Baroque sicilien - Définition

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Postérité

Illustration no 23
L'église Anime Del Purgatorio, à Raguse, fut construite dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Le baroque sicilien est aujourd'hui reconnu comme un style architectural à part entière. Cela est dû en grande partie aux travaux d'Anthony Blunt, qui est l'un des seuls chercheurs à s'être intéressé spécifiquement au sujet.

La plupart des palazzi baroques restèrent des propriétés privées tout au long du XIXe siècle. Ils changèrent en revanche souvent de mains, au fur et à mesure que la vieille aristocratie tissait des liens matrimoniaux avec la bourgeoisie ou s'enfonçait dans l'endettement. Seules quelques rares familles ont pu conserver leurs demeures ancestrales jusqu'à aujourd'hui. Quant aux églises, la grande piété dont continue à faire preuve la population sicilienne leur permet de perpétuer leur vocation originale et de ne pas devenir de simples pièces de musée.

La dégradation et l'actuel état désastreux de tant de palazzi ne doivent pas être simplement imputés à des propriétaires peu soigneux, mais aussi au manque de volonté politique des gouvernements italiens qui se sont succédé au pouvoir. Certaines des plus belles villas ou des plus beaux palais, y compris le palais du prince de Lampedusa à Palerme, sont toujours en ruines depuis les bombardements américains de 1943. Bien souvent, rien n'a été tenté pour les restaurer ou même pour préserver ce qui en restait. Quant aux édifices qui ont survécu à la Seconde Guerre mondiale, ils connurent fréquemment un cloisonnement en bureaux ou en appartements, ce qui impliqua le démantèlement, la division ou la vente des intérieurs baroques.

À la différence de ce qui peut se voir au Royaume-Uni, les quelques représentants de l'aristocratie sicilienne habitant toujours leurs palazzi se sont abstenus de dénaturer leurs jardins en y exposant par exemple des animaux sauvages pour attirer les touristes. Les derniers princes, marquis et comtes de Sicile préfèrent souvent vivre dans un isolement plein de superbe, entourés de beauté et de déchéance. Les propriétaires et les pouvoirs publics commencent toutefois à vouloir assurer la sauvegarde de ce patrimoine de l'histoire sicilienne.

Les palais baroques de Sicile, profitant de l'essor touristique de l'île, ouvrent progressivement leurs portes à un public curieux et aisé, pour l'instant davantage des Américains ou des Britanniques que des Italiens. Il y a encore quelques années, la salle de bal du palais Gangi était la seule de la région à pouvoir s'enorgueillir d'avoir été le lieu de tournage d'un film, tandis qu'aujourd'hui nombre de grands salons d'apparat et de salles de bal se mettent à accueillir des événements publics ou privés. Quelques palazzi offrent même un service « Bed and Breakfast » aux visiteurs de passage, renouant ainsi avec la grande tradition d'hospitalité pour laquelle ils avaient été conçus.

Déclin

Illustration no 21
Le Palais Beneventano del Bosco, à Syracuse, construit entre 1779 et 1788, est d'un baroque sicilien tardif et très discret. Les balcons en fer forgé et certaines courbes, néanmoins, tempèrent la nouvelle mode néoclassique.

Comme pour tout style architectural, le public finit par se lasser du baroque. Dans certaines parties du continent européen, une métamorphose s'opéra vers le Rococo, mais ce ne fut pas le cas en Sicile. L'île, à partir de 1735, n'est plus dirigée par l'Autriche mais par le roi des Deux-Siciles Ferdinand Ier, qui règne à la fois sur le royaume de Naples et sur le royaume de Sicile. Palerme se mit ainsi à entretenir des rapports privilégiés avec la capitale du royaume, Naples, où justement commençait à se manifester un retour à des formes d'architecture plus classiques. En outre, une part croissante de la noblesse sicilienne se prit de passion à cette époque pour tout ce qui était français, qu'il s'agisse d'art, de mode ou d'architecture. Beaucoup d'aristocrates se rendirent à Paris pour y affiner leurs goûts, et en revinrent avec les toutes dernières gravures et les traités théoriques les plus avancés. L'architecte français Léon Dufourny accomplit un séjour en Sicile de 1787 à 1794 afin d'y étudier les anciens temples grecs. Il permit à de nombreux Siciliens de redécouvrir leur passé antique et classique, lequel s'imposa donc vite comme la nouvelle mode incontournable. Mais l'évolution des goûts ne se fit pas du jour au lendemain. Le baroque conserva encore une certaine popularité sur l'île, et les colonnes au classicisme sévère de l'époque côtoient bien souvent des balcons plus fantaisistes que jamais. Dufourny travailla quelque temps à Palerme, et son « Temple d'Entrée » aux Jardins Botaniques de la ville fut le tout premier bâtiment de Sicile relevant de l'ordre dorique. Le temple respecte en effet un style purement néoclassique, tel qu'apparu en Angleterre vers 1760, et annonce pour l'île une tendance lourde des décennies suivantes.

C'est sans doute le grand ami et collègue de Dufourny, Giuseppe Marvuglia, qui contribua le plus au déclin progressif du baroque sicilien. Il acheva en 1784 le palais Riso-Belmonte, qui constitue le plus bel exemple de cette période en matière de transition architecturale. L'édifice combine habilement des éléments baroques et palladiens, et s'organise autour d'une cour intérieure en arcade jouant sur le clair-obscur des matériaux. La façade principale, ponctuée de pilastres massifs, présente également des aspects baroques mais a des contours très réguliers. Les pilastres, d'inspiration ionique, font l'objet d'une décoration très simple, et soutiennent un entablement tout aussi sobre. Au-dessus des fenêtres peuvent s'apercevoir des frontons classiques et réguliers : le baroque sicilien bat en retraite.

Une autre des raisons de ce lent déclin est que l'argent vint progressivement à manquer. Au XVIIe siècle, l'aristocratie vivait principalement sur ses terres, qu'elle entretenait et rentabilisait, d'où un niveau satisfaisant de revenus. Au cours du XVIIIe siècle, cependant, la noblesse se mit à migrer vers les villes, en particulier à Palerme et Catane, afin d'y profiter des plaisirs de la cour du vice-roi. Les palais situés en ville gagnèrent en taille et en splendeur, au détriment de terres rurales que l'on abandonnait peu à peu mais dont on attendait toujours une rente confortable. Le personnel laissé sur place pour gérer les domaines cultiva l'incompétence et la corruption, ce qui fit chuter les revenus fonciers. Certains aristocrates eurent alors recours à l'emprunt, sans hésiter à hypothéquer leurs biens, jusqu'à ce que la valeur de leurs domaines se dégrade au point de ne plus pouvoir couvrir les sommes engagées. La Sicile elle-même, par ailleurs, était devenue instable : administrée depuis Naples par le faible Ferdinand Ier et son épouse autoritaire, l'île était entrée dans une irrémédiable phase de déclin bien avant 1798 et 1806, lorsque le roi fut obligé à deux reprises de fuir Naples et les troupes françaises pour se réfugier en Sicile. Seul un corps expéditionnaire britannique de 17 000 hommes, qui s'assura au passage la domination officieuse de l'île, put empêcher les Français de débarquer. Le roi Ferdinand tenta ensuite en 1811 de lever des impôts, s'aliénant par ce seul fait toute son aristocratie. Le XIXe siècle, de manière générale, se caractérisa par la montée en puissance de la bourgeoisie : les classes aisées s'écroulèrent inexorablement, entraînant avec elles leurs extravagances architecturales d'un autre temps. (Voir Histoire de la Sicile)

Illustration no 22
Le Palazzo Ducezio de Noto, œuvre de Vincenzo Sinatra, mélange le baroque au rez-de-chaussée et le néoclassicisme à l'étage supérieur.

Néanmoins l'influence britannique fit naître en Sicile une dernière embellie baroque. Marvuglia, toujours attentif aux évolutions architecturales du Royaume-Uni, approfondit le style hybride qu'il avait prudemment initié avec le Palazzo Riso-Belmonte en 1784, et combina de plus en plus librement des éléments baroques et palladiens. Le baroque sicilien tardif présente ainsi des similitudes avec le baroque qui est alors popularisé en Angleterre par Sir John Vanbrugh et par des édifices tels que le palais de Blenheim. L'église San Francesco di Sales édifiée par Marvuglia, presque exclusivement britannique dans son interprétation du baroque, en constitue un excellent exemple. Mais cette mode ne constitua qu'une brève parenthèse, et bientôt le néoclassique s'imposa partout. Peu d'aristocrates pouvaient encore se permettre de construire, ce qui fait que le nouveau style fut essentiellement appliqué à des bâtiments publics et civils, comme ceux des Jardins Botaniques de Palerme. Les architectes siciliens, y compris d'anciens maîtres baroques tels qu'Andrea Giganti, se mirent à la mode du néoclassique, mais cette fois d'inspiration française. La Villa Galletti de Giganti à Bagheria, par exemple, s'inspire ouvertement des réalisations d'Ange-Jacques Gabriel.

Tout comme aux premiers jours du baroque sicilien, les bâtiments néoclassiques les plus précoces présentent un mélange avec le style précédent. Le Palazzo Ducezio de Noto (illustration no 22) fut ainsi entamé en 1746, et son rez-de-chaussée, garni d'arcades jouant sur l'ombre et la lumière, relève du pur baroque. L'étage supérieur, ajouté quelques années plus tard, trahit une influence néoclassique française très prononcée, et ce malgré l'utilisation de frontons irréguliers au-dessus des fenêtres et la courbure de la baie centrale. Cet édifice est le signe que le baroque sicilien cédait progressivement la place au néoclassicisme français.

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