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Louvois mourut en 1691, mais les travaux ne reprenaient qu'en 1700, toujours sous la direction de Jean-Dominique Cassini. Ce dernier s'adjoignit son fils Jacques (1677-1756). Les travaux poursuivis jusqu'au Mont Canigou dans les Pyrénées orientales, non loin de Perpignan, se terminèrent en 1701 par la mesure de la base de Leucate-Saint Nazary. Autant dire qu'on avait fait vite : lever en un an et demi la méridienne Bourges–Canigou, avec les moyens de transport et de communication de l'époque, apparaît encore maintenant comme une gageure. La raison de cette rapidité d'exécution fut sans doute la guerre de succession d'Espagne, qui absorbait pratiquement tous les crédits, et qui laissait la partie nord de la méridienne inachevée. Ce n'est qu'après une longue interruption que les travaux purent être repris en 1718 par Jacques Cassini, Maraldi et La Hire fils. La méridienne put ainsi être achevée entre Sourdon et Montdidier, puis prolongée jusqu'à Dunkerque où l'on mesura une base. La chaîne complète de la méridienne de Cassini est appuyée sur trois bases. Du nord au sud, on trouve la base de Dunkerque (5564 toises, soit environ 10844 mètres), la base mesurée par Picard à Villejuif (5663 toises, ou 11037 mètres), et la base de Leucate (7246 toises, ou 14122 mètres). Les stations astronomiques fondamentales en sont l'Observatoire de Paris, à une latitude de +48°50′10″, Dunkerque à 2°12′15″,5 au nord de Paris (donc à une latitude de +51°02′25″,5), et Collioure à 6°18′56″ au sud de Paris (donc à une latitude de +42°31′14″).
Les travaux de cette méridienne historique sont résumés dans un livre de Jacques Cassini paru en 1723, le « Traité de la grandeur et de la Figure de la Terre ». L'auteur y fournit les valeurs numériques citées ci-dessus, et y annonce 57097 toises pour le degré de méridien du segment sud (Paris–Collioure), et 56960 toises pour le segment nord (Paris–Dunkerque). Rappelons que Picard avait trouvé 57060 toises pour le segment central Paris–Amiens.
Jacques Cassini annonce 57061 toises pour le degré de méridien de la sphère moyenne, et il ramène le degré de Picard à 57030 toises. Il conclut « … ainsi, il paraît avec assez d'évidence que les degrés d'un méridien sont plus grands plus ils sont près de l'équateur et diminuent au contraire à mesure qu'ils s'approchent du pôle ». Cela signifiait que la forme de la Terre était un ellipsoïde allongé aux pôles. En effet, la sphère tangente au pôle possède un plus grand rayon (r = r1) que la sphère tangente à l'équateur (r = r2). Par conséquent, un angle α sous-tend un arc de méridien ℓ = α r plus grand au pôle qu'à l'équateur : ℓ1 > ℓ2. Pour un ellipsoïde aplati aux pôles, c'est l'inverse qui a lieu, c'est–à-dire ℓ1 < ℓ2. En extrapolant la méridienne de Cassini vers le pôle nord et vers l'équateur, on trouve ℓ1 < ℓ2.
Étant en contradiction avec les travaux théoriques de Huyghens et de Newton, qui démontraient au contraire que la Terre, du fait de sa rotation, devait être un ellipsoïde aplati aux pôles, et non pas allongé, cette thèse de Cassini fut le point de départ d'une controverse scientifique, à laquelle se mêlait la politique, qui allait durer quinze ans. Le débat fut finalement tranché en 1737 par l'expérience en faveur d'un sphéroïde, c'est-à-dire d'un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles. La moisson scientifique de ce débat ne peut guère être exagérée, car le problème de la figure de la Terre donna lieu à de nombreux progrès en géodésie astronomique bien sûr, mais aussi en hydrostatique, en physique et en mathématiques. La plupart des fonctions dites « spéciales » de la physique mathématique et théorique, inventées au cours des XVIIIe et XIXe siècles, prennent leur origine dans des travaux consacrés à la forme de la Terre. Le problème reste toujours actuel, mais à un niveau de complexité plus élevé.
En fait, si l'on examine la méridienne de Cassini hors de tout contexte polémique, on se rend compte que la configuration de la chaîne laisse fort à désirer. Cela est surtout vrai dans sa partie sud, où la conformation des triangles est fort médiocre.
Les conceptions de Newton ont été vite acceptées par les savants britanniques, mais sur le continent — et particulièrement en France — les opinions restaient partagées. La vieille théorie des tourbillons due à Descartes, revue et corrigée par Huyghens, emportait encore de nombreux suffrages, et la liaison entre attraction gravitationnelle et pesanteur n'était pas perçue clairement. D'autre part, Jacques Cassini continuait, non sans aigreur, à défendre ses mesures, et donc l'idée d'une Terre allongée aux pôles. On assistait ainsi à ce qu'on a appelé la «querelle entre les têtes pointues (les Cassiniens) et les têtes plates (les Newtoniens)». Voltaire se rangeait parmi les philosophes célèbres qui s'étaient ralliés aux thèses de Newton. Parmi les savants français acquis à celles-ci figurait notamment Maupertuis. C'est à ce dernier qu'allait échoir l'honneur de démontrer empiriquement, lors d'une expédition en Laponie, que la Terre était bien aplatie aux pôles.