Baroque sicilien - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

Le baroque sicilien à partir de 1693

Ce mouvement atteignit son paroxysme au milieu du XVIIIe siècle.

Nouvelles villes : l'urbanisme baroque

Illustration no 9
La Piazza del Duomo, à Syracuse. La cathédrale réalisée par Andrea Palma (plus visible sur l'illustration no 12) est entourée de palazzi baroques.

À la suite du tremblement de terre, un vaste programme de reconstruction fut rapidement mis en place. Il nécessita au préalable la prise de plusieurs décisions fondamentales, qui allaient différencier l'architecture sicilienne par rapport à celle des autres grandes villes européennes. Le duc de Camastra, au fait des innovations les plus récentes en matière d'urbanisme, décréta que le temps des petites rues étroites de l'ère médiévale était révolu, et que la reconstruction devrait permettre le tracé de larges artères principales et de places publiques, si possible selon un schéma rationnel. En pratique, les nouveaux plans des villes prirent souvent une apparence géométrique, sous la forme de carrés ou d'hexagones, ce qui dénote une certaine influence d’un classicisme à la française. L’urbanisme baroque s’en distingue néanmoins sous plusieurs aspects, notamment par une division des quartiers selon des critères de hiérarchie sociale et par des perspectives monumentales se centrant sur les lieux de culte, envisagés comme centres de la vie publique.

Ce concept était encore très novateur pour les années 1690, étant donné que peu de villes européennes avaient déjà eu l'occasion d'être reconstruites de fond en comble. Le premier exemple nous en est peut-être fourni par la ville nouvelle de Terra del Sole, construite en 1564 pour Cosme Ier de Toscane d'après les plans de Baldassarre Lanci, originaire d'Urbino. Une autre des premières cités à avoir fait l'objet d'une planification rigoureuse et symétrique était Alessandria, au sud du Piémont. Un peu plus tard, à partir de 1711, ce nouvel urbanisme baroque fut encouragé dans les colonies espagnoles d'Amérique du Sud, ainsi que par les Portugais au Brésil ou à Lisbonne après le tremblement de terre de 1755. Dans d'autres parties de l'Europe, les intérêts locaux et l'opinion publique se révélèrent trop puissants pour permettre une réorganisation radicale après un désastre : c'est le cas de Londres après le grand incendie de 1666, suite auquel la City fut reconstruite selon les anciens plans à l'exception de quelques nouveaux quartiers à l'ouest. En Sicile, l'opinion des classes populaires n'avait aucune importance, ce qui laissa les mains libres aux architectes locaux, porteurs de concepts révolutionnaires.

Les choix architecturaux effectués en Sicile n'étaient pas uniquement motivés par la mode et l'apparence, mais aussi par le souci de minimiser les dégâts en cas de nouveau séisme. En 1693, l'entassement des maisons et des rues avait conduit à un écroulement général, comparable à celui d'un château de cartes. D'un point de vue tant architectural qu'esthétique, le grand avantage du nouvel ordonnancement urbain est de libérer de l'espace et de pouvoir replacer les monuments dans un cadre digne de leurs proportions. À titre de comparaison, il est fréquent de rencontrer ailleurs en Italie une église de la Renaissance, certes belle et imposante, mais coincée entre des bâtiments voisins à l'aspect incongru. La sensation d'ouverture et de respiration est particulièrement sensible dans les villes reconstruites de Caltagirone, Catane, Modica, Noto, Palazzolo Acréide, Raguse et Scicli.

L'un des plus beaux exemples du nouvel urbanisme baroque peut être admiré à Noto (illustration no 10), une ville reconstruite à environ dix kilomètres de son site originel sur le mont Alveria. Les ruines de l'ancienne cité, aujourd'hui appelée Noto Antica, peuvent toujours être visitées. Le nouveau site choisi était plus plat que le précédent, et ce en vue de faciliter l'application d'un plan géométrique. Les rues principales vont d'est en ouest en tenant compte de l'inclinaison du Soleil. Cet exemple de planification urbaine est attribué à un aristocrate sicilien cultivé, répondant au nom de Giovanni Battista Landolina. Il aurait dressé lui-même les plans de la nouvelle Noto avec l'aide de trois architectes. L'UNESCO a classé la ville et ses bâtiments baroques au patrimoine mondial de l'humanité en 2002.

Au sein de ces nouvelles villes, on alloua à l'aristocratie les quartiers situés le plus en hauteur, où l'air était meilleur et le point de vue plus agréable. L'église était typiquement érigée au centre de la cité (illustration no 9), pour la commodité de tous ainsi que pour refléter le pouvoir essentiel et central de l'Église catholique. Autour de la cathédrale et de la résidence épiscopale s'élevaient des couvents. Les marchands et les commerçants, quant à eux, pouvaient s'implanter le long des larges artères conduisant aux places principales. Les plus pauvres, pour finir, étaient autorisés à construire leurs logis rudimentaires en briques aux endroits dont personne d'autre ne voulait. L'urbanisme baroque en vint ainsi à symboliser puissamment l'autorité politique. Ce style et cette philosophie se répandirent jusqu'à Annapolis au Maryland, Williamsburg en Virginie ou Savannah en Géorgie, sans oublier bien sûr l'œuvre du baron Haussmann à Paris. L'environnement urbain était désormais propice à la propagation de l'architecture baroque, qui devait perdurer en Sicile jusqu'au début du XIXe siècle.

Plus tard, de nombreuses autres villes siciliennes qui n'avaient été que peu ou pas endommagées par le séisme, comme Palerme, subirent également des transformations baroques à mesure que la mode se répandait. Les aristocrates en vinrent en effet à désirer que leurs palazzi dans la capitale deviennent aussi opulents que ceux qu'ils avaient fait construire à Catane. L'église Santa Caterina de Palerme, édifiée en 1566, fut par exemple entièrement redécorée de l'intérieur au XVIIIe siècle, avec l'ajout de marbres colorés.

Nouvelles églises et nouveaux palazzi

Illustration no 11
La cathédrale San Giorgio de Modica.

À l’aube du XVIIIe siècle, on eut de plus en plus recours aux architectes locaux pour ériger de nouveaux palais ou édifices religieux. L’évolution des techniques permettait un style encore plus sophistiqué que celui de la fin du XVIIe siècle. Nombre des nouveaux artistes avaient reçu leur formation en Italie continentale et en étaient revenus avec une compréhension plus profonde du baroque. Leurs travaux inspirèrent d’autres architectes siciliens moins enclins aux voyages. Mais surtout, ces jeunes créateurs purent s’inspirer des livres écrits par Domenico de Rossi sur la gravure, qui procuraient pour la première fois les mesures et les dimensions exactes de la plupart des principales façades de la Renaissance et du baroque à Rome. La Renaissance finit ainsi par toucher la Sicile de manière indirecte et tardive.

À ce stade de son développement, il manquait encore au baroque sicilien la chaleur, la joie et la liberté qu’il devait acquérir plus tard. Giovanni Battista Vaccarini était le principal architecte sicilien de l’époque. Il arriva sur l’île en 1730, apportant avec lui l’influence mélangée de Bernini et de Borromini : Vaccarini profita de sa liberté créatrice pour introduire des courbes très marquées, ou d’autres éléments dont l’audace aurait été jugée inacceptable à Rome, bien que ses ouvrages n’aient été que les prémices de ce qui allait suivre. Parmi les réalisations les plus remarquables de cette période, on compte les ailes du Palais Biscari de Catane, ainsi que l’église Sainte Agathe, située dans la même ville. Pour cette dernière, Vaccarini s’est très clairement inspiré des principes établis par Camillo-Guarino Guarini dans son Architettura Civile : la copie répétée de styles déjà solidement établis explique que l’architecture de cette époque, bien que déjà opulente, témoigne toujours d’une discipline un peu académique. Le style de Vaccarini domina Catane pendant plusieurs décennies.

Un autre obstacle au plein épanouissement des architectes siciliens provenait du fait que le travail s’effectuait encore souvent sur des bâtiments endommagés ou partiellement détruits, qu’il fallait donc reconstruire en tenant compte du style précédent. La cathédrale San Giorgio de Modica en est un bon exemple : déjà sévèrement endommagée par le séisme de 1613, reconstruite en 1643 dans un style mi-baroque mi-médiéval, puis à nouveau touchée par le séisme de 1693, sa reconstruction fut entamée en 1702 par un architecte inconnu. C’est finalement Rosario Gagliardi qui supervisa l’achèvement de la façade principale en 1760, mais les compromis qui durent être faits avec la structure précédente sont évidents. Malgré l’utilisation des mêmes techniques qui avaient tant réussi à l’église San Giorgio de Raguse (illustration no 13), la cathédrale de Modica souffre d’une certaine lourdeur, et n’a pas cette légèreté ni cette liberté dans la touche qui font le talent de Gagliardi.

D’autres influences ont joué à cette époque : de 1718 à 1734, la Sicile fut dirigée depuis Vienne par l’empereur Charles VI, d’où de nombreuses similitudes avec l’architecture autrichienne. De nombreux bâtiments insulaires ne sont alors que de pâles imitations des réalisations de Fischer von Erlach. Un architecte sicilien en particulier, le moine Tommaso Napoli, se rendit deux fois à Vienne au début du siècle, revenant à chaque fois avec de pleins chargements de dessins et de gravures. Il érigea plus tard deux villas de campagne typiques de cette période, remarquables pour leur murs concaves et convexes ainsi que pour l’entremêlement de leurs escaliers extérieurs. L’une d’entre-elles, la Villa Palagonia, entamée en 1705, est sans conteste la plus complexe et la plus ingénieuse de toutes les villas du baroque sicilien : son double escalier extérieur aux volées droites mais changeant fréquemment de direction devint un modèle en la matière pour toutes les constructions à venir.

Par la suite une nouvelle génération d’architectes, conscients que les intérieurs de style rococo commençaient ailleurs à prendre l’ascendant sur le baroque, s’inspireraient de ces évolutions pour développer encore davantage la flamboyance, la liberté et le mouvement que l’on associe aujourd’hui au baroque sicilien.

Page générée en 0.507 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise