Motte castrale - Définition

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Incastellamento et encellulement

Incastellamento : la motte en relief montagneux

En 1973, la thèse de Pierre Toubert révolutionna pour longtemps la recherche sur le château de l'an mil. C'était dans la parfaite continuité des études régionales encouragées dès les années 1940 par Marc Bloch. Ainsi le suivirent, André Déléage (Bourgogne, 1941), Georges Duby (Mâconnais, 1953) et Gabriel Fournier (Basse-Auvergne, 1962). Le château fut dès lors considéré dans une approche plus régionale que théorique. On tenta aussi d'étudier le château en rapport avec l'habitat, à l'instar du village médiéval rassemblé au pied de « son » château. Ce phénomène est assez caractéristique de l'ensemble de l'arc méditerranéen et secondairement l'Atlantique, où les exemples de castra villageois ne manquent pas.

Une motte naturelle, l'éperon de Castelnou (Pyrénées-Orientales).

En quoi consiste l'incastellamento italien ? Le mot francisé en « enchâtellement » désigne l'action de fortifier un bâtiment ou un village. Au départ P. Toubert avait suggéré que cette emprise territoriale était née entre la dernière mention des habitats de type fundus, villa et la première mention de cet habitat comme castrum, soit au cours du Xe siècle. Des recherches postérieures ont montré que ce phénomène émergea bien plus tôt, c'est-à-dire au IXe siècle voire dans la seconde moitié du VIIIe siècle où on note une corrélation entre la reprise démographique et la réorganisation agraire. Le Latium connaît une phase active de construction et de destruction des castra autour de l'an mil : le château désormais en pierre, se dresse sur un site élevé autour duquel se regroupent l'église et les maisons.

D'autres régions ont connu le même processus d'incastellamento, avec des variantes locales : ainsi dans la région de Béziers, la chronologie est différente. Bien que Monique Bourin ait remarqué une multiplication des centres fortifiés dès la fin du Xe siècle, « la dispersion de l'habitat reste encore de règle ». D'autre part, elle a remarqué que le perchement villageois n'était pas commun, loin de là. Au milieu des villages fortifiés, Dominique Baudreu a signalé la présence de villages dénués de toute fortification. C'est ce qu'il appelle des points de résistance à l'incastellamento : cette situation est l'indication notable du maintien de possessions ecclésiastiques anciennes « étrangères à la logique châtelaine ».

En Roussillon, le regroupement des hommes au pied de la forteresse est à concilier avec une « occupation du sol et un paysage déjà fortement marqués par le phénomène des celleres (celliers pour les réserves de grain) ». Aymat Catafau a montré que ces derniers étaient des entrepôts paysans situés dans l'espace consacré « généralement de trente pas de largeur entourant l'église », dans lesquels on stockait les récoltes à l'abri des vols. C'est le phénomène castral des années 950-1050 qui précipita l'association des celleres avec le centre fortifié. Le meilleur exemple est le village de Castelnou dont la toponymie castellum novum souligne bien cette réorganisation territoriale de l'an mil. Il est mentionné pour la première fois en 993 dans un plaid où la comtesse Ermengarde dit résider dans ce château d'une dizaine de mètres de haut. Ce dernier est posé sur un éperon rocheux à 320 m d'altitude, dominant le village (lui-même fortifié), étendu en pente douce sur une cinquantaine de mètres. Dans le contexte d'incastellamento, les vicomtes du Vallespir ont à coup sûr regroupé une population attachée à son cellier ancien tout en verrouillant le col qui mettait en relation la plaine et le plateau.

L'incastellamento est plus largement l'aboutissement d'un phénomène démographique, agraire et sociétal en germe depuis le début de l'époque carolingienne. C'est le schéma d'une politique et d'une réorganisation territoriale qui a touché les rives méditerranéennes pour plusieurs raisons :

  • d'un point de vue topographique, le relief (Apennin, Alpes et Pyrénées) permet un abri naturel favorisant les sites perchés ; la montagne fournit de nombreuses carrières de pierres qui assurent des châteaux plus solides donc plus efficaces ;
  • avant le milieu du XIe siècle, la Méditerranée reste la zone active du commerce européen. On sait que dès le VIIIe siècle, le commerce était déjà actif à Milan et Pavie ;
  • la fin de l'occupation sarrasine du Freinet, suite à l'expédition des comtes de Provence lors de la bataille de Tourtour en 973, a dû être une période de renouveau dans la société méditerranéenne.

L'encellulement : rivalité de la motte et de l'église

L'église de Maisnières (Somme) vue depuis la motte.

En France septentrionale, la situation est différente. Le relief ne se prête pas comme dans le midi à l’incastellamento, même si certaines mottes sont localisées sur une éminence naturelle. Celle-ci ne contraste pas assez avec le village en contrebas pour que le perchement villageois soit possible. Du point de vue des matériaux, la pierre n'existe pas en quantité suffisante pour que la maçonnerie devienne chose courante dans l'architecture militaire antérieure au XIIIe siècle. Forteresses en bois, donc plus vulnérables, sites de construction peu élevés : rien ne se rapproche de l'incastellamento. Même si les mottes sont connues dans le nord depuis au moins la fin du Xe siècle, le phénomène n' a pas été aussi important que dans les pays méditerranéens. L'une des causes, en dehors de la topographie, en est le démarrage plus tardif de l'activité économique du nord de l'Europe. Celle-ci devient très dynamique à partir du XIIe siècle avec l'émergence de l'industrie flamande du drap. Le centre économique se retrouve transféré de la Méditerranée à la mer du Nord au cours du XIIe siècle. Comme dans le Midi, les villages du Nord subissent à cette époque un remaniement de leur finage.

Pour rendre compte de cette évolution, Robert Fossier a proposé la notion d'encellulement en complément de la notion d’incastellamento, plutôt réservée au Midi. Selon lui, la réorganisation territoriale des campagnes a pu être envisagée grâce à l'intervention de la seigneurie. La sédentarisation dans le Nord n'était pas exclusivement liée à l'implantation castrale mais bien plus à l'église et à son cimetière. La relation motte-église est déterminante, à tel point que certaines églises ont été construites ou reconstruites sur l'ancienne motte castrale. L'église paroissiale est apparue avant le château à motte, peut-être dès l'époque mérovingienne.

Tripartition de la société médiévale:oratores, milites et laboratores

Seigneurs et propriétaires fonciers

La mutation impliquée par l'émergence de la motte castrale pose la question du transfert de la jouissance des terres d'une élite foncière à une élite guerrière. Toutefois, le découpage n'est pas linéaire et au fil des donations les grandes propriétés foncières sont extrêmement morcelées et dispersées sur de grandes distances. La zone sur laquelle un seigneur exerce sa protection est trouée d'enclaves autonomes, qu'il prétend soumettre aux mêmes redevances et à la même justice que celles qu'il imposé à ses manants. Dès lors, la revendication du droit de ban et de justice sur les terres d'église ou de propriétaires laïcs, dont les biens et les revenus sont menacés, entraîne un fort mécontentement d'autant que les seigneurs n'hésitent pas à user de violence, intimident ou maltraitent les paysans et se livrent au pillage. Ce comportement ne manque pas de faire monter le mécontentement dans la population et déclenche la paix de Dieu qui s'inscrit dans un vaste mouvement visant à moraliser la conduite de la seigneurie naissante. Il aboutit à la tripartition de la société féodale.

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