toutefois, cette condition fait intervenir la pression totale (=pression de base+perturbation), c'est-à-dire
(Comme d'habitude, on peut linéariser les perturbations des différentes grandeurs le long de la surface z=0.) En exprimant l’équilibre hydrostatique, sous la forme
on obtient
L’altération du champ de pression est évaluée par les fonctions de courant, grâce à l’équation de l'impulsion horizontale tirée des équations d'Euler linéarisées pour les perturbations, avec qui donne
Reportant cette dernière équation avec la condition de saut,
En exploitant la deuxième condition d'interface et en utilisant la représentation de mode normal, cette relation devient
où il est d'ailleurs inutile d'indexer (seulement ses dérivées) puisque lorsque
Solution
À présent qu'on a décrit mathématiquement le modèle d'écoulement stratifié, la solution est à portée. L’équation des lignes de courant avec les conditions aux limites se résout selon
La première condition d’interface édicte que en , ce qui impose La troisième condition d’interface édicte que
Reportant la solution dans cette équation, on forme la relation
Le A se simplifie de part et d'autre, et il reste
Pour interpréter complètement ce résultat, il est intéressant de considérer le cas où la tension superficielle est nulle. Dans ce cas,
et il est ainsi clair que
Donc, lorsque le fluide le plus lourd est au-dessus, , et
où est le Nombre d'Atwood. En ne considérant que la solution positive, nous voyons que la solution est de la forme
et qu'elle est associée à la position η de l’interface par : Posons à présent
Le temps caractéristique de croissance de la surface libre initialement en est donné par :
qui croît exponentiellement avec le temps. Ici B désigne l’amplitude de la perturbation initiale, et est la partie réelle de l’expression complexe entre parenthèses.
En général, la condition pour que l’instabilité soit linéaire est que la partie imaginaire de la célérité complexe c soit positive. Finalement, le rétablissement de la tension superficielle diminue c2 en module et a donc un effet stabilisant. En effet, il existe un domaine d'ondes courtes pour lesquelles la tension superficielle stabilise le système et empêche l’instabilité.