D'un point de vue heuristique, la théorie des perturbations est une méthode mathématique générale qui permet de trouver une solution approchée d'une équation mathématique (Eλ) dépendante d'un paramètre λ lorsque la solution de l'équation (E0), correspondant à la valeur λ = 0, est connue exactement. L'équation mathématique (Eλ) peut être une équation algébrique, une équation différentielle, une équation aux valeurs propres, ... La méthode consiste à chercher la solution approchée de l'équation (Eλ) sous la forme d'un développement en série des puissances du paramètre λ, cette solution approchée étant supposé être une approximation d'autant meilleure de la solution exacte, mais inconnue, que la valeur absolue du paramètre λ est plus « petite ».
Dès le début du XVIIIe siècle, la théorie des perturbations a été utilisée par les astronomes pour les besoins de la mécanique céleste : en effet, les équations différentielles décrivant un système de N corps en interaction gravitationnelle n'a pas de solution exacte générale pour . Cet aspect de la théorie des perturbations a été synthétisé à la fin du XIXe siècle dans les ouvrages classiques de Laplace, Tisserand et Poincaré, avant de connaitre de nouveaux développements dans la seconde moitié du XXe siècle avec l'avènement en 1954 de la « théorie KAM », du nom de ses trois concepteurs : Kolmogorov, Arnold et Moser.
La méthode a par ailleurs été abondamment utilisée au XXe siècle pour les besoins de la physique quantique, d'abord en mécanique quantique non relativiste, puis en théorie quantique des champs perturbative.
On a vu qu'on cherchait ici la solution approchée de l'équation (Eλ) sous la forme d'un développement en série des puissances du paramètre λ ; la question de la convergence de cette série se pose alors. Ce problème a été réglé pour l'astronomie par Poincaré en 1892 : la « série » de perturbation doit être comprise mathématiquement comme un développement asymptotique au voisinage de zéro, et non comme une série ordinaire convergente uniformément. Le chapitre VIII de la Mécanique céleste de Poincaré commence par le commentaire suivant :
« II y a entre les géomètres et les astronomes une sorte de malentendu au sujet de la signification du mot convergence. Les géomètres préoccupés de la parfaite rigueur et souvent trop indifférents à la longueur de calculs inextricables dont ils conçoivent la possibilité, sans songer à les entreprendre effectivement, disent qu'une série est convergente quand la somme des termes tend vers une limite déterminée, quand même les premiers termes diminueraient très lentement. Les astronomes, au contraire, ont coutume de dire qu'une série converge quand les 20 premiers termes, par exemple, diminuent très rapidement, quand même les termes suivants devraient croître indéfiniment.
Ainsi, pour prendre un exemple simple, considérons les deux séries qui ont pour terme général :
Les géomètres diront que la première converge, et même qu'elle converge rapidement, parce que le millionième terme est beaucoup plus petit que le 999 999 ème ; mais ils regarderont la seconde comme divergente, parce que le terme général peut croître au delà de toute limite.
Les astronomes, au contraire, regarderont la première série comme divergente, parce que les 1000 premiers termes vont en croissant ; et la seconde comme convergente, parce que les 1000 premiers termes vont en décroissant et que cette décroissance est d'abord très rapide.
Les deux règles sont légitimes : la première, dans les recherches théoriques ; la seconde, dans les applications numériques. Toutes deux doivent régner, mais dans deux domaines séparés et dont il importe de bien connaître les frontières. »
Pour conclure cette discussion qualitative sur la convergence, le mathématicien Jean-Pierre Ramis précise :
« On peut ainsi parler de séries convergentes « au sens des géomètres » ou « au sens des astronomes ». Notons que pratiquement, dans les applications, on constate que, presque toujours, les séries convergentes au sens des astronomes ont un terme général qui croît très vite après avoir d'abord diminué. Ainsi, ce que Poincaré envisageait comme possibilité est en fait la règle. »
C'est d'ailleurs ce qui fait l'efficacité pratique de la théorie des perturbations en physique théorique : il suffit le plus souvent de calculer les quelques premiers termes du développement asymptotique - ceux qui semblent commencer par converger - pour obtenir une très bonne approximation du résultat exact inconnu. Ainsi, dans le cadre de l'électrodynamique quantique, Dyson a montré en 1948 que la série perturbative était divergente, alors que la prise en compte des trois ou quatre premiers termes seulement donnent des prédictions théoriques en accord remarquable avec les résultats expérimentaux.
Notons qu'il existe certaines procédures de « sommation » qui permettent de donner un sens à certaines séries divergentes, comme par exemple la sommation de Borel ou l'approximant de Padé.